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Comment l’enseignement supérieur se réinvente autour de nouvelles stratégies d’expérience phygitale

 

Notre chroniqueur Imed Bougzhala décrypte la façon dont les établissements d’enseignement supérieur s’emparent de la technologie pour proposer des « expériences étudiantes » réussies. Une approche « phygitale » pas si différente de ce que d’autres secteurs d’activités peuvent connaître pour leurs propres utilisateurs.

 

Le terme « phygital » n’est pas nouveau : il résulte de la fusion entre le physique et le digital, créant une expérience hybride, plus dynamique, qui exploite le meilleur des deux mondes. Dans le contexte de l’enseignement supérieur, l’intégration du phygital représente une opportunité unique d’améliorer l’expérience étudiante en répondant aux besoins d’une génération de plus en plus connectée, tout en maintenant l’importance de l’apprentissage en présentiel. Elle constitue également une réponse pertinente à la montée de l’absentéisme, accentuée par les effets durables de la période post-crise (Covid), en offrant aux étudiants des parcours d’apprentissage plus souples, plus engageants, adaptés à leur rythme, à leurs contraintes (dont le handicap) et à leur style cognitif (Learning styles). En redonnant du sens, l’envie et de la flexibilité à l’acte d’apprendre, le phygital peut renforcer l’engagement étudiant et réconcilier présence physique et implication active. Cependant, la mise en place d’une expérience phygitale réussie nécessite des stratégies bien pensées pour tirer parti des technologies disponibles tout en préservant les interactions humaines essentielles à l’épanouissement académique et personnel des étudiants.

 

Allier les forces du digital et du présentiel

 

La première stratégie repose sur une synergie équilibrée entre les outils numériques et les espaces physiques, dans une logique d’hybridation ou blended learning. Ceci désigne une approche pédagogique qui combine de manière structurée des activités en présentiel (cours, travaux dirigés, interactions directes) avec des modalités à distance (e-learning, classes virtuelles, ressources numériques). Il ne s’agit pas simplement d’alterner les formats, mais de les articuler de façon complémentaire pour tirer parti des atouts de chacun. Les universités et les écoles doivent identifier les dimensions de l’apprentissage pouvant être enrichies par la technologie. Par exemple, les cours théoriques peuvent être proposés en ligne, permettant aux étudiants de les suivre à leur rythme, tandis que les travaux pratiques, les projets collaboratifs ou les discussions en groupe peuvent se dérouler en présentiel afin de favoriser les échanges humains et le travail en équipe. Cette hybridation, bien conçue, permet également de devenir un véritable levier d’internationalisation, en facilitant la mise en place de cours coopérés à distance avec des établissements partenaires (type C.O.I.L., Collaborative Online International Learning) et en élargissant l’accès à des parcours transnationaux, plus flexibles, personnalisés et inclusifs, adaptés à un monde académique de plus en plus interconnecté.

 

Personnalisation de l’expérience étudiante

 

Le digital offre des possibilités de personnalisation difficilement réalisables dans un cadre exclusivement physique. Les plateformes d’apprentissage en ligne (comme les LMS, Learning Management Systems, par exemple Moodle) permettent de suivre les progrès des étudiants, d’analyser leurs besoins individuels et d’adapter les contenus pédagogiques en conséquence. Cela peut se traduire par des parcours d’apprentissage personnalisés, des recommandations de cours ou d’activités en fonction des intérêts ou des lacunes de chaque étudiant. La personnalisation peut aussi inclure des ressources comme des tutoriels vidéo, des forums interactifs, et des outils d’évaluation automatisés.

 

Utilisation de la réalité augmentée et virtuelle

 

La réalité augmentée (RA) et la réalité virtuelle (RV) sont des technologies clés pour offrir une expérience phygitale immersive. Ces outils permettent d’enrichir l’apprentissage en proposant des simulations et des environnements interactifs qui seraient impossibles à reproduire dans un contexte strictement physique. Par exemple, les étudiants en médecine peuvent utiliser la réalité virtuelle pour s’entraîner à des procédures chirurgicales complexes avant de les réaliser sur des patients, ou les étudiants en architecture peuvent explorer des modèles 3D de bâtiments qu’ils conçoivent.

 

Création de communautés et maintien de la cohésion sociale

 

L’un des défis du phygital est de maintenir une forte cohésion sociale et un sentiment d’appartenance. Les institutions doivent donc développer des espaces virtuels qui encouragent l’interaction et la collaboration entre étudiants. Créer des communautés en ligne via des forums, des groupes de discussion, des espaces de co-working virtuels ou encore des événements hybrides permet de favoriser les échanges entre pairs, même à distance. De plus, organiser des rencontres physiques régulières est essentiel pour maintenir le lien humain, élément clé de l’expérience étudiante.

 

Utilisation des données pour améliorer les services

 

Grâce au phygital, les institutions ont accès à une multitude de données sur le comportement des étudiants (Learning Analytics), qu’il s’agisse de leur fréquentation des espaces physiques (bibliothèques, salles de classe) ou de leur activité en ligne (plateformes de cours, réseaux sociaux). Ces données, bien analysées et exploitées (selon différentes analyses : descriptive, explicative, prédictive et prescriptive), permettent d’améliorer les services offerts : ajuster les horaires d’ouverture des infrastructures, adapter les supports pédagogiques, ou encore offrir des services personnalisés, tels que le tutorat ou les conseils d’orientation — via des chatbots conversationnels, par exemple. Toutefois, cette exploitation doit impérativement s’accompagner d’une responsabilisation des acteurs et de la mise en place d’un cadre de confiance, conforme aux exigences du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Il est essentiel de protéger et sécuriser les données personnelles, tant sur le plan juridique que technique (usage des blockchains par exemple), pour préserver la vie privée des étudiants, garantir l’éthique des dispositifs numériques, et encourager leur adhésion durable à ces nouvelles formes d’apprentissage.

 

Soutien et accompagnement à la maîtrise des outils numériques

 

Pour que l’expérience phygitale soit une réussite, il est indispensable que les étudiants, tout comme les enseignants, soient à l’aise avec les technologies utilisées. Les établissements doivent donc proposer des formations et un accompagnement adapté pour assurer une maîtrise des outils numériques. De plus, un support technique accessible en tout temps est crucial pour résoudre rapidement les problèmes et minimiser les frustrations liées à l’usage de ces outils.

 

Évaluation continue de l’expérience phygitale

 

La mise en place d’une stratégie phygitale ne peut être figée. Il est essentiel de recueillir régulièrement des retours d’expérience de la part des étudiants et du personnel enseignant pour identifier les points forts et les axes d’amélioration. Les enquêtes, les feedbacks en ligne et l’analyse des données permettent aux institutions d’adapter et d’affiner en continu l’expérience proposée, garantissant ainsi qu’elle réponde aux attentes évolutives des utilisateurs.

 

Réconcilier cadre académique, engagement personnel et innovation pédagogique

 

Le phygital représente un levier stratégique majeur pour les établissements d’enseignement supérieur qui souhaitent offrir une expérience étudiante enrichie et adaptée aux enjeux contemporains. En combinant l’accessibilité, la flexibilité et la personnalisation des outils numériques avec la richesse des interactions en présentiel, les institutions peuvent créer un environnement d’apprentissage dynamique, inclusif et innovant. Toutefois, cette évolution doit composer avec des contraintes réglementaires, notamment l’exigence de présence obligatoire imposée par certains référentiels d’accréditation, comme ceux de la CTI (Commission des Titres d’Ingénieur) pour les écoles d’ingénieurs, qui exigent un encadrement rigoureux des parcours. À cela s’ajoutent les contraintes logistiques et pédagogiques des échanges internationaux, qui complexifient l’organisation des mobilités étudiantes et académiques, tout en exigeant une souplesse accrue dans la gestion des parcours individualisés. Dans ce cadre, le phygital peut devenir un allié intelligent : grâce à l’intelligence artificielle, il est possible de proposer des contenus pédagogiques adaptés aux styles d’apprentissage de chaque étudiant, en modulant les approches selon les matières et les préférences cognitives.

En redonnant aux étudiants envie d’apprendre à leur rythme, tout en respectant les exigences institutionnelles, cette approche permet de réconcilier cadre académique, engagement personnel et innovation pédagogique. Pour réussir cette transformation éducative, il est toutefois essentiel d’adopter une approche holistique et inclusive, où l’humain et la technologie se complètent harmonieusement, en prolongeant l’expérience physique vécue dans les murs de l’établissement par des interactions virtuelles de qualité (en dehors des murs), permettant à l’enseignant comme à l’apprenant de bénéficier d’une véritable ubiquité pédagogique. Cette transformation dépasse le cadre de la formation initiale pour s’étendre à la formation tout au long de la vie, répondant ainsi aux besoins d’adaptation continue des compétences et des configurations dans un monde en mutation rapide.

 

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