Jean-Baptiste Faure est Group CIO du réassureur SCOR. Il décrit comment le plan stratégique de l’entreprise a amené à une prise en compte différente des sujets Data et IA, et les quatre piliers qui supportent son action pour les mois à venir.
Cet entretien est issu de notre série d’interviews « What’s next, CIO ? » qui revient tout au long de l’année sur les priorités et visions d’avenir des CIO stratèges.
La place du numérique a-t-elle évolué chez SCOR ces dernières années ?
J’ai rejoint SCOR en tant que DSI il y a 18 mois, quelques mois après l’arrivée de Thierry Léger en tant que CEO et de Claudia Dill comme Directrice des opérations. Le plan stratégique « Forward 2026 », qu’il a lancé en 2023 avait pour ambition de transformer profondément l’entreprise à travers la Data et l’IA, avec notamment la volonté de dynamiser le rôle de la technologie au service des métiers. Très vite, je me suis aperçu que nous pouvions nous appuyer sur des fondations solides au sein de SCOR : l’informatique était déjà une belle machine avec 94 % de taux de satisfaction en interne. L’objectif était dès lors de faire de cet atout technologique un véritable différenciateur pour les prochaines années.
Comment est organisée votre informatique exactement ?
L’informatique de SCOR est centralisée et globale avec un parc applicatif d’environ 500 applications. Nos 3 600 employés sont présents dans 38 localisations dans le monde. La DSI se compose de 300 internes et d’environ 500 externes. Nous sommes une entreprise mondiale à taille humaine, dotée d’une organisation agile et expertise reconnue dans l’ensemble des métiers de la réassurance.
Quelle est votre stratégie IT actuelle ?
Elle est constituée de quatre piliers. D’abord, l’industrialisation : nous sommes aujourd’hui à 100 % dans le cloud Microsoft Azure. Pour y parvenir, nous avons donc fait beaucoup de « lift & shift ». Pour bénéficier pleinement de cette infrastructure, nous voulons dorénavant aller plus loin en industrialisant l’approche « cloud native ». Au-delà de l’infra, c’est l’ensemble de nos processus qui doivent être revisités pour s’adapter au renforcement des réglementations dans le monde mais aussi à l’impact de l’IA sur nos processus tech.
Nous appelons le deuxième pilier « Tech of tomorrow » : autrement dit, comment se préparer à l’émergence massive de l’IA et accélérer notre utilisation de la Data. L’ambition est de compléter nos fondations d’architecture, renfoncer nos plateformes de data, les couches d’intégration mais aussi modulariser nos systèmes métiers historiques pour les ouvrir et permettre l’adoption des nouvelles technologies. En matière d’IA, c’est devenu tellement incontournable qu’il est essentiel de pouvoir filtrer ce qui a vraiment de la valeur pour notre métier. Cela passe notamment par l’excellence de notre software engineering. Notre plan prévoit le renforcement de nos pratiques de développement. Contrairement à certain, je pense que le software engineering est et restera la clé de voute de tout système d’information agile et évolutif.
Enfin, les compétences sont clés. Une entreprise ne peut pas vraiment bénéficier des tendances actuelles du numérique si elle n’a pas des talents internes qui comprennent finement la technologie et sont formés. Nous cherchons donc à augmenter notre niveau expertise mais également notre ratio d’interne/externe.
Quels sont les deux autres piliers stratégiques ?
Le troisième pilier s’inscrit dans la continuité de cette vision : c’est la transformation de notre approche de sourcing. Historiquement, SCOR était trop externalisée. Face à ce constat, nous souhaitons tendre vers 50 % d’internes en ouvrant des centres dédiés avec de nouveaux talents. En parallèle, nous redéfinissons nos parcours professionnels pour déterminer les rôles et compétences dont nous aurons besoin dans le futur. L’ambition est de faire évoluer les compétences de nos collaborateurs vers les métiers du futur en proposant des parcours individuels et collectifs. Ce volet humain de la transformation est probablement le plus complexe mais aussi le plus passionnant. Heureusement, chez un réassureur, la matière première est abondante pour les talents du numérique : modèles mathématiques innovants, défis intellectuels, enjeux sociétaux concrets … Cet univers métier est idéal pour attirer des talents !
L’autre face de cette pièce, c’est la nature de nos partenariats avec les prestataires technologiques. Nous avions de nombreux fournisseurs… Aujourd’hui, nous voulons nous concentrer sur sur un choix plus réduit, avec des relations de plus long terme, pour bénéficier de leur vision sur l’évolution de l’IA et nous permettre d’apprendre plus vite. Nous voulons bâtir un écosystème autour de nous pour nous soutenir dans notre transformation IA et que nos talents internes puissent développer leur créativité au contact de ces tiers. La stratégie globale consiste donc à doubler les effectifs internes tout en rationalisant fortement les partenariats tech.
Et le numérique responsable dans tout cela ?
C’est justement le dernier pan de la stratégie : l’ESG. Nous avons l’ambition d’utiliser la tech comme levier d’impact environnemental. Adopter des pratiques de développements éco-responsable et des principes de frugalité fait partie de notre culture d’excellence technologique. En parallèle, nous avons la conviction que la créativité est au cœur de l’efficacité pour résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Et qu’elle se nourrit de la diversité des équipes que nous cultivons activement.
Quelle image du rôle de DSI cette stratégie renvoie-t-elle selon vous ?
Le métier de la réassurance, nourri de la data, peut bénéficier énormément de la technologie. Ma mission en tant que DSI est bien sûr de trouver les bonnes technologies innovantes, tout en évitant de m’éparpiller et de me perdre au milieu de tout le bruit marketing qui règne sur le marché. Pour cela j’ai besoin de m’appuyer sur une équipe solide, force de proposition, curieuse, réactive et experte dans leur domaine. L’enjeu RH me semble aussi important que la dimension technologique dans le rôle d’un DSI d’aujourd’hui et de demain.
Alors que vous renforcez vos partenariats de long terme avec quelques acteurs, quel regard portez-vous aujourd’hui sur les dépendances technologiques qui lient de plus en plus les entreprises vis-à-vis de leurs grands fournisseurs ?
Les dépendances vis-à-vis des fournisseurs ont toujours existé : nous en avons juste beaucoup plus conscience aujourd’hui. D’un point de vue stratégique, la clé réside, je pense, dans la notion de multi-partenariat. Il faut être pragmatique : accepter d’abdiquer une part d’indépendance pour accélérer l’innovation et gagner en agilité. La dépendance ne se réfléchit donc pas en principes absolus, mais en termes d’horizon et de phases successives de transformation. Prenons l’exemple de l’IA : nous utilisons des outils de certains fournisseurs qui sont arrivés en premier sur leur marché. Mais demain, avec les nouveaux développements, il sera probablement facile de passer en mode multi-fournisseurs, et de réduire la dépendance à ces pionniers. Il faut donc se protéger contractuellement en attendant. Dans notre approche, nous anticipons donc surtout avec nos partenaires le partage de la valeur. Cela implique des éléments contractuels d’ajustement et de flexibilité sur le long terme. C’est pour cela qu’il ne s’agit pas seulement d’avoir une relation client-fournisseur, mais de vrais partenariats multiples.
L’accélération IA que nous vivons depuis plusieurs mois peut-elle changer la donne ?
Effectivement, la chaîne de valeur des fournisseurs de services historiques est en train d’être bouleversée avec l’IA. Et c’est justement l’occasion de redéfinir les partenariats, de trouver un optimum nouveau dans la relation. Dans le contexte actuel, les relations client-fournisseur à l’ancienne vont conduire à des impasses. Beaucoup veulent garder la boîte noire de l’IA à leur avantage. C’est pourquoi il faut changer les règles du jeu avec ceux qui sont prêts à faire les efforts nécessaires. Je pense que consacrer de l’énergie pour aller trouver ces partenaires de confiance est vraiment stratégique.
Mais peut-on sortir facilement d’un tel partenariat de long terme ?
La réversibilité vient aussi de notre capacité à avoir les compétences internes pour l’exécuter. Avec 60 % d’ingénieur en interne qui connaissent parfaitement la technologie, je garde la main. Si je décide un jour de sortir d’un partenariat, je sais exactement ce que nous avons confié, à qui et dans quelles conditions. Réversibilité, contractualisation, choix entre le « make » or « buy » … C’est un équilibre général à trouver. Et c’est ce qui fait le succès d’une transformation IT ambitieuse.
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