Interview – Patrick Bertrand de Cegid : « Notre démarche est articulée autour des besoins « métiers »

Alliancy : Patrick Bertrand – Directeur général de Cegid


BONUS DE L’ÉTÉ :
Interview de Patrick Bertrand,
Directeur général de Cegid
Propos recueillis par Catherine Moal

 

 

 

La crise européenne pousse Cegid à accélérer son changement de modèle vers une activité de plus en plus récurrente liée au SaaS (Software as a Service). L’éditeur de logiciels de gestion, à destination de la profession comptable et des entreprises, veut offrir des solutions mobiles, utilisables sous forme simple. Patrick Bertrand, directeur général du groupe lyonnais, revient sur sa stratégie basée sur une approche « métier », par secteurs d’activité et domaines fonctionnels, et sur ce qui portera les tendances et la dynamique du secteur du BtoB.

 

Alliancy, le mag. Fin janvier, Cegid Group a publié un chiffre d’affaires 2012 en recul, particulièrement sur le dernier trimestre. Comment l’expliquez-vous ?
Patrick Bertrand. Avant tout par un contexte général marqué par une croissance économique extrêmement faible, voire nulle dans certains pays. Avec une forte dégradation ressentie depuis l’automne. Mais ce qui caractérise le plus la période, c’est la très forte volatilité avec de vraies difficultés pour anticiper. Des clients, après avoir confirmé, se rétractent ou reportent leur projet d’investissement. Nous n’avions pas connu cela depuis longtemps.

 

Qu’est-ce qui permet alors à Cegid de trouver son chemin dans cet environnement ?
Que les entreprises n’investissent plus globalement dans leur système d’information, mais de façon ciblée. J’y vois deux motivations principales. La première est budgétaire. On cible les pans du système d’information (SI) sur lesquels on a besoin de s’améliorer, en termes de compétitivité, de productivité ou de fonctionnement interne. La deuxième, encore plus dans le BtoB, est qu’un SI doit répondre de façon très précise à des problématiques de métiers au quotidien. La mise en œuvre, dès l’origine, d’une stratégie d’éditeur de logiciels de gestion spécialisés nous positionne bien dans ce contexte.

 

Le salut serait donc dans la maîtrise des métiers ?
Oui. C’est une révolution pour certains éditeurs généralistes. La construction d’une offre, l’architecture du produit et l’approche commerciale d’un client doivent être articulées autour de ses besoins métiers. C’est toute la démarche d’un éditeur de logiciels spécialisés. Être à la fois, par exemple, un spécialiste de la fiscalité, de la supply chain, de la gestion des talents, de l’optimisation de la chaîne commerciale.

Comme dans le retail [commerce de détail, ndlr], intégrer la météo dans des dashboards… C’est l’ADN de Cegid, d’intégrer le métier du client dans le logiciel et non pas de paramétrer des fonctionnalités métiers sur une base généraliste.

 

Et cela suffit ?
Patrick Bertrand  « NOTRE DÉMARCHE EST ARTICULÉE AUTOUR DES BESOINS  “MÉTIERS”. »Non. Un deuxième élément s’impose maintenant aux éditeurs : la business intelligence (BI) embarquée. Fini le temps où l’utilisateur se satisfaisait d’un SI de traitement de données. La BI doit être intégrée au logiciel de traitement. Par ailleurs, l’utilisateur ne veut plus aller chercher cette information dans son SI. Celui-ci doit la lui « pousser » et être en mesure de lui fournir, en standard, des informations de pilotage métiers présentées sous forme de tableaux de bord.

 

Et le facteur mobilité, vous l’intégrez comment dans ce schéma ?
C’est l’autre tendance forte. Un utilisateur veut disposer de ses informations sur des outils de mobilité. Il n’y a plus de frontière de temps, d’espace ou de lieu. Elles existent bien sûr –_pays, langue, horaires_–, mais il refuse ces contraintes. Il est rentré dans le monde de l’Atawad (Anytime, anywhere, any device), avec une forte attente en matière d’ergonomie.

 

Qu’est-ce que ces évolutions imposent à Cegid ?
En tant qu’éditeur de logiciels métiers, nous nous situons donc bien au coeur des attentes des entreprises. Mais cela demande un investissement important en R&D et innovation pour y répondre. Un logiciel de gestion de production, de supply chain, de gestion des ressources humaines… ce sont des centaines d’années/homme de développement.

 

En quoi est-ce difficile ?
Il faut pouvoir conserver la richesse fonctionnelle de nos produits développés sur de longues années, tout en intégrant les technologies et outils qui vont permettre de répondre à ces enjeux. C’est le travail que nous avons réalisé au cours des deux dernières années. Ce n’est pas encore terminé sur l’ensemble des gammes, mais c’est devenu une réalité avec un vrai succès auprès de nos clients.

 

Compétences « métiers », BI, mobilité… naturellement, on arrive sur le cloud. Pour un éditeur de logiciels BtoB, votre partenariat avec IBM dans un cloud privé, c’est LA bonne solution ?
C’est un contrat cloud computing de type IaaS, c’est-à-dire une « Infrastructure as a Service », qui nous permet de proposer à nos clients un univers de services cloud performant, sécurisé et évolutif, aux standards d’une compagnie mondiale, notamment sur les aspects de sécurité et de conditions d’accès aux données. Et ce cloud privé sera géré par des Français, en France, c’était essentiel pour nos clients. Sa localisation géographique permet de répondre à de nombreux enjeux, notamment en matière de conservation physique des données et de proximité avec nos équipes.

 

La croissance des ventes de solutions SaaS (+ 36 %) conforte vos choix de business model ?
Notre stock de contrats SaaS, facturable jusqu’en 2018, a atteint 50 millions d’euros sur 2012. Au cours des deux dernières années, nous sommes sur des progressions de portefeuille de plus de 50 % par an. Ce qui fait de Cegid l’un des acteurs européens les plus importants. Toutes les entreprises seront sans doute rarement 100 % cloud. Mais, dans un marché atone, le SaaS devrait permettre à certains éditeurs de mieux résister, voire croître en 2013.

 

Patrick Bertrand  « NOTRE DÉMARCHE EST ARTICULÉE AUTOUR DES BESOINS  “MÉTIERS”. »

En cette période difficile, sur quels métiers les entreprises continuent-elles d’investir ?
Les métiers de la paie et des ressources humaines continuent à être assez dynamiques, comme la profession comptable, du fait de leur évolution vers le SaaS. On a eu une fin d’année difficile notamment, bien qu’en croissance sur le manufacturing, et connu une nouvelle année de transition sur la partie secteur public.

 

Vous annoncez régulièrement des acquisitions, des partenariats. Quelle est votre stratégie dans ce domaine ?
Depuis trois ou quatre ans, notre logique partenariale est très forte et va s’amplifier. C’est très important de développer notre écosystème à trois niveaux. Embarquer du fonctionnel sur des niches d’applications métiers, c’est ce que nous faisons, par exemple, avec Kyriba et Sidetrade dans la finance, Francis Lefebvre dans la comptabilité-fiscalité, ou Esker dans la dématérialisation… Travailler avec de grands intégrateurs, qui ont de vraies compétences en matière de déploiement de projets. Le fait d’avoir formé des équipes, et d’avoir créé des centres de compétences sur les logiciels Cegid chez ces intégrateurs, permet à un moment donné de candidater ensemble auprès du client. Enfin, développer notre réseau de revendeurs, un schéma classique de « go to market » dans notre métier.

 

Cette chaîne de valeur sur trois niveaux vous permettra-t-elle aussi de vous renforcer à l’international ?
Surtout ! Mais, pour partir à l’international, il faut avoir fait une bonne analyse de son avantage compétitif. Dans nos métiers de gestion et de comptabilité, très locaux, c’est quasiment impossible de « compétiter » mondialement avec efficacité. Par contre, le retail, que l’on a beaucoup poussé, et le manufacturing, sont des domaines où encore peu d’acteurs globaux « métiers » sont capables d’accompagner les entreprises sur tous leurs marchés. Nous réalisons dans le retail plus du tiers du chiffre d’affaires à l’international. D’où notre présence que nous étendrons cette année aux Emirats arabes unis, à la Russie et au Brésil.

 

Vous avez été président de l’Afdel1 et du CNNum2. Vous êtes très impliqué dans l’e-éducation, auprès des jeunes…
Pourquoi cet engagement ?
D’abord une conviction personnelle et un tempérament. On parle beaucoup de RSE, mais la première responsabilité sociale d’une entreprise et de ceux, ou celles, qui les dirigent, est de s’impliquer dans ce qui constituera les éléments de dynamique de la société civile. Nous avons, personnellement, un rôle à jouer ! Il faut aussi faire progresser les autres dans la connaissance, notamment en matière de numérique. J’essaye donc de participer à cette chaîne, qui permet de transformer une expérience personnelle en une dynamique collective.

 

Fleur Pellerin vient de remettre en selle le CNNum, tout en se plaignant du nombre d’organismes représentatifs des entreprises de l’IT.
Qu’en pensez-vous ?
Fleur Pellerin a raison. Il est clair que, pour la_ sphère politique, le numérique étant aussi vaste que riche, il faut qu’il y ait des instances « compétentes » qui assurent un premier niveau de_ synthèse et d’éclairage sur des sujets aussi complexes que les big data, le cloud, la protection des données, la neutralité du Net… Je me félicite du choix de Fleur Pellerin de pérenniser le CNNum, même si sa composition, et donc son ADN, en a été profondément modifiée.

 

Un conseil à donner à ses membres ?
Le refus de l’eau tiède dans les avis qu’ils émettront.

 

1. Afdel : Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet.
2. CNNum : Conseil national du numérique.

 

Cet article est extrait du n°2 d’Alliancy le mag – Découvrir l’intégralité du magazine