Marc Genevois (SAP France) : « Salesforce n’est pas le concurrent qu’il voudrait être, ni aujourd’hui, ni demain »

Marc-Genevois-SAP-article

Marc Genevois – Directeur des opérations chez SAP France

L’éditeur allemand de logiciels, SAP, multiplie les annonces visant à faciliter la transition de ses clients vers le cloud, tout en essayant d’imposer son système de base de données Hana comme véritable socle de base. Un enjeu majeur sur lequel revient Marc Genevois, directeur des opérations chez SAP France.

Quelle est la stratégie de SAP dans le cloud ?

Notre vision est d’être capable d’offrir une solution cloud, On-premise (sur site) ou hybride sur les vingt-cinq industries sur lesquelles SAP a verticalisé sa solution et sur les onze grands métiers que nous couvrons dans les entreprises. Nous voulons être capables de continuer de supporter les business process de nos clients de bout-en-bout, avec des solutions diverses selon les besoins. Pour beaucoup d’entreprises, nous nous apercevons que les environnements mixtes font sens, notamment pour pallier les problématiques de sécurité ou de caractère stratégique de certaines parties de leur système d’information.

Où en êtes-vous en termes de prise de marché ?

Deux éléments de réponses. Tout d’abord, les parts de marché de SAP dans le cloud augmentent chaque trimestre, notre croissance est largement supérieure au marché dans le monde, en Europe et en France. Ensuite, pour supporter notre stratégie dans le cloud, nous nous appuyons sur un développement massif de nos solutions. En interne, nous développons nos applications sur des environnements cloud, et toujours sur la plate-forme Hana, notamment pour faciliter l’intégration d’autres logiciels. Mais aussi au travers d’une croissance externe, avec les acquisitions de SuccessFactors en 2011 [gestion des ressources humaines, NDLR], d’Ariba en 2012 [gestion des achats] et de l’annonce faite récemment sur Concur [gestion des frais de déplacement pour 8,3 milliards d’euros], nous sommes en plein process d’acquisition… Mais tout ceci affiche une détermination significative de la part de SAP.

Quel est le fruit de cette stratégie ?

Nous avons d’ores et déjà la plus grosse base installée en cloud dans le monde, avec plus de 36 millions d’utilisateurs finaux. L’acquisition de Concur, si elle se finalise d’ici à la fin de l’année, devrait nous amener à plus de 60 millions d’utilisateurs. En termes de revenus, nous avons annoncé au troisième trimestre, clos en septembre, une croissance de plus de 40 % de nos revenus cloud dans le monde. Ce qui fait de nous, la plus forte croissance des opérateurs significatifs de ce marché. En France, dans ce domaine, nous avons une croissance de 110 %.

C’est pourquoi vous annoncez avoir sélectionné le géant américain IBM comme fournisseur d’infrastructures Cloud pour vos applications business ?

IBM est un partenaire stratégique de longue date de SAP. Par cet accord, signé au niveau mondial, la compagnie IBM apporte dans la corbeille le réseau des 40 datacenters de SoftLayer, avec des points de présence dans de nombreux pays. Nous avons donc la capacité de déployer plus rapidement, et de façon plus sécurisée, nos applications dans le cloud. Vis-à-vis de nos clients, il s’agit surtout de réduire le time-to-market [délai de mise sur le marché]. Ensuite, ce n’est pas notre métier de gérer des datacenters… l’expérience d’IBM leur permet d’être plus facilement à même que nous de supporter de grosses volumétries et d’offrir une importante scalabilité. Pour la France, nous allons disposer d’un datacenter à Montpellier (Hérault), et bientôt d’un second en Ile-de-France. Pour autant, notre portefeuille de clients existant restera sur nos propres infrastructures.

L’ERP dans le cloud, est-ce un gros changement pour l’entreprise ?

Est-ce spécifique à l’ERP ou à toutes nos offres ? Dans les avantages bien connus du cloud, il y a une flexibilité accrue et un time-to-market plus rapide. Mais, quand un client veut lancer un projet qu’il imagine  » cloudisé « , il assume de facto plus facilement le fait qu’il va devoir se coller aux processus de la solution qu’il adopte. Dans un environnement On-premise, il aura parfois tendance à vouloir  » réinventer la roue  » sur des business process pourtant éprouvés. Aussi, ce n’est pas seulement le cloud qui apporte plus de flexibilité ou de temps de mise en œuvre réduit, c’est également, dans cet environnement, que le client se met davantage dans un mode Best Practices… Ce changement culturel des clients a aussi déjà un impact positif sur les projets On-premise, où les clients sont maintenant plus ouverts a des approches de ce type.

Y a-t-il un moment privilégié pour  » basculer  » dans le cloud ?

Beaucoup d’entreprises se posent la question du cloud ou pas, lors de la prise de décision de nouveaux projets. Dans certains domaines fonctionnels comme la relation client, les ressources humaines, les achats… la démarche cloud est particulièrement forte et pertinente. Mais uniquement lors de projet de transformation métier ou de refonte de leur système d’information.

Ce n’est jamais pour les économies générées par le cloud ?

Les économies générées par le cloud restent encore une notion discutable. Ce n’est plus la même manière de comptabiliser les coûts, mais ceux-ci ne sont pas forcément réduits à long terme en  » cloudisant  » les applications.

Quelles sont les entreprises les plus actives dans le cloud ?

Les PME en croissance ont presque une nécessité structurelle à passer dans le cloud, pour les raisons évoquées précédemment. Là, il y a une forte demande du marché, à la fois sur les applicatifs de type CRM, HCM, procurement ou ERP. Nous le voyons sur notre offre Business ByDesign, dont la croissance repart depuis que l’on communique de manière plus générale sur le cloud. Pour les entreprises qui affichent une croissance moindre, qu’elles soient petites ou moyennes, l’évolution vers le cloud se pose dans le cadre de projets de remplacement.

Qu’en est-il de la France par rapport aux autres pays ?

Tout est relatif… Par rapport aux Etats-Unis, le marché croît moins vite en France. Même chose vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Par contre, vis-à-vis du reste de l’Europe, la France se situe dans le peloton de tête. Ensuite, SAP a une croissance forte sur la zone Asie-Pacifique, légèrement supérieure [+ 46 % environ] à celle du groupe dans le cloud [+ 41 %]. Toutes les zones sont relativement porteuses, mais, effectivement, la France est plutôt bien placée sur cette photo.

Pourquoi avoir annoncé récemment le gel du coût du support entreprise et l’allongement de la maintenance générale de la Business Suite ?

Ces annonces servent à appuyer notre stratégie, c’est-à-dire offrir le meilleur des deux mondes et laisser le choix à nos clients. Nous leur donnons là une visibilité de onze ans en termes de support, tout en garantissant la pérennité de leurs applications jusqu’en 2025… Communiquer à ce sujet sur la partie On-premise sert aussi à les rassurer. Toute la IT ne va pas passer dans le cloud demain matin ! Certes, le marché va évoluer, mais la balance va s’équilibrer naturellement. Tous les processus métiers, toutes les applications pour toutes les entreprises n’ont pas vocation à aller dans le cloud, en tout cas à court et moyen termes.

En terme d’évangélisation justement, ressentez-vous un besoin ?

Tout dépend de la taille des entreprises… C’est clairement plus facile pour un grand groupe, qui dispose d’une DSI forte, d’avoir une vision raisonnée de la problématique cloud que pour des PME. Elles n’ont pas toujours les moyens d’être en veille technologique et peuvent être induites en erreur, en croyant que si elles n’y passent pas, elles vont disparaître ou se retrouver dans des impasses technologiques… Encore une fois, il faut rassurer le marché : une balance va se créer entre le On-premise et le cloud.

Vous venez d’annoncer de bons résultats sur votre suite Hana… Que cela traduit-il ?

Nous poursuivons une croissance à 3 chiffres sur Hana. De plus, 100 % des nouveaux clients SAP ERP, depuis douze mois maintenant, ont choisi SAP Hana comme plateforme stratégique. De même, certains de nos grands clients existants basculent régulièrement leurs environnements SAP sur une plate-forme Hana… Tous ont compris notre stratégie et y adhèrent largement.

Cela veut-il dire qu’ils ont aussi compris l’enjeu du big data ?

Malheureusement et heureusement, il y a plusieurs types de réponses qui dépendent seulement des entreprises. Pour les nouveaux clients SAP ERP qui ont choisi Hana, ce n’est pas forcement dans une stratégie big data… Après, dans certains environnements comme la distribution ou l’énergie, les nouveaux clients ont clairement cette vision-là. Pour les clients existants, certains recherchent cette dimension dans leur réflexion, d’autres non. Ils veulent surtout disposer d’une meilleure souplesse et d’une intégration facilitée entre les environnements cloud et On-premise.

Le cloud vous oblige-t-il à vous rapprocher des métiers ?

Nous nous (re)rapprochons des métiers. Lors du choix d’un ERP, nos interlocuteurs sont toujours les directions métiers (finance, achats, RH..), la direction générale et la DSI. C’est avec ces directions que nous travaillons aussi lors de la mise en œuvre. Et puis, souvent, lorsque le système est opérationnel, la DSI prend une place prépondérante dans la relation, ce qui est normal. Aujourd’hui, nous revenons dans une situation plus balancée. Notre portefeuille de solutions a continué de s’étendre, pour devenir encore plus pertinent pour des directions métiers. Par exemple, les acquisitions d’Ariba et de Business Network ont consolidé notre crédibilité dans la gestion des achats. En parallèle, les relations entre DSI et directions métiers ont évolué… Désormais, c’est une discussion à trois qui se met en place, à la demande des directions informatiques, car il faut intégrer ces nouvelles solutions avec le système d’information existant.

Ce trio « éditeur, DSI et directions métiers », c’est l’idéal ?

Il n’existe pas dans le cloud aujourd’hui une solution capable de couvrir tous les métiers et tous les besoins fonctionnels d’une entreprise. Il faut pourtant partager des informations, en s’appuyant sur des applicatifs et des référentiels différents… Reste alors la nécessité de faire communiquer tous ces systèmes ensemble, de s’assurer que l’on dispose d’une architecture capable de supporter la croissance de l’entreprise, qui soit la plus pérenne, fiable et performante… Il n’y a que le DSI qui peut être le garant de ce genre d’éléments. Il est le chef d’orchestre en quelque sorte qui s’assure que tout fonctionne et que la valeur ajoutée du système d’information touche tous les métiers.

Comment voyez-vous le fait que les directions métiers veulent disposer de plus en plus vite des applications ?

C’est un des effets positifs de la cloudisation du marché ! Tout le monde demande maintenant des applicatifs plus rapides à mettre en œuvre, apportant de la valeur ajoutée, dans des environnements changeants. SAP a toujours connu des clients qui rachetaient des entreprises ou se faisaient racheter… L’impact positif du cloud, c’est que l’on demande cette souplesse même sur le On-premise. C’est un virage que SAP a pris depuis quelques années d’ailleurs. Hana était aligné avec cette stratégie, comme les solutions RDS [pour rapid-deployment solution)…

C’est-à-dire ?

Les clients sont de moins en moins dans un mode  » sur-mesure « . Dans des projets On-premise, ils acceptent plus facilement d’utiliser des Best Practices standards, parce que le cloud l’impose aussi. Ce qui réduit d’autant le temps de mise en œuvre, le coût de possession, la facilité à migrer, la capacité à mettre en œuvre de nouvelles fonctionnalités et, effectivement, à supporter de la croissance inorganique.

Concernant votre organisation, vous avez récemment évoqué la suppression d’une soixantaine de postes en France d’ici à début 2015. Le tournant vers le cloud l’impose-t-il ?

Nous avons besoin de continuer à développer l’ADN cloud au sein de notre entreprise comme au sein de toutes les entreprises du marché. Tous nos clients ont besoin de comprendre les avantages et les inconvénients du cloud, projet par projet. SAP doit être moteur de cette évolution. Dans les annonces que nous avons faites, il y a effectivement une réorganisation en ce sens.

L’éditeur de logiciels américain Salesforce (CRM dans le cloud) se positionne de plus en plus comme votre concurrent. Le voyez-vous de la même façon ?

Salesforce est une entreprise qui a une taille suffisamment visible sur le marché pour contribuer à évangéliser sur le cloud. Après, je ne crois pas que Salesforce, qui a une approche très limitée en terme de scope fonctionnel, soit notre principal concurrent. Notre principal concurrent est plutôt une évolution du marché que nous n’aurions pas anticipée, vers le cloud ou autre. SAP fait du cloud depuis de nombreuses années et nous avons réagi de façon très positive, à la fois en réalisant des acquisitions, mais aussi en lançant de nouvelles solutions. Non, Salesforce n’est pas le concurrent qu’il voudrait être, ni aujourd’hui, ni demain. D’ailleurs, nous ne sommes pas positionnés pas sur le même périmètre. Comme je l’ai déjà dit, notre objectif est d’offrir des Business Process complets, end-to-end. Cette capacité fonctionnelle n’a rien à voir avec celle de Salesforce.

Justement, SuccessFactors pour la gestion des ressources humaines dans le cloud, est un produit souvent cité par les entreprises. Comment l’expliquez-vous ?

C’est un produit qui a une bonne image, une bonne couverture fonctionnelle, une très bonne ergonomie également. Nous avons une stratégie claire, puisque SuccessFactors et ses différentes briques propose une chaîne complète de gestion des ressources humaines… Cette acquisition par SAP fin 2011 a aussi crédibilisé l’offre vis-à-vis du marché.

N’y a-t-il pas une vision de SAP trop tournée vers la DSI ?

C’est plutôt l’inverse qui est vrai. Bien entendu, le système d’information a vocation à couvrir des besoins métiers. Le fait de recueillir ces besoins, les comprendre, les appréhender et les mettre en œuvre est clé dans le processus. Mais, encore une fois, on peut facilement rester dans une belle théorie qui ne s’intègre pas au reste du SI. Et ce que veut une entreprise et ses directions (finance, marketing, achats, RH, commercial…), c’est d’avoir une visibilité complète sur ses clients, fournisseurs et salariés. S’il manque une de ces briques ou un lot d’informations dans cette vision 360 du client par exemple (CRM), on ne couvre plus les besoins de la direction métier…

A un moment, celle-ci peut croire que la DSI va être un frein, mais in fine, un certain nombre de retours d’expériences sont plutôt positifs à cette réflexion tripartite. On voit aussi à quel point l’information est le nerf de la guerre. Nous avons aujourd’hui, côté SAP, l’expérience et la capacité d’utiliser cette information de manière transactionnelle dans le reste de nos applicatifs. Cette couverture complète est un asset important, qui devrait nous positionner de manière très positive sur le marché. Nous sommes le premier fournisseur en termes de nombres de clients connectés. C’est ce qui fait notre valeur.

Pensez-vous que nous sommes à un tournant plus important que les précédents dans la IT ?

C’est un tournant, comme nous en avons déjà vus. Le marché de la IT a toujours évolué et si SAP, 43 ans après sa création, est toujours là, c’est parce que nous avons réussi à prendre tous les virages précédents. Sans rougir, nous avons pris le tournant du cloud à bras le corps. Nous n’avons pas pris ce marché avec retard et, encore moins, minimisé son impact.

SAP prévoit un chiffre d’affaires supérieur à 22 milliards d’euros en 2017, contre 16,8 milliards en 2013. 3 à 3,5 milliards devraient alors être réalisés dans le cloud.

La France, premier marché européen sur Hana

  • SAP France a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 880 millions d’euros en 2013.
  • L’éditeur compte 2 000 salariés en France.
  • Sur le troisième trimestre 2014 (clos fin septembre), SAP France affiche une croissance de 16 % sur les ventes de licences par rapport à la même période de l’année précédente.
  • Sur le marché du cloud, la filiale française rattrape son retard sur les filiales anglo-saxonnes (+ 110 %), grâce à la solution de gestion des ressources humaines Human Capital Management (HCM) de SuccessFactors, dont les ventes ont augmenté de 171 % (YtY). A titre d’exemples, Smurfit Kappa (41 000 salariés) et Ardagh Group (20 000) ont retenu l’intégralité de la suite SuccessFactors.
  • Par ailleurs, SAP France voit progresser ses chiffres d’une croissance à trois chiffres (YtY) sur la base in-memory Hana (avec plus de 70 clients en France, dont 20 déjà en production). Atos vient de la retenir comme plate-forme de développement, interne et externe.