« Chez La Redoute, les mots-clés pour nos talents IT sont séniorité et ouverture d’esprit »

 

Jean-Cédric Costa est le chief information officer de La Redoute. La marque bien connue des Français a mené des transformations ambitieuses ces dernières années, servies par des équipes IT réinventées. Le CIO de l’e-commerçant détaille notamment les profils des talents qui les composent et la façon dont ils s’emparent de l’IA.

 

Quelle a été votre lettre de mission lorsque vous avez rejoint La Redoute en 2020 ?

 

La Redoute est une entreprise qui s’est constamment réinventée depuis 180 ans : de la vente par catalogue, qui a rendu la marque célèbre, nous sommes devenus la quatrième plateforme d’e-commerce sur le segment mode/maison en France, avec 36 millions de visiteurs mensuels au global, dont 20 millions dans l’Hexagone. J’ai rejoint l’entreprise pour moderniser et déployer la plateforme technologique qui nous permettra de franchir une nouvelle étape, notamment en matière d’excellence opérationnelle et d’hyperpersonnalisation, alors que 95 % de l’expérience client que nous proposons est aujourd’hui digitale. Derrière cette ambition, l’un des fondamentaux est de renforcer significativement l’exploitation des données et de l’IA.

 

Comment organisez-vous vos équipes pour réussir cette mission ?

 

Nous avons fait le choix de placer « la tech au centre ». En tant que CIO, je siège au comité exécutif, avec un rôle « groupe » couvrant l’ensemble des géographies, autour d’une seule vision stratégique. Mon périmètre inclut ainsi les sujets IT et digital, nos sites et applications mobiles, les applications métiers internes, la cybersécurité, la data et l’IA, mais aussi la prévention de la fraude client et la gestion des tunnels d’achat. Cette vision globale est un élément clé pour proposer une expérience client véritablement différente. Les équipes IT représentent un peu plus de 300 personnes, réparties à parts égales entre la France et le Portugal. Pour moderniser rapidement nos systèmes, notre enjeu est de recruter des compétences suffisamment expérimentées, connaissant bien le marché et le monde de l’e-commerce. Nous cherchons également des profils issus d’autres secteurs pour apporter une vision différente. Le ratio entre collaborateurs internes et externes évolue de manière tactique selon les projets, mais nous souhaitons toujours conserver un socle interne solide pour maîtriser la stratégie.

 
What's next, CIO ? - ETUDE « Le portrait-robot du CIO "AI ready" pour 2026 »
 

 

Plus précisément, quelles sont les compétences clés que vous souhaitez développer en interne ?

 

Sans aucun doute, l’architecture d’entreprise est une priorité, car nous transformons toute l’organisation. Nous voulons mieux détecter et coordonner les produits technologiques, tout en sortant d’une approche monolithique du système d’information. Les fonctions de product management sont également essentielles en ce sens. Il est crucial d’avoir les bonnes personnes à ces postes. Au cœur de l’IT, nous avons besoin de senior engineering managers et senior software engineers capables d’analyser l’impact de l’IA sur nos processus. Les mots-clés pour nos talents sont « séniorité », « ouverture d’esprit » et une forte expérience dans le passage à l’échelle des technologies. Il est aussi important de noter que les métiers de l’exploitation et des opérations IT ont connu des évolutions majeures ces dernières années. Nous sommes passés de profils « sachants », principalement exécutants, à des profils d’ingénieurs DevOps et SRE senior véritables owners, à l’image des product owners (PO). Enfin, je porte une attention particulière à la diversité des équipes. Je pense qu’il est essentiel de mélanger les années d’expérience au sein de La Redoute avec la vision de nouveaux arrivants, en intégrant une diversité géographique permise par l’anglais comme langue de travail, ainsi que des profils très experts, qu’ils soient issus du retail ou de la technologie.

 

Quels sont les résultats obtenus grâce aux transformations menées ?

 

Le travail accompli depuis cinq ans nous a permis de mettre en place un partenariat IT-métier avec une compréhension business de bout en bout. Les équipes IT parlent désormais le langage du business. Nous savons que l’entreprise dépend de systèmes legacy, mais si nous voulons véritablement transformer cet existant, l’enjeu n’est pas tant technologique que celui de l’unification de l’operating model du business, qui conduira à une évolution du SI. Ce choix a suscité des discussions intenses au sein de l’IT comme des métiers : il a fallu décloisonner les équipes entre elles… et je parle aussi des métiers de l’IT !

Un autre résultat est la compréhension des enjeux liés aux données et à l’IA au sein du comité exécutif. Début 2022, nous avons décidé de fusionner l’ensemble de ces équipes autour d’une gouvernance globale. Le comité exécutif oriente ainsi toute la discussion et évite de se limiter à des débats sur la répartition budgétaire. Ce que je constate, c’est aussi que le comité attend une proactivité bien plus forte de la part du CIO pour accompagner l’innovation. Cela me semble particulièrement important pour éviter les buzzwords et l’effet de mode autour de l’IA. L’enjeu est de passer à l’échelle ce qui fonctionne. En 2026, nous allons par exemple étendre nos services « La Redoute + » à toute l’Europe. Nous voulons capitaliser au maximum sur les réussites identifiées dans chaque pays pour les déployer ailleurs.

 

Concrètement, quels sont vos projets IA dans ce contexte ?

 

Notre premier chantier a été lancé il y a un an, avec un déploiement prévu en 2026 : il s’agit de la création d’une plateforme data/IA s’appuyant sur Microsoft Azure et Databricks. L’objectif est de structurer l’ensemble des données de l’entreprise, avec une gouvernance adaptée et des objets cohérents, partagés par tous. Cela nous permettra de sortir d’un monde où l’habitude était de stocker dans les systèmes des données non structurées, souvent de qualité insuffisante.

En parallèle, nous avons avancé sur des cas d’usage pour améliorer la relation client en France. Nous avons mis en place un premier niveau de chatbot pour répondre aux questions génériques, déployé sur le web et sur notre application mobile, puis plus récemment sur WhatsApp et Messenger. Les avantages sont nombreux : nous avons mesuré une augmentation de la satisfaction client, alors que 60% des contacts ne nécessitent pas d’escalade vers un agent humain, et évalué qu’un euro investi en génère entre 60 et 70 en retour. Cette démarche a également permis à toutes les équipes de travailler sur les données de base, notamment les FAQ, et sur la vision de l’expérience client. Cela ouvre la voie à la personnalisation des réponses en fonction du contexte utilisateur. La plateforme data et API est clé pour y parvenir, car elle nous permettra, par exemple, d’analyser les échanges téléphoniques avec les clients pour comprendre leurs sentiments et la valeur des réponses apportées. En parallèle, nous travaillerons sur le potentiel de l’agentic AI pour mieux suivre l’expédition des colis ou détecter proactivement les anomalies sur les commandes.

 

Et au sein de l’IT, quels sont vos cas d’usage ?

 

Je souhaite avant tout éviter les promesses liées à l’effet de mode. Les équipes de software engineering ont étudié les capacités concrètes de l’IA depuis plus d’un an. À ce stade, nous n’envisageons pas de génération de code automatique. L’avantage principal réside pour nous dans l’accélération de la transformation du patrimoine applicatif. L’IA permet de mieux interagir avec les parties du SI reposant encore sur des technologies legacy, comme des langages anciens. Une personne ne connaissant pas le Cobol peut ainsi interroger le système et en comprendre les rouages : documentation, analyse, premiers éclairages… Pour nous, la valeur est bien plus claire que l’idée selon laquelle « l’IA va coder à ma place ». Cela reflète aussi la maturité de nos équipes : elles ont le recul nécessaire sur les pratiques de software engineering dans différents contextes et veulent résoudre des problèmes bien identifiés.

 

Ces cinq années de transformation ont-elles apporté des évolutions dans votre relation avec vos prestataires ?

 

De manière générale, l’adoption du cloud a représenté une formidable opportunité. Les capacités d’évolution rapide et l’innovation apportées par les leaders technologiques sont indéniables. Cependant, nous observons des approches de plus en plus agressives en matière de politique tarifaire, visant à rentabiliser leurs investissements dans l’IA. Notre stratégie consiste à limiter les risques de vendor lock-in et à ne pas multiplier le nombre de prestataires. Nous privilégions des partenariats ambitieux, tout en réduisant au maximum les dépendances.

Avoir des compétences expertes en interne sur l’architecture d’entreprise est fondamental. Cela ne se limite pas à identifier des fonctionnalités utiles sur le marché. C’est ce qui nous permet de répondre au cas par cas à la question : « Dois-je opter pour l’open source, une solution managée ou une solution interne ? » Cela est aussi crucial pour établir des partenariats solides et réalistes : pour qu’une relation soit pérenne, il faut identifier les besoins réels et pouvoir challenger les partenaires sur ce qu’ils apportent. Cela nous permet également d’évaluer précisément ce que représenterait une concentration trop importante chez un même partenaire, et de renégocier tous les contrats sur le fond… sans se contenter d’une discussion sur les prix ! Ce niveau d’exigence est sain et nécessaire.

 

Quelle place occupent les alternatives françaises dans votre stratégie ?

 

Il y a effectivement un enjeu géopolitique actuellement… même si notre activité ne nous amène pas à manipuler des données stratégiques au sens de la souveraineté nationale. Notre implantation internationale est avant tout européenne, ce qui nous permet de bénéficier d’un cadre stable et de privilégier des alternatives européennes. Avec des entreprises comme Mirakl sur les marketplaces, nous travaillons avec des champions crédibles, dont nous sommes ravis de nous entourer ! Pour faire valoir des alternatives face à nos partenaires historiques, nous avons besoin d’arguments solides. Nous ne pouvons donc qu’encourager l’émergence et la croissance d’acteurs locaux.