Télétravail : et si on apprenait à travailler plus efficacement ?

En France, une grande partie des salariés a dû, de manière précipitée, basculer en télétravail. Les déclarations du Premier ministre laissaient entendre que 8 millions de personnes, soit 30% de la population active étaient en mesure de travailler à distance, une pratique en outre encore peu généralisée qui s’est, par ailleurs, largement développée à l’étranger. D’après une récente étude européenne, les Danois et les Suédois se positionneraient en tête du classement des télétravailleurs1. De nombreux outils permettent en effet d’effectuer toutes (ou presque…) les tâches à distance, permettant ainsi aux salariés d’exercer normalement leurs activités.

Vincent Hipolite, Advisor chez Devoteam Management Consulting

Vincent Hipolite, Advisor chez Devoteam Management Consulting

Si globalement la question technologique est réglée, celle liée à la gouvernance et au management mérite cependant une réflexion plus poussée : nous serons très probablement amenés à subir de nouvelles crises et devons, pour que le digital workplace exprime tout son potentiel, identifier les bonnes pratiques et repenser la posture managériale. Le télétravail ne consiste pas simplement à assister à une conférence en mode Visio, mais plutôt et avant tout à redéfinir ce qu’est le « travailler ensemble ».

Le digital workplace se déploie de façon encore trop timide dans nos entreprises. Une organisation étendue, avec ses parties prenantes, fournisseurs, partenaires, fonctionne sur une approche plus collaborative. La structure même du travail se veut plus agile pour favoriser une adaptation rapide au marché ainsi qu’à l’environnement changeant. Les outils sont à notre disposition avec notamment des suites complètes de logiciels, mais les usages ne sont pas encore établis. Or, pour garantir un ROI optimal de ces solutions somme toute assez onéreuses, il faut que les utilisateurs apprennent à les utiliser ensemble dans une approche collaborative. La DSI, acteur majeur dans l’adoption du digital workplace, s’adresse traditionnellement aux individus pour répondre à leurs besoins. Mais elle doit aussi les sensibiliser aux usages collaboratifs. Pour créer et surtout faire émerger ces nouvelles pratiques, elle joue ainsi un rôle pivot : concrètement, il ne suffit pas de mettre en place un système de partage de documents, il faut avant tout définir des règles de gouvernance et accompagner les métiers dans leur application (où seront-ils enregistrés ? Qui aura les droits de modification, suggestion ? Qui sera le « valideur « final et selon quel planning ? …).

De son côté, la DRH devra accompagner les évolutions des pratiques managériales nécessaires au nouveau management à distance.

Appropriation des outils

La majorité des collaborateurs perçoit intuitivement les fonctionnalités des outils mais n’a pour autant pas développé de nouvelles approches collaboratives. Une phase de conduite du changement des usages collectifs et non plus seulement individuels, est ici essentielle avant d’envisager un déploiement massif. DSI et Directions métiers, souvent accompagnées d’un conseil externe vont définir et diffuser cette nouvelle culture collaborative.

Au terme d’un d’audit durant lequel elles auront établi les profils types des utilisateurs en tant qu’individu et en tant que collectif – par exemple un collectif managérial – elles décideront des outils qui doivent être conservés ou modifiés. Ce travail permet de mettre en place un référentiel d’usages qui constituera le mode opératoire du « comment travailler ensemble » de manière efficace.

Nouvelles postures managériales

L’adage : « loin des yeux, loin du cœur » s’applique également au monde du travail. En pratique, tout ce qui se fait en présentiel peut s’effectuer à distance. Toutefois, un collaborateur qui travaille à distance se voit souvent confier moins de missions par son manager que ses collègues présents physiquement. Le télétravail rompt la proximité naturelle qui se crée dans un open space et peut générer chez le manager une angoisse se traduisant par un contrôle accru de son équipe. C’est là où le management traditionnel atteint ses limites et doit revoir ses méthodes. Le télétravail étant amené à se généraliser, l’enjeu pour le manager est double : comment conserver sur le long terme l’engagement de ses équipes ; et comment être plus présent tout en acceptant de donner la liberté d’action nécessaire, en assumant aussi que ses équipes puissent commettre des erreurs. Il doit être en confiance et leur permettre d’être plus autonomes, quitte à disposer de moins d’informations. Ce mode de management, adapté au contexte actuel du télétravail, répond également à une nouvelle organisation du travail. La fonction de manager aujourd’hui consiste essentiellement à piloter et faire avancer de multiples projets avec de très nombreux interlocuteurs. Dans cette perspective, qui peut suivre efficacement un projet s’il reçoit plusieurs centaines de notifications par jour sur des sujets dont il ne gère pas l’opérationnel ? En outre, par effet miroir, le collaborateur peut mal vivre le fait de multiplier les reportings sous diverses formes. Cette nouvelle organisation agile s’apprend. Il faut savoir éviter les dérives des outils numériques, en l’occurrence la « sur connexion » ou « l’infobésité ».

Le contexte actuel nous permet de tester les meilleures configurations possibles et surtout de faire évoluer les usages. En effet, le travail collaboratif représente une formidable opportunité pour libérer les énergies les plus créatives, mais il a aussi ses écueils. Il faut adapter la pratique numérique et les méthodes de travail qui reposent sur le collectif.

Multiplier les conférences téléphoniques n’est pas toujours pertinent mais organiser régulièrement des réunions de suivi, tout en maintenant des échanges informels, s’avère beaucoup plus efficace. Certaines entreprises organisent des e-pauses café entre collègues, cela permet de maintenir une dynamique et pallier tout sentiment d’abandon. Y a -t-il donc une bonne pratique à appliquer dans ce genre de situation ? Certains retours d’expériences peuvent aider mais c’est surtout la co-construction et l’adhésion au sein de l’équipe de ces nouvelles pratiques qui garantiront sa transformation et son efficacité de fonctionnement.

Vous l’aurez compris, l’enjeu pour les entreprises consiste à redéfinir ce qu’est le « travailler ensemble ». Trop souvent les référentiels d’usages sont inexistants et chacun utilise l’outil comme bon lui semble. Les entreprises doivent lancer leur transformation « agile » : directions générales, métiers, collaborateurs, etc. devront dresser un bilan du confinement afin de capitaliser sur les meilleures pratiques et éviter les échecs. Être résilient et anticiper la suite pour s’assurer que le télétravail sera, dans le futur, plus collaboratif. Nous traverserons de nouvelles crises à n’en pas douter. Nous avons résolu la question technique des technologies cloud du digital workplace fiables. Nous devons dès maintenant nous atteler à diffuser la culture du collaboratif.

1 http://www.teletravailler.fr/observatoire/en-europe