Bruno Sportisse (Inria) : « Nous nous assumons pleinement par notre impact économique »

PDG d’Inria depuis un an, Bruno Sportisse, qui finalise actuellement le nouveau Contrat d’objectifs et de performance de l’Institut avec l’Etat, revient sur la signature récente d’un partenariat avec Bpifrance visant à amplifier la création et le développement de 100 start-up numériques Deeptech par an d’ici à 2023.

Bruno Sportisse

Bruno Sportisse a été nommé PDG d’Inria le 27 juin 2018 par décret du Président de la République. Polytechnicien et ingénieur en chef du corps des Ponts et Chaussées, il est également docteur en mathématiques appliquées et titulaire d’une habilitation à diriger des recherches.

Alliancy. Cet automne, vous devriez signer votre nouveau Contrat d’Objectifs et de Performance (COP) avec vos deux ministères de tutelle (Recherche et Industrie) pour la période 2019-2023. Un mot à ce sujet ?

Bruno Sportisse. Le socle de notre projet pour les années à venir est de dire qu’Inria est un outil public visant à construire un leadership scientifique, technologique et industriel dans le numérique et par le numérique. Nous nous assumons pleinement par notre impact économique.

Aussi, cette nouvelle feuille de route aura essentiellement trois grands chapitres : le maintien de l’excellence scientifique ; le renforcement de l’impact économique ; et l’appui à des politiques publiques. Sur ce dernier point, je fais référence par exemple à la coordination du Plan IA qui nous a été confiée au plan national ; ou, au renforcement, annoncé en juin, de notre partenariat avec l’Anssi, l’Agence nationale de la Sécurité des Systèmes d’information.

J’ai noté également la publication récente du rapport d’évaluation d’Inria fait par le Hcérès (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), pour la période 2013-2017. Quelles en sont les grandes conclusions ?

Bruno Sportisse. Ce rapport dit globalement trois choses. D’abord, qu’il y a une recherche de niveau mondial qui est menée à Inria, mais qu’il faut faire des choix scientifiques pour avoir un impact. Ensuite, qu’il y a bien une culture des partenariats industriels, une culture du transfert par la création de start-up technologiques, mais que nous devons aller encore plus loin… Partant de ce socle solide, ce rapport précise enfin que les axes sur lesquels nous pouvons encore nous améliorer sont nombreux…

Concernant le renforcement de l’impact économique qui intéresse Alliancy en priorité, quelles actions souhaitez-vous rapidement mettre en œuvre ?

Bruno Sportisse. La première est que nous voulons renforcer nos relations avec le tissu économique français et européen. Nous devons par exemple être capables de créer des laboratoires communs avec de grands industriels ou des ETI souhaitant effectuer leur transformation digitale, y compris à travers des équipes-projets, notre unité de base, communes avec ces partenaires autour de la recherche et de l’innovation … Ce qui n’est pas le cas à ce stade et c’est une de nos priorités pour accentuer notre impact.

Pour ces projets communs, ciblez-vous des secteurs d’activité en priorité ?

Bruno Sportisse. De notre point de vue, faire des choix dans le numérique est à la fois nécessaire et difficile. C’est nécessaire car il faut savoir concentrer les moyens. C’est difficile car il faut être humble sur la pertinence des choix planifiés a priori, dans un écosystème très dynamique. Notre approche est que, dans cinq ans, nous devons montrer a posteriori un impact économique dans quelques domaines. Et pour cela, il faut que l’on dispose des outils internes, d’une organisation pour soutenir les équipes-projets qui soient particulièrement performants, pour mettre le paquet sur un sujet quand toutes les conditions seront réunies. Le bon exemple historique, c’est le web, qui était peu présent dans notre plan stratégique au milieu des années 1990… mais une vingtaine d’équipes-projets se sont positionnées très rapidement sur ces thèmes en quelques années.

.@bsportisse (@Inria) « Nous déployons avec@Bpifrance un nouveau dispositif, l’Inria #Startup Studio  au bénéfice de tous les acteurs académiques et des entrepreneurs technologiques ». Cliquez pour tweeter

Pour faire des choix, il y a évidemment des candidats possibles comme la cyber-sécurité, la cryptographie, l’algorithmie quantique, la préparation des machines de calcul haute performance, le numérique pour la médecine personnalisée, le numérique frugal, l’intelligence artificielle appliquée aux enjeux de notre tissu industriel, qui ne sont pas ceux des plateformes de données privées… Ce ne sont pas des choix planifiés, c’est une démarche entrepreneuriale en quelque sorte et tout dépendra aussi des partenariats, notamment industriels, que nous allons nouer pour nous aider à cristalliser sur des sujets stratégiques.

Le deuxième volet sur l’impact économique concerne-t-il l’accord signé avec Bpifrance ?

Bruno Sportisse. Tout à fait. Dans le numérique, l’une des voies de transfert extrêmement efficace concerne la création de start-up technologiques à forte composante algorithmique et logicielle. Cette action d’augmenter notre flux de projets accompagnés [100 par an d’ici à 2023 contre 10-15 aujourd’hui, NDLR] est un vecteur majeur de transfert pour explorer d’autres voies que la R&D, qui est souvent générique et qui doit préciser une application, un usage, des premiers clients et une stratégie de financement. L’idée est donc de trouver des cas d’usages, des applications, des premiers clients, en mobilisant des équipes pluridisciplinaires, en trouvant des financements… On espère mobiliser et accompagner sur ces projets entrepreneuriaux environ 15 % des 700 à 800 jeunes qui sortent chaque année d’Inria.

Concrètement, comment cela va-t-il se passer ?

Bruno Sportisse. Nous déployons actuellement avec Bpifrance un nouveau dispositif d’accompagnement, l’Inria Startup Studio, sur l’ensemble des sites universitaires sur lesquels Inria est présent, au bénéfice de tous les acteurs académiques et des entrepreneurs technologiques. Cette action rentre dans l’évolution de la stratégie territoriale de l’institut, au service du développement des sites universitaires de recherche de rang mondial, en concertation avec tous nos partenaires académiques que sont les universités, le CNRS… Une série d’actions sera également menée avec Bpifrance pour augmenter la notoriété de la Deeptech et faire émerger des vocations chez les jeunes chercheurs [Deeptech Tour, I-PhD, Génération Deeptech…] pour aboutir à la création et au développement de ces start-up. Fin août-début septembre, les deux directeurs, pilotes du dispositif au niveau national, seront nommés… Enfin, en s’organisant ainsi, nous ré-internalisons une partie des compétences, sur la construction de projets, d’IT-Translation, une spin-off d’Inria spécialisée dans l’ultra-amorçage de sociétés de haute technologie dans le numérique.

Et leur métier d’investisseur, que devient-il ?

Bruno Sportisse. A ce sujet, nous annoncerons le lancement d’un nouveau fonds d’amorçage technologique cet automne, porté par une des sociétés de gestion les plus dynamiques de la place française dans notre domaine.

Jusqu’ici Inria affichait ses nombreux partenariats avec de grands acteurs internationaux, notamment américains ou asiatiques. Cette nouvelle stratégie veut-t-elle dire que vous comptez étendre vos partenariats à d’autres ?

Bruno Sportisse. L’institut a toujours été ouvert sur l’international. Il y a quinze ans, nous avions signé un laboratoire commun avec Microsoft, ce qui nous avait d’ailleurs été largement reproché à l’époque… Mais nous avons toujours voulu travailler avec les meilleurs au monde pour nous renforcer. Le sujet actuel, c’est la nécessité d’avoir une diversité d’actions et que nous soyons utilisés comme un vecteur de renforcement pour des acteurs, français et européens également, dont le numérique n’est pas le cœur de métier. Pour Inria, l’effort à faire est plus important, mais nous devons le faire. Et là, l’intention n’est pas la problématique du financement de la recherche mais bien d’augmenter notre impact, qui doit se mesurer à terme en créations nettes d’emplois, en lancement de nouveaux produits, en nombre d’utilisateurs dans une communauté…