Stockage – Les datacenters jouent la proximité

Les datacenters fleurissent un peu partout en France, à l’initiative de grands groupes mais aussi de PME. Le mouvement devrait s’accentuer, même si les collectivités n’ont pas encore pris toute la mesure de l’enjeu.

Les datacenters fleurissent un peu partout en France, à l’initiative de grands groupes mais aussi de PME. Le mouvement devrait s’accentuer, même si les collectivités n’ont pas encore pris toute la mesure de l’enjeu.

Après l’inauguration de son premier datacenter, à Bouliac (Gironde), le 30 mai dernier, TDF a déjà prévu d’en ouvrir d’autres à Lille, Rennes, Lyon et Marseille d’ici à l’été 2014. Pour l’opérateur de diffusion français, ce déploiement vise à reconvertir et à rentabiliser des sites concernés par le passage de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre. « Notre plan d’investissement est de l’ordre de 3 à 4 millions d’euros par “Proxicenter”, explique Hubert Dezellus, responsable marketing de la division Télécoms de TDF. Dans les trois ans, nous espérons en réaliser une dizaine en privilégiant la colocation avec des opérateurs télécoms, des SSII, des hébergeurs, des collectivités locales, etc. Je suis convaincu qu’il existe un besoin d’infrastructures de proximité pour accompagner l’expansion de l’économie numérique. »

TDF n’est pas seul à faire ce pari. Les datacenters se multiplient dans l’Hexagone, pas seulement en région parisienne où se concentre la majeure partie de l’offre (Interxion, Bull, Equinix, Télécitygroup, Choreus Datacenter, etc.). La PME CIV, qui a ouvert, dès juillet 2010, un « Alternative Data Center » dans l’agglomération lilloise, annonce des ouvertures en 2014 à Valenciennes, puis à Amiens. Après un premier site à Marseille, en 2012, Choreus Datacenter ouvrira à Aubergenville (Yvelines) à l’été 2014. Orange a aménagé son centre de données à Val-de-Reuil, en Normandie, Toshiba et DCfor- DATA à Lyon, HITS Datacenter à Nantes et à La Roche-sur-Yon, Fullsave à Toulouse, Euclyde à Besançon et Sophia Antipolis, Bretagne Télécom à Châteaubourg, Jaguar Network à Marseille (voir carte ci-contre).

 

Anticiper les futurs usages
Pour Kevin Polizzi, P.-D.G. de Jaguar Network, qui a investi 10 millions d’euros dans un site de 8 000 mètres carrés à Marseille, l’externalisation des données informatiques vers des centres de proximité constitue une tendance durable. « Les PME ont compris que cette option leur revenait moins cher. Cependant, c’est un paradoxe étonnant du cloud computing, la plupart veulent conserver leurs données près d’elles et réclament un service “humain”. Un datacenter n’est pas qu’un immeuble avec des équipements ! »

Les collectivités locales encouragent souvent ce mouvement. Comme à Besançon où le datacenter Néoclyde, créé par l’opérateur français Neo Télécoms et l’exploitant Euclyde Data Centers, résulte d’une demande de la Communauté du grand Besançon désireuse d’en faire un pôle d’attractivité pour des entreprises. « En 2012, 70 % des solutions pour datacenters apportées par notre groupe ont été réalisées en régions, explique Damien Giroud, responsable grands projets datacenters de Schneider Electric. Même de petite ou de moyenne taille, certaines structures peuvent être très performantes. Il est important qu’elles s’organisent sur des modèles évolutifs et modulaires pour traiter, demain, les nouveaux usages numériques, liés aux villes ou aux réseaux intelligents. »

Les datacenters jouent la proximité

Le premier datacenter de TDF a été inauguré le 30 mai, à Bouliac (Gironde).

Le groupe chinois d’équipements télécoms et solutions réseaux ZTE y voit une opportunité d’accentuer sa pénétration du marché français. En mai, il lançait son opération « Les Pro’Numériques », destiné à présenter aux installateurs, distributeurs et intégrateurs ses produits dédiés, entre autres, aux datacenters. « La vidéosurveillance est souvent un point d’entrée auprès des collectivités, mais l’essor du très haut débit va inciter les communes à investir dans de nouveaux services », confie Antoine Jia, directeur commercial France de ZTE.

Les régions peuvent aussi attirer des « datacenters propriétaires » à vocation nationale. Leader français de l’informatique des pharmacies, Pharmagest a ainsi ouvert son propre centre à Villers-lès-Nancy, en Lorraine, « parce que les datacenters généralistes, dont le métier est éloigné du secteur de la santé, ne peuvent pas répondre aux exigences requises d’un traitement sécurisé des données de santé ». Les fédérations de caisses de retraite complémentaire Agirc et Arrco ont choisi d’implanter le leur à Gradignan (Gironde).

 

Rationalisation inévitable
Pour nombre de spécialistes, cependant, cette profusion d’ouvertures n’est pas sans risque. « La rentabilité n’est pas forcément au bout du chemin. A Paris, des millions d’euros ont été investis dans des centres dont les serveurs n’ont jamais fonctionné à plus de 20 ou 30 % de leur capacité », avertit le cofondateur d’Ipsip, grossiste IT européen de produits et solutions réseaux de communication. De plus, les collectivités territoriales, trop souvent mal informées, peinent à rédiger dans leurs appels d’offres des cahiers des charges à la hauteur des enjeux. Pire, elles se lient parfois au « moins-disant » sans se préoccuper de la capacité de l’installation à absorber leurs besoins futurs. « Or pour un même tarif, les offres peuvent être très différentes, certaines sans aucune résilience », insiste Sébastien Enderlé, président d’ASP Serveur, datacenter de La Ciotat, qui affirme héberger 17 % des sociétés du CAC 40.

Les questionnements persistants dans les entreprises comme dans les collectivités sur la sécurité et la confidentialité des données hébergées en datacenters freinent encore l’évolution. « Une paranoïa extrême ne se justifie pas, mais il est vrai que si l’Etat a su se protéger dans l’énergie, il n’affiche pas encore cette prise de conscience sur le numérique, alors que c’est l’industrie de demain », note Damien Giroud. Le risque apparaît d’autant plus pointu que, comme, dans les télécoms ou le photovoltaïque, une rationalisation s’opérera après la prolifération. Certains centres, aujourd’hui dans les mains de sociétés françaises, pourront tomber dans l’escarcelle de multinationales étrangères. Le prix à payer pour la maturité ?

 

Bernard Lecanu Président de l’Eudca, l’association européenne des datacenters

Bernard Lecanu
Président de l’Eudca, l’association européenne des datacenters

L’avis de…
Bernard Lecanu

Président de l’Eudca, 
l’association européenne des datacenters.

C’est un impératif de développer des infrastructures régionales. A Paris, comme à Londres ou Amsterdam, les datacenters sont dimensionnés pour absorber la demande d’une importante clientèle, apte à amortir de lourds investissements, même s’ils n’ont rien de comparable avec les datacenters chinois de 660 000 mètres carrés ! En région, le business est plus faible mais constitue un marché en devenir malgré le retard dû aux réticences des entreprises françaises à externaliser leurs données.

Parce que le coût de l’énergie, enjeu de premier ordre pour un datacenter, y reste peu élevé, la France, déjà troisième opérateur au monde dans ce secteur, a un rôle majeur à jouer. Je regrette que les autorités publiques n’en prennent pas la mesure. Localement, les élus ne semblent s’intéresser au sujet que pour recycler des bâtiments. J’ai rencontré en Europe dix-neuf ministres en charge de l’industrie ou des télécommunications. Je me suis battu pour déplacer de Londres à Nice le premier événement DataCentres Europe*, avec un millier de dirigeants européens. Mais, aucun ministre français n’a encore daigné me rencontrer ou se déplacer.

* www.datacentreseurope.com

 

Photos : © anaelb.com/D.R.

Cet article est extrait du n°5 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine