Crowdfunding : à la croisée des chemins

Les plateformes de crowdfunding sont plus agiles que les banques traditionnelles, mais leur usage peine à se massifier. Leur appropriation passe par la confiance et par une communication sans faille à la fois auprès des investisseurs et des porteurs de projet. Dans ce contexte, seules les plus crédibles réussiront et se compteront sur les doigts de la main.

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CC BY-SA 2.0 © Rocío Lara

Le récent incident qui a conduit à la démission de Renaud Laplanche, le CEO de Lending Club aux Etats-Unis, ne doit pas être considéré comme les prémisses de la fin des plateformes de financement participatif (crowdfunding ou financement par la foule). Bien au contraire. Le marché est en plein essor et sa croissance devrait continuer à être soutenue, à la fois en France et dans le monde.

Toutefois, après l’euphorie des premières années, l’« industrie » du crowdfunding arrive à un tournant et se voit traverser la Vallée de la mort pour assurer son développement. Les plateformes doivent être à la fois en mesure de gérer la liquidité et d’assurer la transparence, indispensable à leur crédibilité.

Atteindre la taille critique

Dans un secteur fonctionnant sur un modèle peer-to-peer, où des particuliers prêtent ou investissent dans des projets portés par des particuliers ou entreprises, une des problématiques les plus importantes pour les plateformes est de poursuivre une croissance équilibrée, c’est-à-dire trouver des prêteurs-investisseurs au même rythme que les porteurs de projets. Elles doivent, pour pouvoir vivre, assurer une collecte minimale de 100 millions d’euros par an dans le segment du prêt (crowdlending).

Par exemple, Lendix, première plate-forme française de prêt aux entreprises, espère collecter 50 millions d’euros en 2016. Or, selon le Baromètre du crowdfunding 2015 réalisé par Compinnov pour l’association Financement participatif France, le montant total de la collecte en matière de prêts rémunérés s’élève à 31,6 millions d’euros. Sachant qu’il existe 13 plateformes « actives » (source : www.crowdlending.fr), c’est-à-dire proposant des projets à financer sur leur site, cela donne une idée de l’écart à combler pour atteindre ce seuil de rentabilité. Et toutes n’y arriveront pas, soit parce qu’elles n’ont pas les fonds propres suffisants, soit parce qu’elles n’arriveront pas à lever un deuxième tour de table pour tenir. C’est la raison pour laquelle certains professionnels du secteur s’attendent à une consolidation dans les 12 à 18 mois à venir.

Assurer la transparence

Avec des modèles d’évaluation du risque de crédit encore en cours d’apprentissage, certaines plateformes de prêt sont confrontées à des taux de défaillance, nécessitant l’ouverture d’une procédure judiciaire (redressement ou liquidation) bien supérieurs à ceux des banques : de 4 à 6 %, contre 1,55 % pour le taux global à un an en 2015 (source Banque de France). Et si la plupart disposent d’un agrément d’Intermédiaire ou de Conseiller en financement participatif leur imposant de communiquer des statistiques sur leur site, leur communication auprès des investisseurs en cas de défaillance s’avère hétérogène d’une plateforme à l’autre. Dans ce contexte, l’engouement des prêteurs/investisseurs de la première heure risque de peiner à se démocratiser, d’où la nécessité pour les plateformes d’élargir leur sourcing aux investisseurs institutionnels (banques, hedge funds, gestionnaires de portefeuilles, etc.), attirés par les taux d’intérêt élevés pratiqués. Ce faisant, elles fragilisent leur business model car ces investisseurs institutionnels prêtent des montants beaucoup plus importants que les particuliers : s’ils décident brutalement d’investir ailleurs, elles seront confrontées à des risques d’assèchement de liquidité, comme l’explique Philippe Gelis à nos confrères de Frenchweb (17 mai 2016).

Ce manque de liquidité concerne aussi bien le crowdlending – un contrat de prêt ne pouvant être cédé à un tiers -, que le crowdequity, car très peu de sorties ont été réalisées jusqu’à présent, les investisseurs restant bloqués au capital. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, désireux d’accompagner le développement de l’industrie, a annoncé de nouvelles mesures moins contraignantes et la création, à compter de juin 2016, d’un guichet unique destiné aux Fintechs (lire encadré). Par ailleurs, les institutions publiques et collectivités territoriales, à l’image de la Caisse des Dépôts, s’impliquent dans le soutien du crowdfunding en France, en co-investissant et en apportant ses projets d’investissement à une sélection de plateformes dans les domaines de la transition énergétique, l’économie sociale et solidaire, l’immobilier local et le tourisme.

L’émergence d’outils-tiers

Qu’il s’agisse du prêt ou de l’investissement en capital, le développement du crowdfunding passe par des outils-tiers. « Aucune plateforme n’ayant mis en ligne suffisamment de projets aujourd’hui, les investisseurs souhaitant minimiser le risque au maximum sont contraints de travailler sur plusieurs d’entre elles (1) et cela devient impossible à gérer sans agrégateur », affirme Mathieu George, créateur de crowdlending.fr, application proposant un accès unifié aux campagnes menées en France et mettant à disposition des outils de suivi des participations. Outre son agrégateur-comparateur, crowdlending.fr offre – via son forum – des informations émanant d’analystes financiers sur les projets des plateformes car, comme il l’indique : « tout un chacun ne sait pas forcément lire un bilan d’entreprise ».

Lancé lors de la fête du crowdfunding le 28 mai dernier, CrowdFundeurs.fr se veut être un agrégateur de flux innovant : réseau social dédié au crowdfunding, il fédère l’ensemble de ses usagers sur un même espace (contributeurs et porteurs de projet) et permet l’organisation d’événements et la création de groupes, tout en facilitant le partage de documents, de photographies, de vidéos et d’annonces. Il propose également un forum, des discussions instantanées et des sondages.

Le site Comparelend.com, start-up créée en 2015, propose un comparateur des offres publiées en ligne par ses 35 plateformes partenaires situées en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis afin d’aider les internautes à trouver le meilleur taux d’intérêt sur les offres de prêts aux particuliers et aux entreprises.

Certaines plateformes, comme Unilend avec Autolend, offrent aussi une fonctionnalité de gestion automatisée des offres de prêt selon des critères prédéfinis par l’internaute.

En matière d’investissement en capital, une application comme Tendr, accessible actuellement au Royaume-Uni (mais vouée à être développée au niveau européen), permet à l’internaute d’accéder à un maximum de présentations de sociétés via une seule plateforme : un simple « glisser à droite » lui permet d’être dirigé vers le site de crowdequity correspondant.

(1) D’après LendingRobot, l’outil d’automatisation des investissements fourni par Lending Club (prêts aux particuliers) aux Etats-Unis, le meilleur couple rendement/risque est atteint avec 146 prêts ! 

« Nous entrons dans une phase intéressante de développement de l’industrie »

François Carbone, président d'Anaxago. © Anaxago

François Carbone, directeur général d’Anaxago. © Anaxago

Le point de vue de François Carbone, directeur général d’Anaxago, plateforme de crowdequity

Certains acteurs confirment leur position, ont atteint l’équilibre et peuvent investir de manière plus confortable. Pour passer à l’étape supérieure, l’adoption par le grand public, ils doivent investir en communication et monter des partenariats extérieurs pour faire venir les porteurs de projets. Anaxago, qui vient de fêter ses quatre ans d’existence, a ainsi conclu des partenariats avec les plus gros acteurs de l’accompagnement des entreprises, comme le réseau Entreprendre et France Initiative, pour accéder à davantage d’offres, et est également en pourparlers pour des partenariats dans le sourcing de projets immobiliers. Notre but est d’offrir aux particuliers des investissements auxquels ils n’avaient pas accès auparavant, que ce soit dans les start-up et le capital risque ou dans l’immobilier, ce type d’investissement étant jusque-là réservé aux banques ou aux « club deals », souvent régionaux et informels. C’est la raison pour laquelle nous avons fait évoluer notre stratégie de mono-produit à plate-forme d’investissement.

La part de l’immobilier – activité initiée en 2014 – représente les deux tiers de notre activité globale (20 millions d’euros collectés en 2015) et devrait augmenter car le marché est porteur mais, pour juger du succès de ce type de financement, il faut pouvoir le comparer au marché en général. Ainsi, pour le capital innovation, un acteur deviendra incontournable s’il atteint 200 millions de financement, un chiffre qui passe à 1,5 milliard d’euros pour l’immobilier.

Autre évolution majeure, l’augmentation des montants moyens apportés : celle-ci a pour conséquence de faire monter les plateformes en maturité sur les deals proposés. Elles élargissent leur gamme et proposent des projets de sociétés plus matures, à la recherche de plusieurs millions d’euros. Le relèvement du seuil au-delà duquel les startups sont exonérées de l’obligation de publier la lourde documentation exigée dans le cadre des appels publics à l’épargne (voir encadré « réglementation ») devrait stimuler le marché.

Pour une réglementation « agile »

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a annoncé le 3 mai la mise en place d’une équipe dédiée au développement et à la régulation des start-up de la Fintech dont font partie les plateformes de financement participatif. Ce pôle commun à l’AMF et à l’ACPR aura pour objectif de les accompagner dans leurs démarches et d’encourager leur compétitivité face à la concurrence étrangère. Il s’agit également d’instaurer une régulation spécifique destinée à empêcher des dérives potentielles dans l’utilisation des données et la cybercriminalité notamment.

Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, a également annoncé de nouvelles mesures lors des 3èmes Assises de la Finance participative du 29 mars 2016 : les seuils des prêts sont relevés de 1 000 à 2 000 euros pour les prêts rémunérés et de 4 000 à 5 000 euros pour les prêts sans intérêt réalisés par le biais des Intermédiaires en financement participatif (IFP). Le seuil des collectes réalisées par les Conseillers en investissements participatifs (CIP) est, quant à lui, relevé de 1 à 2,5 millions d’euros. Ce relèvement permettra au crowdinvesting de prétendre au financement de montants de série A, compris entre 1 et 3 millions d’euros, au lieu d’être cantonné aux levées de fonds de startups naissantes et, par conséquent, très risquées.

Les personnes morales pourront, à partir d’octobre 2016, prêter en souscrivant des bons de caisse appelés « minibons » par l’intermédiaire des CIP ou des prestataires de services d’investissement*. Le ministre a par ailleurs annoncé qu’une expérimentation sera conduite d’ici la fin de l’année pour sécuriser les registres des minibons dans la blockchain.

* Ordonnance n° 2016-520 du 28/04/2016 relative aux bons de caisse