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Nvidia GTC Washington DC : quand l’IA devient le moteur de la nouvelle économie industrielle

 

Notre chroniqueur Stéphane Gervais était à Washington DC pour assister à l’évènement phare de l’automne de Nvidia. Il récapitule les tendances qui pèsent selon lui sur l’avenir de l’IA, à partir d’une sélection de verbatims de l’emblématique patron de la firme, Jensen Huang.

 

 

À Washington, Jensen Huang n’a pas seulement présenté une nouvelle génération de puces. En déclarant que « l’IA n’est pas un outil, l’IA, c’est le travail », le fondateur de Nvidia a redéfini la place de l’intelligence artificielle dans la chaîne de valeur mondiale. Son message : le calcul devient industrie, l’intelligence devient capital productif et l’IT, l’infrastructure stratégique de la prochaine révolution industrielle. Le GTC Washington DC 2025 est l’événement stratégique de Nvidia consacré à l’intelligence artificielle, au calcul accéléré et au quantique. Cette édition a réuni plus de 8 000 participants, 200 intervenants et plus de 40 partenaires industriels et institutionnels autour d’une même ambition : faire du calcul l’infrastructure clé de la nouvelle économie industrielle.

 

Du logiciel au travail cognitif

 

« Excel est un outil. Word est un outil. Un navigateur est un outil. Mais l’IA n’est pas un outil. L’IA, c’est du travail. » En quelques phrases, Jensen Huang a condensé l’idée qui traversera toute sa présentation : l’intelligence artificielle n’est pas une nouvelle génération de logiciels ; c’est une nouvelle forme de travail. Dans la vision du patron, le numérique entre dans une ère post-instrumentale. Là où les outils prolongeaient la main de l’humain, les systèmes intelligents produisent désormais des résultats autonomes : ils perçoivent, raisonnent, décident. « We used to write software that people used. Now we create intelligence that does the work itself. » Cette distinction fait passer l’économie numérique de la logique d’usage à la logique de production. C’est la naissance du travail synthétique : une production de valeur issue d’agents cognitifs capables d’apprendre et d’agir sans supervision directe.

 

Le mort de la loi de Moore et la renaissance du calcul

 

Pour appuyer cette mutation, Huang a projeté une slide emblématique : cinquante ans de tendances microélectroniques. Le graphique montre que c’est la fin du doublement de transistors par puce.
« Moore’s Law is dead.The solution is extreme co-design. » Autrement dit, la miniaturisation suffit plus : il faut repenser le calcul. Ce co-design extrême fusionne architecture, logiciel et algorithme pour créer un continuum d’efficacité. Les CPU généralistes cèdent la place à des GPU spécialisés et massivement parallèles. L’ère du calcul accéléré remplace celle du calcul linéaire. Le progrès ne vient plus du silicium, mais de la coopération entre composants, modèles et énergie dès la conception.
Nvidia ne fabrique plus seulement des puces : elle conçoit un écosystème d’intelligence énergétique et cognitive. La croissance du nombre de transistors diminue et les gains de fréquence stagnent. Le calcul accéléré devient le nouvel horizon du progrès.

 

Les usines d’intelligence : naissance des AI Factories

 

« Every company will someday become an AI factory. » C’est ainsi que Huang définit la nouvelle unité de production du XXIᵉ siècle : non plus une usine matérielle, mais une fabrique d’intelligence. Ces AI Factories transforment les données en modèles, les modèles en décisions, et les décisions en valeur économique. Elles produisent de la cognition comme hier on produisait de l’acier. Pour cela, Nvidia déploie sa nouvelle génération d’architectures : Blackwell, NVL72, et la puce Vera Rubin. Chaque itération multiplie par 10 la performance par watt et par dollar. Huang estime que plus de 500 milliards $ de CAPEX seront consacrés à ces infrastructures d’ici 2026. Le calcul n’est plus un coût, c’est un actif : la base énergétique de la nouvelle économie cognitive. Les investissements mondiaux dans le calcul explosent : le data center devient l’usine du XXIᵉ siècle.

 

Quand l’IA devient infrastructure : convergence avec les réseaux 6G

 

Autre annonce majeure : le partenariat NVIDIA × Nokia. Objectif : intégrer l’IA dans les réseaux RAN 6G pour les rendre auto-apprenants et prédictifs afin de les transformer rapidement en réseaux 6G. « AI on the RAN will upgrade the world to 6G. »
Ici, l’intelligence n’optimise pas simplement le trafic : elle comprend et anticipe les usages. Le réseau devient un organisme cognitif capable de raisonner en temps réel. Une étape déterminante vers les infrastructures souveraines intelligentes, piliers de la prochaine économie de la connectivité.

 

NVQLink : l’entrée dans l’ère quantique

 

« Quantum computing will accelerate AI ; and AI will design quantum computers. » Avec NVQLink, NVIDIA ouvre la voie du calcul quantique-GPU hybride. Un premier qubit stable a été validé, soutenu par 17 entreprises et 8 laboratoires du Department of Energy. Sept supercalculateurs IA-quantique seront construits, dont deux à Los Alamos et Argonne National Labs. L’enjeu dépasse la recherche : il s’agit d’intégrer la physique du quantique dans la chaîne de production cognitive. Cette fusion permet d’aborder des défis impossibles à résoudre classiquement : climat, nouveaux matériaux, cybersécurité, biotechnologies.

 

Inference at Scale : le calcul extrême devient moteur de valeur

 

« Inference at scale is extreme computing. » Selon Huang, la création de valeur ne dépend plus seulement de la taille du modèle, mais du débit d’inférence ; la vitesse à laquelle un système produit des tokens cohérents. Chaque token devient une micro-unité de travail cognitif. Plus le flux est dense, plus la productivité augmente : le calcul devient la nouvelle mesure de la performance économique. La valeur de l’IA dépend de la vitesse d’inférence : la performance par watt devient un levier économique.

 

La transformation de l’IT et du marché mondial du calcul

 

Pendant cinquante ans, l’informatique a servi d’outil. Aujourd’hui, elle devient infrastructure de production. Les DSI passent d’une logique de support à une logique industrielle et les systèmes d’information deviennent usines de modèles. La valeur ne se mesure plus en serveurs, mais en capacité cognitive déployée. Cette mutation redessine le marché : les fabricants de puces deviennent les architectes d’écosystèmes ; les hyperscalers deviennent des opérateurs d’intelligence ; les ESN et intégrateurs devront livrer des infrastructures “AI-ready” ; et un nouveau métier émerge : l’opérateur d’intelligence, garant de la performance, de la sécurité et de la conformité des modèles. L’IT rejoint ainsi le cœur productif des organisations : elle n’est plus un coût, mais une capacité souveraine. Trois lois d’échelle s’imposent : plus de calcul → meilleure IA → plus d’usage.Le cercle vertueux de l’économie cognitive.

 

Physical AI : fusion du numérique et du réel… vers un autre future pour les usines

 

« Robots orchestrating robots, that’s the future of manufacturing. » Avec la Physical AI, Nvidia applique l’intelligence artificielle au monde tangible. Les jumeaux numériques de l’Omniverse deviennent des environnements de simulation et de certification ; les robots, des collaborateurs autonomes. Des entreprises et partenaires clés incarnent cette vision :

La conception, la simulation et la production s’unissent : le monde devient programmable. Et de la donnée à l’industrie physique, la boucle cognitive du futur productif est complète.

 

 

Un écosystème étendu et la souveraineté du calcul

 

Au-delà du matériel, Huang étend sa stratégie à la couche logicielle et sécuritaire : SAP, pour l’intelligence des processus ; CrowdStrike, pour la cybersécurité prédictive ; Palantir, pour la décision dans les infrastructures critiques. Ces alliances bâtissent un écosystème de confiance où performance et conformité s’articulent. « The new industrial revolution will be defined by trusted, accelerated computing. » Sur le plan géopolitique, NVIDIA a rapatrié une partie de sa production en Arizona, symbole fort : le calcul devient un atout de souveraineté nationale. Les partenariats avec le DOE font des supercalculateurs IA les nouveaux actifs stratégiques du pays.

 

Prospective : vers l’économie cognitive selon Jensen Huang

 

Dans la dernière partie de sa keynote, Huang esquisse le futur de cette révolution. Son scénario se déploie sur trois horizons : technologique, industriel et sociétal. Au niveau de l’horizon technologique : il parle de l’ère des systèmes pensants. « Computers will no longer just compute : they will reason, create and understand. » Les ordinateurs deviendront des systèmes pensants, capables de générer et de vérifier leurs propres modèles. Chaque domaine – ingénierie, santé, énergie, finance – disposera de ses IA spécialisées. Les AI Factories formeront des flottes d’intelligences interconnectées ; leurs sorties s’alimenteront mutuellement dans une économie circulaire de la cognition.

L’horizon industriel est celui de l’entreprise auto-apprenante. Les entreprises du futur, prédit-il, seront construites autour d’un noyau cognitif. Ce “digital twin vivant” observera, planifiera et optimisera en continu les flux réels. La frontière entre R&D, production et exploitation s’effacera : tout deviendra apprentissage permanent.

Enfin, l’horizon sociétal implique de passer de la main-d’œuvre à la « menteforce ». Huang compare cette transition à la révolution énergétique du XIXᵉ siècle. Pour lui, l’IA ne remplacera pas l’humain, mais élargira la notion même de travail. L’économie de la main-d’œuvre devient une économie de la force mentale automatisée, la « menteforce » Les pays qui intégreront l’IA dans leur productivité réelle gagneront une avance structurelle.

 

Vers une économie cognitive durable

 

Il est clair que Nvidia n’est plus seulement un fabricant de semi-conducteurs, l’entreprise se voit comme un architecte de la productivité cognitive mondiale. Le discours de Washington pose les fondations d’un monde où : le calcul est énergie, l’intelligence est production, la souveraineté est numérique. « AI will not replace industries; it will reinvent them. » Le calcul n’est plus un outil pour travailler mieux : c’est le travail lui-même, dans sa forme la plus scalable et durable. Le XXIᵉ siècle aura ses moteurs à vapeur d’un nouveau genre : les usines d’intelligence artificielle.

 

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