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Choisir ses priorités pour mieux performer : le dilemme européen

 

Michiel Scheffer est président du Conseil européen de l’innovation. Il nous explique comment l’instance de financement conseille la Commission européenne et détaille les secteurs dont le développement est priorisé.

 

Quel est le rôle du Conseil européen de l’innovation (EIC) ?

Les 21 membres du Conseil font des recommandations à la Commission européenne sur les politiques d’assistance aux startups technologiques. Ils jouent un rôle d’orientation thématique, validant chaque année les priorités pour les appels à projets futurs. L’EIC a aussi pour rôle l’évaluation continue des forces et des faiblesses de l’Europe par secteur. Par exemple, elle est leader dans le quantique, performante dans le médical, mais perfectible dans l’énergie durable.

 

Il finance aussi des startups ?

Le Conseil européen de l’innovation combine une fonction consultative et une dimension d’agence financière. L’Europe alloue 10 milliards d’euros de fonds, sur sept ans, à des entreprises innovantes. À cela s’ajoute15 à 20 milliards d’euros de fonds privés supplémentaires. La répartition des financements est analysée géographiquement. La France possède le plus de startups soutenues financièrement par l’EIC en Europe, avec 126 startups soutenues sur 700, devant l’Allemagne, qui est pourtant plus peuplée. Les Pays-Bas, l’Irlande et les pays scandinaves obtiennent de bons résultats. En revanche, les pays d’Europe de l’Est, à l’exception de l’Estonie, sont généralement moins performants. Au niveau régional, l’Île-de-France a le plus d’entreprises financées par million d’habitants. À l’inverse, en Normandie, dans le Centre ou les Pays de la Loire, aucun n’a réussi à passer la sélection.

 

Comment fonctionne ce processus de sélection ?

En trois phases : une première sélection sur dossier via un PowerPoint, puis une proposition complète incluant les aspects financiers et, enfin, un entretien devant un jury. Environ 1 200 propositions sont étudiées tous les six mois et seules 60 à 70 entreprises obtiennent un financement du Conseil. Un “sceau de l’excellence” peut toutefois être obtenu par d’autres projets. Ils bénéficient ainsi de services complémentaires comme le coaching à la rédaction de propositions d’achat public. Tout un écosystème est mis à leur disposition pour leur permettre de se créer un réseau, en assistant aux réunions thématiques du Conseil par exemple. Les entreprises soutenues par l’EIC rencontrent, elles, de grands groupes dans des cadres confidentiels, appelés “corporate day”. Les startups présentent leur solution à une équipe restreinte, souvent sous forme de sessions privées ou de dîners suivis de journées de travail. Elles sont aussi présentées par le Conseil lors de salons à Dubaï, L.A, Singapour…

 

Y’a-t-il des secteurs priorisés lors de votre sélection ?

L’Europe n’a plus la force d‘être performante dans tous les domaines, alors il faut faire des choix. L’intelligence artificielle est priorisée, mais plutôt dans son application à des domaines spécifiques que dans le développement de modèles d’IA générative grand public. L’accent est donc mis sur des projets comme l’analyse et le traitement du cancer du sein, du poumon ou colorectal. Mais aussi sur le hardware de soutien, notamment les puces. Sinon, nous sommes tenus d’investir dans certains domaines par des textes de loi. Le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe impose qu’un tiers des investissements financent des projets liés au Green Deal. Pour l’instant, le taux atteint est d’environ 18%. Nous obéissons également à la réglementation du Chips Act, qui donne comme objectif de financer spécifiquement les secteurs des semi-conducteurs, de la photonique et du quantique.

 

Et le militaire ? Les usages militaires prévalent-ils depuis que la défense a été érigé comme priorité européenne ?

Actuellement, la base légale de la Commission européenne n’autorise pas la recherche militaire. Toute dérivation militaire par un bénéficiaire entraîne une suspension immédiate du financement. Toutefois, la Commission envisage de lever cette restriction, ce qui impliquerait de définir des modalités pratiques pour le double usage civil-militaire. Il est probable que la Commission charge le Conseil de cette définition. Pour l’instant, nos membres s’intéressent au développement des “old uses”. Nous regardons si des entreprises qui ont des développements civils peuvent également faire des développements militaires. C’était le cas d’un implant pour la reconstruction des tissus après un cancer du sein, dont le même matériau est utilisé pour réparer des blessures profondes. Bien que l’application de cette technologie soit civile à la base, le client principal est le réseau des hôpitaux militaires français. Ce sens-là est bénéfique, nous ne voulons pas limiter ce genre d’application. Mais il existe un risque que ce qui est investi en militaire pourrait en fait être investi en énergie durable ou en santé. Les priorités continuent de s’accumuler mais le budget n’a pas augmenté.

 

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