La souveraineté numérique française : beaucoup de mots, peu de câbles

 

On en parle à chaque discours de ministre, dans chaque conférence sur l’innovation : la « souveraineté numérique » française. Ce mot magique, devenu talisman politique, censé conjurer la dépendance aux GAFAM et aux réseaux étrangers. Mais entre les grands principes et la réalité du terrain, il y a parfois plus qu’un océan : il y a un câble… qu’on n’a pas encore tiré.

 

Prenons un exemple : la France se rêve en gardienne des données européennes, défend le cloud souverain, lance des appels à projets pour bâtir des “solutions tricolores”. Très bien. Mais pendant ce temps-là, une partie de nos infrastructures repose toujours sur du matériel américain, des logiciels californiens, et des tuyaux… posés par des consortiums internationaux. Même la fibre, censée incarner le grand chantier de l’aménagement numérique du territoire, peine encore à atteindre certains villages, zones industrielles et, soyons honnêtes, pas mal de zones périurbaines.

On se gargarise de concepts : “cloud de confiance”, “edge souverain”, “Europe des données”. Mais derrière les mots, combien de baies de serveurs réellement françaises ? Combien de data centers certifiés pour héberger nos données stratégiques ? Combien de compétences locales capables de maintenir, d’auditer, de sécuriser ces infrastructures sans dépendre d’un prestataire américain ou asiatique ? La souveraineté, en matière numérique, ne se décrète pas : elle se câble, elle se soude, elle se forme.

Et pourtant, tout n’est pas perdu. Certains acteurs français montrent la voie : OVHcloud, Scaleway, Outscale… mais ils restent des exceptions courageuses dans un océan de dépendances. À l’heure où Microsoft, Google et Amazon multiplient leurs annonces d’investissements massifs dans le cloud en France, la question devient ironique : sommes-nous en train de devenir souverains… sous pavillon étranger ?

Il y a dans cette situation une forme d’humour involontaire : celui d’un pays qui, tout en prônant l’autonomie numérique, s’invite avec enthousiasme dans des infrastructures pilotées de l’extérieur. Un peu comme si, en pleine révolution énergétique, on vantait notre indépendance… grâce au pétrole importé.

Bien sûr, il faut saluer les efforts : l’État investit, les régions s’organisent, les start-ups innovent. Mais la vérité, c’est qu’on confond souvent souveraineté et sécurité, indépendance et confort réglementaire. La souveraineté, ce n’est pas “avoir un cloud labellisé bleu-blanc-rouge” ; c’est avoir la capacité technique, humaine et financière de faire sans personne. Et pour cela, il va falloir creuser, littéralement : creuser des tranchées, tirer des fibres, poser des câbles, monter des data centers, recruter des ingénieurs, former des techniciens.

Alors, la prochaine fois qu’un ministre promet “une France numérique indépendante”, on pourrait lui poser une question simple : “Et vos données, elles passent par où ?” Parce qu’à l’heure des beaux discours, la vraie souveraineté se mesure en mètres de fibre et en kilowatts consommés, pas en tweets enthousiastes.