Nicolas Sadirac (42) : « Il n’y aura plus besoin de connaissances dans les métiers du numérique »

Nicolas Sadirac (Article)

Nicolas Sadirac, cofondateur et directeur général de l’école 42

HEC et l’école d’informatique 42 ont signé un partenariat pour favoriser la création de projets innovants et de start-up. La rentrée commune est prévue pour le 14 septembre prochain. Nicolas Sadirac, cofondateur et directeur général de l’école 42, explique la genèse de cette alliance et livre son état des lieux du système éducatif français.

Comment s’est monté ce partenariat 42-HEC ?

Je connais Julien Lévy (ndlr, Directeur du Centre digital d’HEC) depuis une quinzaine d’années. Nous avons déjà monté plusieurs projets ensemble, donc ce partenariat s’est fait assez naturellement. Julien Lévy et moi-même sommes persuadés que la créativité vient très clairement des rencontres et des différences. Cela fait déjà deux ans que nous expérimentons cette association. Nous avons vu que le résultat était ultra positif pour nos étudiants et pour ceux d’HEC. Nous avons commencé à une toute petite échelle avec une cinquantaine d’étudiants puis l’année d’après nous sommes montés à une centaine. Nous avons fini par formaliser ce projet car nous voulons approfondir l’enseignement.

Quel a été le résultat de cette expérimentation ?

L’an dernier, nous avions démarré un programme d’accélération dont le but était de monter 17 projets. Sauf qu’à la fin, nous ne nous sommes pas seulement retrouvés avec 17 projets finalisés…mais avec 15 sociétés créées ! C’est grâce au mélange de ce qu’apporte les deux écoles qu’on n’est pas resté dans de l’abstrait.

Quel est votre rôle dans ce programme commun avec HEC ?

Toute la partie numérique… et pas seulement le code. Coder est assez simple. Le problème est de déterminer ce qu’on en fait. Ce que nous mettons donc en avant dans le programme c’est le côté co-créatif. Le problème qui existe aujourd’hui est simple : il y a des compétences chez plein de monde, il faut juste que chacun puisse rebondir sur les idées des autres. Cela va au-delà du travail collaboratif car il ne s’agit pas juste de résoudre un problème mais bien d’être imaginatif ensemble. Nous voulons éviter la situation de la réunion où l’informaticien ne s’occupe que de la partie informatique. En restant ancré dans un milieu, vous vous stérilisez. Tout le monde pense la même chose et rien de neuf n’en sort.

L’école 42 a-t-elle déjà créé des partenariats avec d’autres établissements ?

Nous travaillons avec les plus jeunes : nous avons un projet avec des CE2 et nous allons aussi recevoir 250 collégiennes aux vacances de la Toussaint. Nous expérimentons beaucoup pour les filles car nous n’avons que 10% d’étudiantes à 42… même si ce n’est pas si mal pour le secteur. Souvent, celles que nous recrutons ont quelque chose qui les rend un peu atypiques. Mais ce n’est pas pour autant qu’on pratique la discrimination positive. Quand on recrute un étudiant, on ne cherche pas une femme ou un homme. De la même façon, on ne s’intéresse pas aux diplômes, un peu comme à la Légion.

D’où viennent les étudiants de 42 ?

C’est extrêmement divers. 40% des étudiants n’ont pas le bac et à peu près 40 % n’ont jamais programmé. Ne pas savoir programmer n’est donc pas un facteur discriminant. Nous recherchons surtout des personnes capables de travailler en équipe. Nous leur demandons de faire des choses très simples qu’ils n’ont pas l’habitude de faire dans d’autres écoles. Ce qui nous intéresse le plus c’est leur capacité d’adaptation. Au final, ce n’est pas un gros avantage d’avoir déjà programmé.

Plus précisément, recherchez-vous des profils spécifiques ?

De manière générale, en France, la typologie de personnes dont on a besoin ne correspond pas du tout à la typologie que l’on forme. Aujourd’hui, les individus doivent être agiles, innovants et collaboratifs, plutôt que d’avoir beaucoup de connaissances. Toutes les connaissances sont facilement disponibles. Il vous suffit de poser la question sur Google pour trouver la réponse. Le problème majeur d’un étudiant est plutôt d’imaginer une solution face à un problème parfois complexe. Les écoles ont tendance à assener des vérités. C’est tout le problème du système éducatif français, occidental voire même mondial. Une fois sur le marché du travail, un jeune diplômé n’a pas l’habitude de prendre des risques pour proposer des solutions.

Selon vous, il faut former les jeunes à des compétences plutôt qu’à un métier ?

Oui, mais le terme de compétences est compliqué. On passe actuellement d’un système de hard skills, où une liste de compétences fixée doit être acquise, à un système de soft skills qui rend des gens capables d’utiliser les compétences variées d’une communauté. Aujourd’hui, on est dans une course à l’échalote ! Les individus ont des formations de plus en plus compliquées et sont de moins en moins flexible, alors que le marché lui-même est de plus en plus flexible ! On pense à tort qu’il faut former les gens en leur apportant des connaissances et pas en les rendant autonomes. C’est difficile pour une institution de se dire qu’on forme des étudiants sans être forcément présent. A 42, nous travaillons surtout en mode projets. Quand on en parle avec d’autres écoles, elles sont motivées par ce modèle. Mais quand on leur annonce qu’il va falloir supprimer 300 heures de cours théoriques, ça coince ! Et souvent principalement une question d’ego de professeur.  

Le système d’éducation français n’est plus adapté ?

Le travail d’un professeur n’est plus d’inculquer de la connaissance à l’étudiant car il n’a plus besoin de la stocker dans son cerveau. Dans 10 ans, il pourra y accéder par la simple pensée. Dans quelques années, vous aurez peut-être des enfants qui auront du mal à faire la différence entre leur propre connaissance et la connaissance commune permise par Internet. Il n’y aura donc plus besoin de connaissances spécifiques dans les métiers du numérique. Et cette tendance s’étendra à tous les secteurs. C’est juste que dans nos métiers ce sont les ordinateurs qui travaillent.

Comment expliquez-vous que l’Education nationale évolue si peu et que ce soit le privé qui prenne, comme vous, les devants ?

On vit un changement qui va trop vite pour des institutions de la taille de l’Etat. En plus, la France a un vrai handicap : elle est ultra centralisée. Il faudrait que l’Etat laisse les universités, les lycées et les collèges faire ce qu’ils veulent. On croit qu’on peut appliquer une solution à tout le monde : c’est complètement faux ! On voit bien que ça ne marche pas car il n’y a aucune raison qu’un petit groupe au sein de l’Etat ait les meilleures idées. Notre système éducatif est clairement monolithique. On a 800 000 écoliers mais ce sont 800 000 personnes différentes. De plus, il faut être capable de comparer et d’accepter de se planter pour évoluer. C’est peut-être pour cela que l’on n’est pas assez souple : on a peur et on ne sait pas dire stop. Le privé a l’avantage d’être darwinien : quand un projet ne marche pas, il meurt, c’est tout. Un autre prendra sa place.

Quel est le modèle éducatif idéal ?

Paradoxalement, le modèle français était efficace ! Il fonctionne moins bien maintenant parce que l’environnement concurrentiel mondial change la donne. Dans un système, le changement est très pénible quand on est l’un des leaders. Les anglo-saxons passent beaucoup de temps à regarder ce que nous faisons car ils savent que nous sommes des gens « tordus » et que nous pouvons créer des disruptions violentes. Nous sommes un pays de sanguins, qui a du mal à évoluer progressivement… mais qui a tendance à faire des révolutions.
Malgré tout, le modèle que je préfère est la classe inversée : c’est le rêve pour n’importe quel professeur car il n’a plus besoin de répéter tous les ans la même chose. Faire la classe inversée à des enfants de six ans, c’est naturel. Des pays, comme la Corée du Sud, ont ce modèle et prennent le virage numérique de façon impressionnante. Ils ont une ouverture d’esprit incroyable : ils  font des expériences de tout, même quand cela parait ridicule.

Il faut tout essayer pour réussir ?

Tout à fait. En ce moment à 42, on teste des cours de développement personnel avec de la méditation. On n’a aucune idée si ça va marcher… et on s’en fiche ! Le système éducatif français essaie à tout prix d’être cohérent, alors que moi je ne sais pas réfléchir ainsi. Je suis plus dans une logique expérimentale que dans une logique déductive. Si demain j’ai un cours de danse bretonne et que tout monde est bon là-dedans, je le mettrai au programme. Je n’ai aucun scrupule à faire n’importe quoi !