Les articles du dossier

Résilience des entreprises : de quoi parle-t-on ?

Avait-on la bonne définition du mot « résilience » pour nos entreprises ? Le terme, abondamment utilisés ces dernières années, voit ses tenants et aboutissants mis à rude épreuve avec la crise actuelle. Une définition s’impose… pour se préparer à d’importantes adaptations dans les mois à venir.

La résilience des entreprises

Les risques liés aux chocs sont multiples

Dépasser un traumatisme et se reconstruire, de façon « socialement acceptable » : cette définition de la résilience comme phénomène psychologique, concernant les individus, s’adapte-t-elle bien aux collectifs, et en particulier aux entreprises ? Il va sans dire que le mois de mars a été, en France et dans le monde, un moment traumatique inédit pour les particuliers comme pour la plupart des organisations. Une attention toute particulière a été portée aux risques psychologiques que le confinement pouvait notamment faire porter aux individus, rallongeant d’une certaine façon le traumatisme lié à la crise sanitaire elle-même. Les entreprises de leur côté, ont également vécu plus ou moins difficilement le confinement, en fonction de leur possibilité de mise en œuvre du télétravail, mais aussi selon la capacité de remise en question et d’empathie de leurs managers.

Faire plus que traverser financièrement la crise

Les risques liés aux chocs sont multiples : la faillite bien évidemment, liée à la crise économique qui suit la crise sanitaire, mais aussi le développement d’une certaine anomie, c’est-à-dire de la généralisation de formes d’aliénation au sein de l’organisation, et d’un affaiblissement des valeurs qui la font bien fonctionner en temps normal – au profit d’abus, de replis sur soi individuels ou collectifs… Autrement dit, la résilience ne saurait pas se mesurer seulement à l’aune de la capacité d’une entreprise à traverser « financièrement » la crise.

Chez un individu, la psychologie nous apprend que le développement d’une capacité de résilience est relative à ses expériences passées, notamment pendant l’enfance, et à la structuration de sa personnalité. Il peut également être aidé par le partage collectif ou un soutien médical. L’entreprise de son côté peut compter sur sa culture, son patrimoine immatériel, et le fait d’avoir traversés des chocs passés (crise de 2007-2009, bulle internet…) même si celui que nous vivons s’avère plus important.

> A lire aussi : [Chronique] Télétravail et chômage partiel, vers un « télé-burnout » ?

En effet, l’utilisation du terme résilience pour les entreprises ne date évidemment pas de 2020. Une abondante littérature a étudié la « résilience organisationnelle » comme sujet de gestion des entreprises allant au-delà de la « résilience économique » qui leur permettrait de reprendre leur croissance en cas de choc limité aux marchés. Dès 2003, Gary Hamel, directeur du Woodside Institute et professeur invité à la Harvard Business School, se livrait à un exercice de définition dans la Harvard Business Review intitulé « The quest for resilience ». La résilience stratégique y est bien vu comme une posture permettant de résister à plus qu’une « crise one-shot ». Dans cette vision, le choc reste pourtant souvent une question de business. « Les entreprises qui réussissent, en particulier celles qui ont bénéficié d’un environnement relativement bénin, éprouvent des difficultés extraordinaires à réinventer leurs modèles commerciaux. Confrontés à des turbulences dévastatrices de paradigmes, elles connaissent souvent un renversement de fortune profond et prolongé » décrit Gary Hamel, associant la résilience à la capacité à réinventer son activité – un sujet abondamment traité dans le cadre de la transformation numérique des organisations.

Le temps de la résistance et celui de la résilience pour les entreprises

Plus récemment, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, directeur d’enseignement à l’université de Toulouse, se faisait également partisan du terme « résilience » pour les entreprises affectées par des « traumas collectifs et individuels ». Il notait particulièrement pour sa part le rôle important des RH de l’entreprise dans l’équation : « Il s’agit d’organiser des soutiens, des réunions d’explications et faire en sorte que les collaborateurs ne se sentent pas seuls. A défaut, ils ne pourront se développer et risquent de s’exclure par leur silence. Le rôle de la RH est alors essentiel : c’est elle qui va chercher de nouveaux moyens pour favoriser ce processus de résilience. C’est à elle qu’il revient de mettre en place des aides sociales, psychologiques afin de faire émerger une prise de conscience autour des évènements traumatiques. Le fait de verbaliser la douleur, l’échec et les souffrances sont un préalable à la résilience » expliquait-il ainsi en 2017 dans une interview accordée à Focus RH. La résilience devient alors une capacité de l’entreprise à mieux accompagner ses collaborateurs durant une crise qui les affectent.

Mais à l’aune de la crise actuelle, Boris Cyrulnik a également précisé sa pensée : les entreprises sont encore dans une phase de résistance, plus que de résilience. « Le temps de changer de culture », en sortant notamment du diktat de la performance, viendra sans doute seulement plus tard. Il prévient également : « Il y aura probablement après la crise une augmentation du chômage, des faillites, et hélas, la solidarité que nous voyons actuellement se développer face au danger n’y résistera pas ».  

La résilience, c’est préparer « l’après »

Ce soucis du collectif, à l’échelle de l’entreprise mais plus généralement de la société, est sans doute l’un des points clés à prendre en considération pour préparer « l’après ». Comme le décrit Pierre Musso, philosophe, il est nécessaire en cette période complexe de « mieux comprendre ce que [l’entreprise] va devoir être ou devenir demain… Une entreprise est une communauté humaine qui a une mission, qui obéit à des rythmes et qui entretient une relation avec la société. Il va donc falloir revenir sur sa gouvernance en tant que communauté humaine, notamment pour les plus grandes. » Cette notion de lien humain s’avère fondamentale dans la conception de la résilience dans son sens le plus étendu, c’est-à-dire avec toutes les parties prenantes internes et externes de l’entreprise. Elle doit être considérée à grande échelle car un groupe de managers résilients ne fait pas mécaniquement une organisation résiliente.

Ce patrimoine immatériel et cette posture globale, une entreprise est bien peu capable de la créer ex-nihilo en quelques semaines, si elle n’a jamais œuvré pour s’en doter par le passé. Une culture d’entreprise qui favorise la cohésion est un travail de longue haleine. Comme le faisait remarquer Jérôme Gasquet, professeur affilié à HEC Paris dès 2014, dans la Harvard Business Review :  « On retrouve assez souvent cette cohésion dans les entreprises familiales vieilles de plusieurs générations, car elles sont par nature sensibles à la qualité du climat social. […] A contrario, une direction d’entreprise ne pourra pas s’étonner que dans la crise elle ne soit pas suivie dans ses décisions, si elle a pendant des années manqué de considération à l’égard de son capital humain. C’est là que peut survenir une crise sociale majeure. Or, derrière une crise sociale se cache souvent une crise du lien. »

Et de conclure dans cet article : « Certes, l’entreprise ne pourra jamais tout anticiper. En revanche, celles qui auront pris l’habitude de regarder ensemble la réalité, de travailler en équipe, d’analyser les risques et de préparer des ripostes auront les plus grandes chances de survivre à de nouvelles secousses, mais surtout d’identifier de nouveaux espaces de croissance et de développement. ».

En ce sens, la résilience pour une entreprise sera avant tout la capacité à ne pas considérer le crise actuelle comme une parenthèse, mais bien à se donner les moyens de l’action collective pour amener sur le long terme des changements multiples. Ceux-ci concerneront autant les simples pratiques quotidiennes, que la raison d’être même d’une activité et son sens dans la sphère sociale. Un tel sujet ne saurait donc pas être traité seulement dans une cellule de crise ou par des dirigeants en solitaire… En particulier dans l’Hexagone. « La France est plutôt en retard, les Pays-Bas, d’une culture très collective, sont en avance, comme l’Allemagne, la Suisse et la Belgique. Ce sont des pays, comme ceux du nord de l’Europe, qui ont beaucoup développé les modes de décision par consensus et par consentement » analyse ainsi Luc Bretones, président de Purpose for Good et co-organisateur de The Next-Gen Entreprise Summit. Dans ce cadre, les entreprises auront peut-être tout intérêt à aller chercher les meilleurs exemples de résilience chez nos voisins européens dans les mois à venir.