Le difficile chemin des champions français : le cas d’école Doctolib

 

La France s’enorgueillit, à raison, de la vigueur de sa jeune scène tech. « L’élan startup » donné depuis le milieu des années 2010 n’a certes pas toujours été un long fleuve tranquille, mais il a contribué à densifier un écosystème et à créer une attractivité pour des idées et des métiers bien différents du reste de l’économie. La possibilité d’avoir des alternatives technologiques hexagonales, face aux propositions des logiciels américains, n’est pas une mince affaire. Pour être crédibles, ces alternatives doivent croître, passer à l’échelle et faire en sorte, justement, de ne pas être cantonnées au marché français. Car les grandes entreprises, pour la plupart, ne sont pas à l’aise avec de simples « leaders français » comme prestataires : elles veulent des champions européens, ou plus ambitieux encore, pour répondre à leurs exigences. Or, pour passer des jeunes pousses pleines d’allant à de tels champions, le chemin est difficile. Surtout qu’en grandissant, le soutien s’érode et les critiques commencent à pleuvoir ! La France veut des champions tech, mais se méfie en même temps de leur réussite. Le cas Doctolib est, à cet égard, saisissant.

 

Coup de massue

 

Alors qu’a été annoncée la nouvelle promotion 2030 du programme French Tech, avec son lot de pépites promettant des ruptures innovantes, une autre actualité s’est imposée cette semaine. L’emblématique scale-up de la santé, Doctolib, a été condamnée à une amende de 4,6 millions d’euros pour abus de position dominante dans le secteur de la prise de rendez-vous médicaux en ligne, par l’Autorité de la concurrence. Un coup de massue pour la jeune entreprise créée en 2013 et qui avait annoncé être rentable cette année.

 

Croissance externe d’une banalité absolue

 

« Doctolib va faire appel de la décision de l’Autorité de la concurrence. Conséquence d’une plainte vieille de 2019, cette décision présente une lecture erronée de notre activité et de notre secteur », a immédiatement réagi l’entreprise, alors que le montant de l’amende représente près de 10 % de son chiffre d’affaires. De son côté, l’Autorité de la concurrence estime qu’alors que l’entreprise représente entre 70 et 90 % du marché de la prise de rendez-vous médicaux en ligne, un certain nombre de ses choix (clause d’exclusivité dans ses contrats — retirée depuis —, regroupement de son logiciel avec les services de téléconsultation, ou encore rachat du concurrent MonDocteur en 2018) sont le signe d’un abus de cette position dominante. Une analyse que conteste la championne de la tech française : « Malgré notre fort usage par le grand public, Doctolib est un acteur récent dans le secteur des logiciels pour les soignants (trois fois plus petit que nos concurrents européens) et n’équipe aujourd’hui que 30 % des soignants français (10 % en 2019, au moment de la plainte). Nous avons bousculé un marché endormi et verrouillé depuis 30 ans. Notre seul et unique objectif, depuis le premier jour, est de développer des solutions fiables, sécurisées et sans engagement, qui facilitent la pratique quotidienne des soignants et contribuent à rendre les patients en meilleure santé. » Elle s’étonne également de se voir reprocher, sept ans après l’acquisition d’une start-up « qui équipait 2 % des soignants au moment du rachat », une « opération de croissance externe visant à regrouper deux PME pour innover plus rapidement, d’une banalité absolue dans la vie d’une entreprise ».

 

Qu’aurait dû faire Doctolib ?

 

L’épreuve est importante pour Doctolib, mais nul doute que ses dirigeants voient dans cette décision une preuve supplémentaire des contradictions qui parcourent la société française : l’envie d’avoir ses propres champions pour ne pas trop dépendre des technologies américaines se retrouve vite confrontée à la réalité des chemins de croissance semés d’embûches que le pays impose à ses petites entreprises.
Car on peut légitimement se poser la question : qu’aurait dû faire différemment Doctolib pour s’imposer, sans risquer un retour de bâton des années plus tard, qui donne maintenant l’impression d’être surtout une façon mesquine de punir l’entreprise pour sa réussite ?