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Le citoyen en plein cœur de la ville intelligente

Entretien avec Carlos Moreno : Le citoyen en plein cœur de la ville intelligente
Entretien avec Carlos Moreno : Le citoyen en plein cœur de la ville intelligente

Carlos Moreno – Conseiller scientifique du Président de COFELY INEO, filiale de GDFSUEZ

Propos recueillis par Catherine Moal.

A l’occasion de 5Plus City Forum qui se tient les 20 et 21 mars à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), nous avons rencontré le Professeur Carlos Moreno (site internet), conseiller scientifique du Président de COFELY INEO, filiale de GDFSUEZ.

 

Smart Cities, Smart Grid, Smart Building… Tout devient « Smart » aujourd’hui ?
Il y a trois points importants à éclaircir. Le premier, c’est qu’en utilisant « smart » comme qualificatif pour la ville, les objets ou les réseaux électriques…, on frôle le marketing. En réalité, ce n’est pas le côté « intelligent » qui est nouveau, mais le fait que l’on dispose, au XXIème siècle, d’une capacité de communiquer à faibles coûts, de façon embarquable et/ou embarquée…
Le deuxième élément est ce que l’on appelle l’ubiquité de l’information. A partir du moment où l’on peut mailler de l’information, soit à partir de sources très proches du terrain, soit à partir de nous-mêmes utilisateurs, le côté ubiquitaire veut que le même objet serve à de multiples usages. Le cas classique est le téléphone, mais cela s’applique aussi au réseau électrique. Les informations qu’un compteur remonte servent bien sûr pour facturer, mais aussi pour calculer des pics de charge, de délestage ou encore pour repérer quel quartier ou quel bâtiment consomme le plus…
Le troisième point est que l’on peut croiser ces informations pour pouvoir mieux piloter, contrôler, paramétrer… Par exemple, en l’appliquant au monde du « Smart Grid », je vais pouvoir optimiser la charge d’un réseau électrique, dans lequel j’ai en fait DES réseaux électriques, car je dispose de plusieurs sources potentielles de production d’énergie. Ce croisement d’informations va amener de nouvelles manières d’utiliser le réseau comme l’effacement, l’agrégation… selon le contexte.

 

Capillarité, ubiquité, datamining… Ces trois éléments sont indissociables ?
Oui, car c’est justement cet assemblage qui est « smart » et grâce auquel on pourra tirer des conclusions pour piloter différemment un réseau électrique, un bâtiment, un quartier, une ville… et en optimiser les usages. Les objets techniques n’ont aucune raison d’être par eux-mêmes. Ils n’existent que par l’interdépendance que l’on crée, non pas entre eux, mais par rapport aux usages et services que l’on décide de constituer. C’est pourquoi il faut d’abord raisonner en termes de « fonctionnalités », pour ensuite chercher sur quel objet s’appuyer.

 

Vous pouvez l’illustrer par un exemple ?
Prenons le cas d’Autolib’. L’objet technique qu’est la voiture électrique n’est pas une fin en soi. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle s’utilise dans un contexte d’énergie décarbonée, de capacité à ne pas polluer et que l’on offre la possibilité aux citoyens de se déplacer dans des voitures plus petites… La technique est mise au service de la fonction « mobilité », qui dépasse l’objet lui-même. A cela, on peut y adjoindre le lieu où l’on se gare, la manière dont on optimise son parcours ou gère les embouteillages via son téléphone portable ou sa tablette… Ce concept d’interdépendance est essentiel.

 

La ville intelligente est donc un concept « global » ?
Ce n’est surtout pas une agrégation d’objets techniques ! C’est un lieu d’interdépendances fonctionnelles qui visent à satisfaire des usages et des services quand tout va bien, ou pas. Comment assurer une continuité des flux dans la ville quand la neige bloque tout ? Quand une ligne de métro s’arrête ? Comment informe-t-on les usagers ? C’est ce que l’on appelle la « résilience » d’une ville, soit cette capacité à pouvoir dépasser le traumatisme qui s’est produit, pour garantir une continuité minimale des services à un moment donné. C’est aussi une ville « frugale », qui optimise ses dépenses en énergie et offre davantage de services, tout en étant moins dépensière, par l’optimisation des infrastructures déployées. 

 

Et la place du citoyen dans tout cela ?
Dans cette ville, l’administré doit bien entendu pouvoir être acteur de ce qui s’y passe. Une ville « devient » intelligente parce qu’elle est plus participative, qu’elle donne la parole. Ce sont les citoyens qui sont intelligents.
La communication capillaire fait qu’aujourd’hui les gens sont beaucoup mieux informés qu’auparavant… Surtout, il y a cette couche avancée de citoyens (« Digizen » ou « Smart Citizen »), rompus à l’usage des nouvelles technologies, qui font évoluer l’ensemble de la communauté urbaine.
En parallèle, les nouveaux services se nourrissent de cette facilité à se connecter. Regardez le succès des voitures avec GPS, de la carte Navigo couplée à celle du Vélib’… Tous ces mécanismes de l’économie numérique ont un sens parce que il y a un usage et un service dont l’acceptabilité sociale est forte.

 

Où en est-on aujourd’hui de toutes ces évolutions ?
Actuellement, nous vivons l’étape de la puissance ubiquitaire, de la généralisation du numérique. Mais d’autres étapes restent à franchir. Pour être au service du citoyen, il y a à créer ce qu’on appelle une ville « plate-forme », c’est-à-dire décloisonnée, afin de pouvoir offrir de nouvelles capacités d’usages et de services, de pouvoir créer de nouveaux espaces collaboratifs.
Par exemple, les espaces publics vont devoir mieux interagir avec l’usager. Le mobilier urbain de nouvelle génération permettra aux personnes qui attendent le bus de disposer de lieux pour lire l’actualité sur écran plat, écouter les informations locales, du quartier… Il faut que la ville offre des outils d’agrégation. Nous évoluons vers une économie servicielle, dans lequel l’objet s’efface au bénéfice de l’usage. Pour autant, ce service se concrétise au travers de vrais objets qu’il faut imaginer et mettre en place. 

 

La priorité va à la création d’espaces collaboratifs ?
Forcément. Ce qui tirera la ville intelligente, c’est l’innovation sociale et l’innovation urbaine. En parallèle, il faut passer du temps à créer ces espaces collaboratifs, afin de mieux cerner les solutions techniques à mettre en place, qui seront de nature différentes. On ne peut pas imposer un objet technique, sans impliquer l’usager. Ou alors, il s’en méfiera. Il faut savoir comment l’acceptabilité sociale anticipe la mutation technologique… 

 

Comment y parvient-on ?
Ca passe surtout par de l’éducation, de la communication, le politique bien sûr, mais pas seulement. Ca passe également par une approche culturelle différente par rapport à la technologie. La clé est dans le design applicatif. Ce sont les « designers d’applications » qui feront le chaînon manquant entre les usages et les services de la ville intelligente avec les objets techniques indispensables pour y répondre. Le cas Vélib’ une fois encore illustre bien cette idée. En « designant » ce nouveau service, le vélo est vu autrement. L’acceptabilité devient alors naturelle. En France, on est en retard sur ce point par rapport aux Anglo-Saxons.

 

Que devient le politique dans ce schéma ?
C’est à lui de créer une gouvernance participative qui permettra de créer des liens, pour aller à la rencontre des « nouveaux » besoins du citoyen. On le voit bien aujourd’hui, le politique qui génère de l’attractivité est un politique qui réussit dans la mesure où cette attractivité repose sur les trois piliers que sont l’innovation sociale, l’innovation urbaine et l’innovation technologique… Il ne peut pas y avoir un des trois qui manquent.

 

Cela change beaucoup de choses pour un groupe comme COFELY INEO ?
Enormément. Nous sommes dans une situation où l’on voit que cette économie de services évolue et que les élus réfléchissent sur cette problématique. Il n’y a pas un industriel qui a la solution, mais DES industriels. Cela nous oblige à raisonner dans une démarche d’écosystème à construire. Comment pouvons-nous être force de propositions, anticiper les services de demain… pour que cet écosystème puisse être créatif et rencontrer l’écosystème du politique et des citoyens qui vont autour. Aujourd’hui, combien de projets déjà engagés ont stoppé car les associations de quartiers ont fait des recours… Il faut que l’on regarde tout.

 

Vos compétences actuelles suffisent ?
Dans ce nouveau schéma, les frontières ont volé en éclats. Il faut que l’on intègre des compétences en termes de concertation, de dialogue social, mais aussi il faut que l’on imagine de nouveaux modèles économiques. La France, comme de nombreux pays occidentaux, est en période de crise. La valeur ajoutée, il faut aller la trouver… et elle ne se monétise pas immédiatement.

 

C’est aussi pourquoi vous surveillez l’innovation dans les start-up ?
Absolument. C’est mon job justement. Celui de construire des écosystèmes. La différence viendra de là, des écosystèmes qui se créeront, des interfaces qui se mettront en place. A l’opposé des logiques techno-centrées.

 

Dans ces écosystèmes, tout le monde a compris cela ?
Ils sont obligés de l’entendre. Nous, en tant que groupe mondial, orienté services, nous avons cette culture du brassage. Il y a une sensibilité à cela. C’est évident. Là, où c’est plus difficile à faire entendre, c’est du côté des sociétés très techno-centriques comme IBM ou Cisco… Ce n’est pas cela la priorité du terrain. A nous de trouver ensemble les bons compromis.
Aujourd’hui, Les liens entre le numérique et les usages passent par des intégrateurs qui connaissent les services. Le numérique n’est qu’une brique, essentielle et indispensable certes, mais ce n’est pas parce que l’on maîtrise le numérique que l’on maîtrise les services. Et à l’échelle d’une ville, la composante essentielle, ce sont les services.

 

Trouver les bonnes alliances devient essentiel ?
C’est la clé. Elles sont intrinsèques et incontournables entre les acteurs puissants du numérique, les acteurs de l’économie des services et ceux qui, derrière, assureront la capillarité de l’objet dans son déploiement (le numérique). Quoi qu’il arrive, il y aura des infrastructures, des fluides, des flux, des transports, des écoles, des hôpitaux, des supermarchés à gérer… La vraie vie quoi ! 

 

Consultez l’article en espagnol ou en anglais : www.moreno-web.net/le-citoyen-dans-la-ville-intelligente

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