Olivier Lafosse (Val d’Oise) : « J’investis pour aider les métiers autant que pour créer de la valeur dans notre écosystème de service public »

Olivier Lafosse est le directeur du système d’information du département du Val d’Oise. Il détaille les changements qui ont eu lieu depuis 2016 dans son organisation, tant dans la gestion des équipes IT qu’au niveau du nouveau rôle de la DSI, qui génère aujourd’hui de la valeur voire des recettes pour le département et plus simplement des coûts.

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Alliancy. Comment la relation de la DSI avec les métiers a-t-elle évolué ces derniers mois au sein de votre département ?

Olivier Lafosse est le directeur du système d’information du département du Val d’Oise

Olivier Lafosse, DSI du Département du Val-d’Oise

Olivier Lafosse. L’évolution a été extrêmement nette dans le Val d’Oise. Le sujet est au centre de toutes mes activités depuis que j’ai pris mes fonctions il y a 3 ans. C’est un sujet permanent, car une DSI peut facilement se retrouver dans une position quasiment schizophrène avec autant d’exemples de risque de consensus mou que de confrontation avec les métiers. Une DSI autoritaire et descendante peut vite devenir une contrainte inacceptable pour le reste de l’organisation. Une DSI moderne doit être un partenaire des directions métiers, un facilitateur et un transformateur. Mes expériences dans le privé et notamment dans le secteur pharmaceutique dans le cadre de partenariats public-privé ont permis de me forger ma vision en la matière. Quand j’ai pris mes fonctions au sein du Val d’Oise, la DSI était perçue comme un service support qui trop souvent était un facteur d’inertie voire parfois bloquant. Il a fallu faire de l’IT un facilitateur tout en garantissant le fonctionnement quotidien, alors que nous vivons une période de pivots technologiques majeurs.

Par exemple ?

Olivier Lafosse. Les sujets de la mutualisation des fibres, de l’APIsation et du cloud sont bien représentatifs de l’intensité des changements que nous vivons aujourd’hui. Ils sont autant d’opportunités pour faire naitre des coopérations et des nouveaux fonctionnements vertueux pour un organisation à travers son ouverture sur ses écosystèmes, à la fois internes et externes. Le point d’appui c’est qu’il y a au sein du département une véritable aspiration à la collaboration pour être plus fort ensemble.

Numérique en pratique guide Par quoi cela passe-t-il ?

Olivier Lafosse. Je suis persuadé que la dimension humaine et la relation interpersonnelle sont des aspects essentiels. On ne travaille bien qu’avec des gens qu’on respecte et dont on sait qu’ils nous apportent quelque chose de positif. C’est extrêmement important car je pense que l’on ne parvient vraiment à innover face à la complexité que quand une confiance forte s’établie entre tous les acteurs d’une organisation. Pour le DSI et ses équipes, cela commence par aller boire le café, faire des immersions et aller déjeuner avec les directions métiers. Il est important de se connaitre, de se comprendre. Un DSI ne peut pas bien travailler avec un DAF par exemple s’ils ne se comprennent pas et ne s’apprécient pas humainement.

Cela fait reposer énormément sur les individus et leur caractère…

Olivier Lafosse. Justement, pour éviter que cela ne repose que sur eux, il faut se fédérer autour d’un projet, d’une ambition commune. Le « support » fournit à l’activité (au « business ») par la DSI doit être focalisé sur le métier et donc, dans notre cas, sur le service aux usagers. Nous bénéficions en effet au sein du service public d’un attachement viscéral des équipes à cette notion de service, avec un désir sincère d’aider à résoudre des problèmes à apporter des solutions. En revanche, le point de vigilance est que nous avons beaucoup d’ingénieurs IT et d’experts, pour lesquels le savoir-être dans la relation métier a dû évoluer afin de faciliter le dialogue devenu plus fonctionnel. Trop souvent par le passé, il s’agissait de dire « non » par crainte de la capacité à tenir la promesse. En tant que manager, il a donc fallu accompagner le mouvement pour que ce soit le « oui, d’accord » qui prime. Ce n’est pas en soi sorcier : l’essentiel est de générer de la confiance, en exprimant concrètement le soutien du management, même et surtout quand il y a des difficultés. En tant que DSI, avant d’avoir des droits, j’ai des devoirs : et cet impératif de compréhension, de confiance et de soutien en est un.

A quel point cela s’est-il aussi traduit par une évolution des compétences ?

Olivier Lafosse. Pour schématiser : on est beaucoup plus intelligent quand on reconnait humblement que l’on ne sait pas bien faire quelque chose, que quand on fait croire que l’on peut tout faire seul. Pour une organisation comme le Val d’Oise, cela se traduit par l’ambition affirmée d’aller chercher des concepts, des compétences et des expertises à l’extérieur de notre périmètre traditionnel (notamment dans le privé). C’est aussi ce qui permet de faire évoluer les compétences de tous. Un autre point important à prendre en compte en parallèle de ces changements, est la motivation des équipes. De telles transformations sont exigeantes et longues… il est donc nécessaire de faire émerger des jalons de réussite, qui rassurent tout le monde au fur et à mesure du chemin. On ne peut pas se contenter de mettre ses meilleurs experts sur les sujets les plus complexes. Sur la distance, cela ne tient pas. Il faut également répartir les projets et entrainer progressivement tout le monde.

Quel est pour vous le principal frein à une meilleure collaboration avec les métiers ?

Olivier Lafosse. Sans doute les façons de communiquer. Trop souvent, les équipes IT communiquent en mettant d’abord en avant les problèmes. Quand on s’intéresse à leurs rapports, ils sont certes très pertinents, mais ils commencent régulièrement par les incidents ! Il faut changer de culture et se convaincre de commencer par les solutions ! Heureusement, il existe aussi des méthodes pour aider à une meilleure collaboration. Nous avons par exemple construit une plateforme d’ingénierie territoriale en mode SCRUM : cela est décisif pour la relation IT-métiers, mais aussi pour les utilisateurs. Quand on se met en lien direct avec l’utilisateur final, on renforce très fortement la relation avec le métier. Ne pas le faire, c’est se priver de quelque chose d’essentiel pour comprendre le business. C’est pour cela que nous avons insisté sur la cocréation avec des agents des services publics des mairies et des élus. SCRUM est très efficace pour fournir les bases d’un tel dialogue. Et de façon complémentaire, nous sommes en train d’ouvrir littéralement nos bureaux, pour y installer des lieux de vie communs, une cuisine, une salle de réunion pour que les métiers viennent travailler avec nous… Cela contribue à faire disparaitre le concept très français de séparation entre maitrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre. A chaque fois, on a bien un seul chef de projet qui coordonne pour tout le monde, mais celui-ci rend compte à un comité de pilotage véritablement mixte.

Les indicateurs à observer pour les projets changent-ils en conséquence ?

Olivier Lafosse. C’est un sujet important et difficile. Ceux que j’essaie de mettre en avant, ce sont des indicateurs de résultats et non pas de moyens. Cela n’a pas de sens de se focaliser sur la tenue du délai ou du budget : il faut regarder d’abord regarder si l’on a apporté la bonne réponse au bon problème. En résumé : l’usager est-il satisfait du service rendu ? Même en service public, il s’agit d’enjeux business ! Et pour mesurer la qualité et la performance de ce qui est mis en place : je regarde l’évolution de la répartition budgétaire. Il y a 3 ans, j’avais 86% de mon budget consacré au fonctionnement. Aujourd’hui seulement 35% : le reste est consacré à de nouveaux investissements. En parallèle, la DSI rapporte 4 millions d’euros de recettes annuelles dorénavant. Si c’est le cas, c’est bien la preuve que les services plaisent aux utilisateurs ! Nous ne sommes donc pas là pour « dépenser en faisant des économies ». Quand j’investis, je facilite le travail des métiers et je contribue à assurer l’avenir en mettant en place des modèles économique viable en lien avec d’autres structures de notre écosystème. Cet indicateur de performance financière doit devenir à mes yeux une obsession, car il est impossible de générer ainsi de la valeur quand la relation IT-métiers est conflictuelle.