Thomas Courbe (DGE) : « Le développement de l’industrie est une réponse aux questions globales sur l’emploi »

[Exclusif] 2019, année de la French fab ! Partout, en France, au travers de nombreux événements comme la Semaine de l’Industrie qui a eu lieu le mois dernier, cette mobilisation collective vise à promouvoir l’industrie et ses métiers. L’occasion de revenir sur les nombreuses actions du Gouvernement dans ce domaine avec Thomas Courbe*, directeur général des Entreprises.

Alliancy. La Semaine de l’industrie s’est achevée il y a peu et affiche de nouveau cette année de très bons résultats avec plus de 4 750 événements labellisés. Peut-on dire qu’il y a un vrai engouement pour ce secteur ?

Thomas Courbe - DGE

Thomas Courbe* est, depuis août dernier, directeur général des entreprises à l’administration centrale du ministère de l’Economie et des Finances, avec une compétence élargie à la sécurité économique. Photo : @ASalesse

Thomas Courbe. Absolument. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons fait de l’année 2019, celle de l’industrie, de la « French Fab ». On constate aujourd’hui la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, une évolution conjoncturelle historique, avec une inflexion des chiffres de l’industrie que l’on souhaite évidemment durable. Depuis deux ans, l’emploi industriel progresse et les chiffres de 2018 indiquent un emploi industriel manufacturier en progression de 9 500 personnes.

De même pour la production avec une création nette de sites. Nous sommes le premier pays européen à accueillir des investissements industriels et le troisième à accueillir des investissements venus de l’étranger. Tout ceci s’accompagne d’une ambition rehaussée de la part du Gouvernement en considérant que le développement de l’industrie est aussi une réponse aux questions plus globales sur l’emploi.

C’est-à-dire ?

Thomas Courbe. Dans l’industrie, les emplois sont plus stables qu’ailleurs, sont mieux rémunérés et particulièrement bien répartis sur l’ensemble du territoire, si on compare avec d’autres secteurs. Cette ambition renouvelée en matière de politique industrielle passe par plusieurs leviers d’action concrets, à commencer par les contrats de filières mis en œuvre par le Conseil national de l’industrie (CNI) et qui ont vocation à identifier les enjeux clés de la filière et les engagements réciproques de l’Etat et des industriels dans une feuille de route commune. Ils permettent une mobilisation conjointe des moyens, qu’ils soient financiers, réglementaires ou numériques. Dans l’agroalimentaire par exemple, le contrat signé en novembre dernier prévoit de mettre en place avec le soutien de l’Etat une plateforme numérique entre différents acteurs pour répondre à l’attente de traçabilité des consommateurs et pour accélérer la transition digitale des entreprises du secteur. L’idée est aussi de renforcer l’intégration des PME aux projets structurants de chacune des filières (bioproduction de médicaments, préparation à la construction des réacteurs nucléaires du futur…).

En novembre 2018, le comité exécutif du CNI a arrêté une liste de 18 comités stratégiques de filière (CSF). Où en est-on de la signature des contrats ?

Thomas Courbe. Parmi ces 18 CSF, deux ont été lancés en novembre dernier uniquement. Ils seront donc signés d’ici à l’été prochain. Il s’agit des Industries de Sécurité et des Infrastructures du Numérique. Sur les 16 autres, 14 sont signés, les contrats sur le ferroviaire et les nouveaux systèmes énergétiques le seront très prochainement. Nous sommes donc proches du but. Cet alignement avec les filières fonctionne efficacement, car nous adoptons une approche opérationnelle et orientée sur les produits et les technologies.

En parallèle de ces contrats de filières, quelles sont les actions transversales que vous menez ?

Thomas Courbe. J’en citerai deux principalement. La transformation des TPE et PME industrielles, dans un secteur où l’on va désormais privilégier l’agilité, la capacité à personnaliser les produits et les services pour chaque client, à disposer d’outils de production numériques et connectés, à valoriser les données… Nous nous sommes fixés pour objectif de mobiliser les entreprises pour qu’elles prennent ce virage de la transformation numérique. Ainsi, dans le cadre de partenariats Etat-Régions, 10 000 PME industrielles établiront des feuilles de route sur l’industrie du futur et seront accompagnées et soutenues dans leur démarche de transformation. Les Régions sont en charge de mettre en place un dispositif de guichet unique pour les entreprises souhaitant être accompagnées. Si plus de 5 000 PME industrielles ont déjà bénéficié d’accompagnements dans le cadre de précédentes démarches, menées par les Régions notamment, la volonté est d’accélérer le rythme pour que la moitié de notre tissu productif soit accompagné d’ici deux ans.

« Dans l’industrie, les emplois sont plus stables qu’ailleurs, sont mieux rémunérés et particulièrement bien répartis sur l’ensemble du territoire, si on compare avec d’autres secteurs. »

La deuxième action, également conduite en partenariat étroit avec les Régions, concerne les Territoires d’industrie. A l’échelle de chacun des 136 territoires ciblés, l’objectif est de réunir acteurs publics (Régions, intercommunalités, Etat, opérateurs, etc.) et industriels afin d’identifier les besoins localement et de concentrer les moyens d’action pour y répondre. L’idée consiste à mettre à leur disposition une boîte à outils très pratique pour favoriser le développement de l’industrie dans chacun de ces territoires. Les engagements des différentes parties prenantes se matérialisent par le biais d’un contrat de Territoire d’industrie. Sept premiers contrats ont été signés récemment, une dizaine d’autres le seront dans les semaines à venir, et l’ensemble des 136 contrats seront signés d’ici cet été.

Il semblerait que vous redonniez la main aux régions en matière de politique économique. Est-ce le cas et comment cela se traduit-il au niveau national et sur le terrain ?

Thomas Courbe. Tout à fait ! Au niveau national, cela se traduit par une volonté de renforcer notre coopération avec les régions en matière de politique économique. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, et Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre, ont réuni les présidents de région, le 8 janvier dernier, pour fixer une feuille de route à ce sujet. Cet échange a abouti au constat partagé de la nécessité d’une meilleure articulation des actions de politique économique dans les territoires. Il est important que l’Etat initie certains grands chantiers, mais le développement et la mise en œuvre doivent être pilotés par les conseils régionaux. C’est le cas par exemple des deux chantiers que je viens d’évoquer et nous élaborons par ailleurs avec les Régions des feuilles de route sur des enjeux plus sectoriels, en mars sur l’automobile, en avril sur l’énergie.

Un autre enjeu pour l’industrie est la transition vers le numérique, quelles actions citeriez-vous en la matière ?

Thomas Courbe. L’action à ce niveau doit être collective, et nous sommes tous mobilisés, y compris avec les industriels sur l’enjeu de la transition de l’industrie française vers l’industrie du futur. C’est notamment le cas de la promotion de projets de filières autour de la « plateformisation », comme ce qui se fait avec BoostAeroSpace pour la filière aéronautique. De cet exemple, on tire des enseignements sur les briques (co-conception, BIM, jumeau numérique, impression 3D, référentiels produits, relations client-fournisseur, traçabilité…) qui peuvent également être mises en oeuvre de manière adaptées au sein d’autres filières. L’autre aspect de la transformation est la diffusion des technologies d’intelligence artificielle dans les entreprises, et notamment auprès des PME. Et à ce sujet, de nombreux projets sont mis en œuvre (lire encadré ci-dessous).

Concernant les pôles de compétitivité et la Phase IV, quels sont vos objectifs ?

Thomas Courbe. Pour cette nouvelle phase des pôles (2019-2022), il s’agit tout d’abord de leur permettre d’acquérir une taille critique, notamment par des regroupements éventuels. Il s’agit également d’accroitre leur compétence d’« usines à projets de R&D » au service de notre industrie par un dispositif incitatif, en modulant le financement de l’Etat en fonction de leur performance. Enfin, les pôles de la phase IV devront aider les entreprises à acquérir une dimension européenne, en renforçant les partenariats et l’accès des entreprises aux financements européens. Le gouvernement compte constituer une enveloppe unique pour l’innovation au sein du programme d’investissement d’avenir (PIA) en fusionnant plusieurs sources. Les pôles auront un accès privilégié, mais pas exclusif, à cette enveloppe, qui mobilisera près de 400 millions d’euros pour la période 2019-2020.

56 pôles Phase IV Pole Competitivité

56 pôles labellisés pour la Phase IV des pôles de compétitivité, dont 8 labellisés pour seulement un an, prolongeable à 4 ans sous certaines conditions.

 

On a beaucoup parlé du développement des entreprises, des territoires, mais reste la question de l’emploi et des compétences dans l’industrie… Comment comptez-vous y répondre ?

Thomas Courbe. On estime en effet qu’il existe 250 000 emplois non pourvus dans l’industrie en France, dont plus de 50 000 postes ouverts qui ne trouvent pas de candidats. Nous en sommes conscients et la Semaine de l’Industrie, ou la manifestation « L’Usine Extraordinaire » qui a eu lieu fin 2018, servent à faire changer l’image de ce secteur auprès des jeunes. Il faut absolument renforcer l’attractivité de l’industrie, et montrer ce qui se passe dans ce secteur aujourd’hui en pleine révolution 4.0, comme chez Schneider Electric dans l’Eure par exemple. Je rappelle que dans l’industrie, les emplois sont plus stables qu’ailleurs, sont mieux rémunérés et particulièrement bien répartis sur l’ensemble du territoire, si on compare avec d’autres secteurs. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, rappelait encore récemment lors d’un déplacement dans cette usine, l’importance de donner aux jeunes générations l’opportunité de connaître les défis industriels de notre pays pour découvrir les opportunités qui s’offrent à eux. Agnès Pannier-Runacher a dévoilé le 21 mars la composition du Conseil de la mixité et de l’égalité professionnelle. Présidé par Sylvie Leyre, son objectif est de travailler sur tous les freins à l’entrée des femmes dans l’industrie. Plus largement, concernant la formation, nous misons sur la réforme de l’apprentissage, votée le 5 septembre 2018, qui favorise la réussite professionnelle des jeunes tout en répondant aux besoins de compétences des entreprises.

Vous assumez également les fonctions de commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économique, qui étaient dissociées jusqu’à présent. Comment l’entendez-vous ?

Thomas Courbe. Cet effort accentué que je viens de décrire sur la politique industrielle doit s’accompagner aussi d’une politique rehaussée du patrimoine matériel et immatériel que constitue cette industrie. Il est donc logique d’avoir une approche de souveraineté économique sur la maîtrise des technologies. Par exemple, pour répondre à la concurrence asiatique, nous travaillons sur la mise en place d’une usine de batteries électriques avec l’Allemagne pour éviter que notre industrie automobile dépende exclusivement de fournisseurs étrangers et soit à la merci de hausses de prix intempestives. Ma mission passe notamment par la protection d’entreprises stratégiques, sujet sur lequel la Loi Pacte renforce les pouvoirs de l’Etat.

On parle de la création d’un « Secrétariat général de l’Industrie ». Est-ce d’actualité ?

Thomas Courbe. Il n’y a pas de projet de changement de l’organisation du collectif industriel pour l’heure, puisque les choses fonctionnent de manière efficace. Côté pouvoirs publics, la DGE est l’administration responsable de la mise en œuvre de ces politiques, et nous nous coordonnons parfaitement avec l’ensemble des autres acteurs partenaires, notamment via le Conseil National de l’Industrie (CNI). A ce titre, les organisations représentatives du personnel sont partie prenantes à l’ensemble des négociations des contrats de filière. Côté industriels, France Industrie qui représente de manière très efficace l’industrie dans son ensemble est un acteur pivot de cette relation avec tous les acteurs du secteur. Par ailleurs, sur certains sujets spécifiques, nous travaillons avec certains acteurs, comme l’Alliance Industrie du futur. Enfin, nous nous retrouvons tous derrière une bannière commune, celle de La French Fab, pour mener à bien cette reconquête industrielle. Nous travaillons déjà tous en réseau, mais chacun dans son rôle et nous co-construisons tout ce que j’ai décrit. Le collectif industriel avance de concert et de manière très fluide.

* Né en 1972, Thomas Courbe a exercé des fonctions diversifiées, d’abord au ministère de la Défense puis, depuis 2002, au sein des ministères économiques et financiers. Il a notamment été secrétaire général du Club de Paris (2007-2009) et sous-directeur des relations bilatérales de la direction générale du Trésor et de la politique économique (2009-2010). Entre novembre 2010 et mai 2012, il a occupé les fonctions de directeur du cabinet du secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur et de directeur adjoint du cabinet des ministres de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

La DGE en action : les 5 infos à connaître !

 1/ Le « Pack IA IDF » de la Région capitale…

Il s’agit d’un parcours d’accompagnement personnalisé de 3 à 6 mois avec un soutien financier pris en charge par la région, pour une centaine de PME et ETI, en vue d’identifier le projet IA le plus adapté à leurs besoins et avec le plus fort retour sur investissement. Il est complété par une phase de « POC » avec un accès à une plateforme technique de stockage pour leurs données, ainsi que des moyens de calcul adaptés, des applicatifs IA disponibles et un environnement logiciel.

2/ Demander votre diagnostic Data IA…

Le Diagnostic Data IA vise à accélérer la mise en œuvre dans les PME et ETI de stratégie disruptive basée sur l’exploitation de la data, des nouveaux modèles et algorithmes. Il doit permettre au dirigeant d’identifier des projets de rupture et de transformation stratégique. Les dépenses éligibles s’élèvent entre 3 000 et 10 000 euros selon l’intensité de l’accompagnement pour une prestation de 3 à 10 jours, conforme au Cahier des charges du Diagnostic Data IA.

3/ Les Challenges IA : c’est le moment !

Financés dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA) en cohérence avec le plan IA annoncé par le Président de la République, les Challenges IA sont pilotés par la DGE en lien avec le Secrétariat général pour l’investissement et opérés par Bpifrance. L’objectif du dispositif est d’encourager l’innovation ouverte entre acteurs aux compétences complémentaires en mettant en relation des start-up ou PME offrant des produits et services IA innovants et des entreprises ou acteurs publiques disposant de jeux de données à exploiter ou de problématiques à résoudre.

4/ Rapport : où en est l’IA en France…

La DGE vient de publier une étude intitulée « Intelligence artificielle : Etat de l’art et perspectives pour la France ». Où en est l’intelligence artificielle aujourd’hui, au niveau technologique, par secteurs, par pays… Quel est le positionnement de la France dans ce domaine et les stratégies territoriales mises en avant afin de percevoir les opportunités nationales à terme selon la DGE.

5/ Les chiffres-clés de l’industrie française (édition 2018)