GovTech : les Etats ont-ils dépassé le Proof-of-Concept ?

Ce jeudi 14 novembre se tenait la deuxième édition du sommet des GovTech organisée au palais Brongniart à Paris. Plusieurs représentants de gouvernements (Estonie, Italie, Rwanda, France …) ont partagé un bref état d’avancement des solutions technologiques qui transforment les services publics. Constat général : adresser le sujet de l’inclusion numérique n’a jamais été aussi important.

La deuxième édition du GovTech Summit s'est tenu au palais Brongniart place de la Bourse à Paris le 14 novembre.

La deuxième édition du GovTech Summit s’est tenu au palais Brongniart place de la Bourse à Paris le 14 novembre.

A première vue, le sommet des GovTech ressemble à une grande parade vantant les réussites de transformation de l’action publique. “ Le marché des GovTech est estimé à 16 milliards d’euros sur les 200 milliards dépensés en commande publique par an, insiste Daniel Korski, CEO de Public, fonds d’investissement organisateur de l’événement. C’est plus que l’Allemagne et le Royaume-Uni”. 

Mais le pragmatisme vient vite refroidir les esprits. “J’ai la conviction que l’action publique vit un moment critique de son histoire et tous les acteurs dans cette salle peuvent contribuer à démêler cette situation.” lance Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris avant d’admettre que “les acteurs publics sont sans doute un peu en retard – et je pourrais être plus sévère – pour intégrer de l’innovation”. Il évoque aussi un problème de crise démocratique majeure avec une critique vive à l’égard de l’action publique. Autrement dit, les Etats sont obligés d’aborder l’inclusion numérique pour se transformer.

L’Estonie, le bon élève des GovTech

Lorsqu’on évoque les GovTech, on ne peut passer à côté de l’Estonie. Depuis son indépendance vis-à-vis de l’ex-URSS en 1991, le petit pays de l’Est a choisi de miser sur les nouvelles technologies pour se démarquer. Les estoniens peuvent entre autres récupérer une ordonnance médicale, voter, payer leurs impôts en ligne… 

Côté entrepreneuriat, le pays a lancé en 2014 un projet de e-résidence qui ouvre la possibilité à n’importe qui d’obtenir une identité numérique pour créer une entreprise ou encore ouvrir un compte en banque. Une dynamique qui semble porter ses fruits puisque l’Estonie détient l’un des plus hauts taux européens de start-up par habitant.

Kersti Kaljulaid, présidente de l'Estonie et Kirsty Innes, Head of Tech and Economy du Tony Blair Institute

Kersti Kaljulaid, présidente de l’Estonie et Kirsty Innes, Head of Tech and Economy du Tony Blair Institute

“Au moment de l’indépendance, il a été question de créer un système d’imposition pour un pays qui ne compte certes qu’un million d’habitants, mais réparti sur un territoire aussi grand que celui des Pays-Bas, clarifie Kersti Kaljulaid, présidente de l’Estonie. Nous avons décidé de basculer ces démarches en ligne, en collaboration avec le secteur privé.”

Ce secteur privé – notamment les banques – n’a pas voulu assumer la responsabilité vis à vis des données critiques collectées. Donc le gouvernement a créé son propre système d’identité digitale basé sur X-Road, une plateforme blockchain qui permet le transfert de données de façon décentralisée.

“Aujourd’hui je ne comprends pas pourquoi des citoyens en arrivent à faire plus confiance à Google et Facebook que leur gouvernement. Vous devez simplement démontrer que le digital est plus sécurisé que le papier… et créer un cadre légal adapté pour que la technologie puisse servir toute la nation, et non pas seulement le petit nombre”.

GovTech : une affaire d’Etat ?

De gauche à droite : Karine Picard (Oracle), Danielle Battisti, (Gouvernement italien), Paula Ingabire (Gouvernement rwandais), Vincent Paris (Sopra Steria), Cédric O (Gouvernement français) et Lisa Witter (Apolitical)

De gauche à droite : Karine Picard (Oracle), Danielle Battisti, (Gouvernement italien), Paula Ingabire (Gouvernement rwandais), Vincent Paris (Sopra Steria), Cédric O (Gouvernement français) et Lisa Witter (Apolitical)

“Entre un et dix, à combien évaluez-vous le progrès des GovTech ?” demande Lisa Witter, co-fondatrice de la plateforme Apolitical et une des modératrices du débat. “Sept ! mais pas sans dégâts…” commence Danielle Battisti, membre de l’équipe de transformation digitale du gouvernement italien. “Sept aussi… les GovTech sont prometteuses et ont un grand potentiel d’évolution” ajoute de concert Paula Ingabire, ministre rwandaise de l’Information et des communications, de la technologie et de l’Innovation.

Le Secrétaire d’État français chargé du Numérique Cédric O se déclare pour sa part plus pessimiste : “Je dirais six et je pense que les quatre points restants sont les plus durs à surmonter. Nous avons démontré le Proof-of-Concept mais nous sommes encore loin de transformer l’Etat en profondeur… De la même manière en France, il reste encore une personne sur cinq qui n’utilise pas encore internet.” 

L’inclusion numérique est donc le challenge le plus important à ses yeux et elle nécessite des efforts en matière de pédagogie pour renforcer la confiance. Un avis partagé par Danielle Battisti : ‘Si la digitalisation bénéficie seulement aux élites, c’est un échec pour les gouvernements. L’italie a un des taux européens les plus faibles en terme d’absorption des nouvelles technologies… mais ce phénomène d’exclusion concerne toute l’Europe. Il faut s’efforcer d’instaurer la confiance.”

De quelle façon ? Paula Ingabire pense qu’il faut ouvrir la data et s’assurer qu’elle reste anonyme pour pouvoir créer des solutions pertinentes. L’Etat doit aussi plus s’ouvrir : “Concernant les partenariats, il est nécessaire que les gouvernements fassent confiance aux innovateurs privés comme les start-up” ajoute-t-elle. 

Cette grande cérémonie de célébration de l’ “Etat numérique” aura eu le mérite de ne pas concevoir les solutions technologiques comme une fin en soi mais comme un projet de société qui doit s’adresser à tous. D’ici la prochaine édition en 2020, il sera intéressant de constater à quel point les actes suivront les discours.