Souveraineté numérique : l’Europe rêve, les États-Unis règnent

 

Un rapport de Forrester vient refroidir les ambitions européennes en matière d’indépendance technologique. Cloud, open source, intelligence artificielle : les géants américains continuent d’imposer leur loi.

 

« Les efforts européens pour réduire leur dépendance aux grandes entreprises technologiques américaines resteront vains. » Le cabinet d’analystes Forrester a jeté un pavé dans la mare le 1er octobre 2025, en affirmant que la stratégie mise en place par Bruxelles pour affirmer sa souveraineté numérique n’aura pas d’impact significatif. Dans ses prévisions pour 2026, la société américaine indépendante estime que les entreprises européennes n’ont aucune chance, à court ou moyen terme, de se libérer de l’emprise des hyperscalers : AWS, Google Cloud ou encore Microsoft Azure.

Autre constat amer : l’open source restera cantonné à des niches. « Nous ne verrons pas de migration massive vers Linux ou vers les suites de collaboration libres, faute d’offres dotées d’un support robuste », soulignent les auteurs. Pire, ils mettent en garde contre une dépendance « idéologique » vis-à-vis de fournisseurs locaux portés par les politiques, mais peu compétitifs.

 

La géopolitique, un paramètre clé

 

Forrester invite également les entreprises européennes à bâtir des stratégies cloud réalistes, en intégrant les aléas géopolitiques. La montée en puissance des budgets militaires pèsera lourd : selon le rapport, « les dépenses de défense entraîneront une hausse de 20 % du budget technologique consacré aux infrastructures critiques de l’UE ». Les pays membres de l’OTAN se sont en effet engagés à porter leurs investissements de défense à 5 % du PIB, dont 1,5 % fléché vers les infrastructures stratégiques.

Mais ces moyens supplémentaires ne suffiront pas à combler le retard européen. L’adoption de l’IA générative, par exemple, reste marginale : seuls 6 % des consommateurs l’utilisent au quotidien, contre une part bien plus élevée aux États-Unis. Résultat : un déficit estimé à 10 % dans les usages en production d’ici deux ans. Le Royaume-Uni, grâce à une réglementation plus souple et à l’absence de barrière linguistique, devrait échapper à ce décrochage.

 

Une régulation qui freine plus qu’elle n’aide

 

Autre facteur de blocage, la complexité réglementaire. Certes, la loi européenne sur les données devrait réduire la charge de conformité des PME, mais ces dernières resteront contraintes de se plier aux exigences imposées par les grands groupes. De plus, toutes les entreprises devront composer avec le Pacte vert et la nouvelle loi sur l’IA, qui encadre les usages à haut risque.

Forrester estime que cette régulation, malgré ses intentions, ne générera pas d’économies. Reste un point positif : l’existence de règles contribue à maintenir la confiance des citoyens envers leurs institutions. À l’inverse, le Royaume-Uni, qui fait le choix d’une approche dérégulée et résolument tournée vers les technologies américaines, pourrait voir la confiance de sa population dans son gouvernement reculer de 10 %.