Compétences numériques : la start-up d’Etat Pix, ou « faire de la politique d’une autre manière » 

Pix, spécialisée dans l’évaluation et le développement des compétences numériques, est la première startup d’Etat à avoir acquis une personnalité morale ; elle compte aujourd’hui une centaine de collaborateurs. Mené par Benjamin Marteau, ancien membre de cabinet ministériel, ce projet est le résultat d’une rencontre choc entre les méthodes des start-up et la force de frappe de l’Etat… avec une méthode pour faire émerger le succès. 

Benjamin Marteau, directeur de Pix

Benjamin Marteau, directeur de Pix

Lier le concept de start-up avec l’Etat peut paraître paradoxal, tant ce concept est éloigné de l’idée habituelle qu’on se fait du fonctionnement de l’administration. Il est pourtant possible de lier les deux dans un objectif de construction de services publics. La lutte contre la fracture numérique en est un. C’est le crédo sur lequel s’est placée la startup d’Etat Pix : “Un service public pour évaluer, développer et certifier les compétences numériques tout au long de la vie”, précise Benjamin Marteau, son directeur. Passé par les rouages de la politique, le patron de la start-up a impulsé la création du projet jusqu’à sa pérennisation. Cette année près de 7 millions de personnes utiliseront la plateforme.  

Dans les couloirs des institutions  

“J’ai commencé ma carrière au Parlement Européen en tant qu’assistant parlementaire pendant cinq ans”, raconte Benjamin Marteau. Avant que Vincent Peillon, le député pour lequel il travaillait, soit nommé ministre de l’Éducation nationale sous la présidence de François Hollande. Il était alors son chef de cabinet adjoint. “J’ai pu connaitre de manière plus profonde les questions éducatives, un sujet qui m’intéressait déjà avant”, raconte-t-il.  

Mais c’est lors de son passage au Conseil national éducation économie, instance de concertation entre le monde de l’éducation et le monde de l’économie, qu’il a décelé des besoins sur les compétences numériques. “Il y avait un intérêt sur ces sujets pour des entreprises comme pour l’éducation”, assure Benjamin Marteau. Pour tenter de conserver les leviers qu’il avait dans le cabinet du ministre de l’Éducation, Benjamin Marteau voulait éviter la voie classique et lourde des projets dans l’administration : les rapports écrits. “Le risque, c’est que cela reste lettre morte. Mais aussi qu’on sépare la phase de conception d’une idée de sa réalisation concrète”. Au même moment, c’est dans un contexte personnel qu’il découvre le design thinking et les méthodes agiles. “Ça a été un éveil pour moi”, confie-t-il.  

Mars 2016 : Une semaine pour tout lancer  

Presqu’un an après l’idée du projet, une semaine entière est consacrée à sa création concrète. “On avait bloqué les agendas de trente personnes pendant cinq jours. C’était une vraie prise de risque. Il y avait des gens du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur, du ministère du Travail mais aussi des acteurs du privé, développe Benjamin Marteau. Plutôt qu’un rapport, en est ressortie un prototype, une maquette graphique cliquable et une équipe. Tous les gens de cette période sont encore là aujourd’hui”.  

Le directeur de la startup insiste sur l’efficacité des méthodes de design thinking dans ce projet : “Ça a été choc-fusion entre le fonctionnement traditionnel de l’Etat et les méthodes agiles, un choc d’efficacité et de libération avec la découverte d’une autre manière plus légère, de construire des services publics”. C’est également durant cette semaine qu’est venue la réflexion autour du fond. “C’était autant l’invention du produit que l’invention du concept même de pouvoir évaluer de manière automatisée des compétences numériques”, explique Benjamin Marteau.  

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Pourtant un ralentissement de plusieurs mois s’est produit, lié à la difficulté à trouver des développeurs pour faire avancer le projet. C’est une nouvelle fois par des relations personnelles que Benjamin Marteau trouve une issue positive. “Normalement, il faut faire un marché public avec des spécifications et identifier dès le début et très précisément quelles seront les fonctionnalités de la plateforme. Tout ça est le contraire de la méthode agile. Puis j’ai eu connaissance des startups d’Etat. La Direction numérique de l’Etat avait mis en place ce dispositif, avec une approche méthodologique empruntée au secteur de la tech et un marché cadre dont les ministères pouvaient bénéficier. Un vivier de prestataires. On a ainsi pu avoir des forces de développement, des coachs agiles assez facilement”.  

La culture politique, un atout pour avancer  

Au fur et à mesure de développement du projet, des verrous doivent sauter grâce à des prises de décisions ou des validations de budget venant des décideurs de l’administration. “Il faut savoir frapper à la bonne porte et oser demander. Ce n’est pas toujours facile, confesse Benjamin Marteau. Mais comme j’étais connu dans le ministère de l’Éducation Nationale, premier sponsor du projet, je pouvais aller à n’importe quelle porte. Pour moi c’est faire de la politique d’une autre manière”.  

Il voit une différence avec certains autres intrapreneurs de l’administration : “Les profils sont très différents. Tel intrapreneur peut être plus sachant que moi sur le côté agile ou sur le côté métier. Par contre il n’aura pas nécessairement les mêmes compétences politiques. Aucun intrapreneur n’a toutes les compétences requises au départ et c’est normal : la force du programme Startup d’Etat est d’accompagner chaque porteur de projet, de le coacher et l’aider là où il en a le plus besoin”. 

Les verrous ont également sauté grâce aux preuves d’efficacité du produit, pensé au plus proches des besoins des futurs utilisateurs. “On a aussi testé les contenus pédagogiques avec les utilisateurs. On a construit les épreuves avec les lycéens ou des collaborateurs d’entreprise, pour qu’ils les apprécient. On a également fait des panels auprès des enseignants, des syndicats ou des DRH.” C’est également sur le ressenti de l’usage des décideurs qu’ont misé les membres de la startup pour convaincre : “C’est la clef de la clef de la clef (sic), martèle Benjamin Marteau. Ce qui fonctionne pour Pix, c’est que n’importe quelle personne qui teste voit l’intérêt. Elles comprennent la démarche pédagogique avec des petites épreuves, des petits défis. Il y a une adhésion qui se base sur l’usage direct de la plateforme. Ça joue autant que des mesures chiffrées”.  

Ces tests et panels réalisés auprès des potentiels utilisateurs ont également permis à Pix de se développer rapidement à une grande échelle. “On a eu communauté d’ambassadeurs qui s’est auto-générées. Ce sont des gens qui ont testé et qui en ont parlé. Ils deviennent des promoteurs”, indique Benjamin Marteau. Aujourd’hui, la startup anime ce réseau et ces communautés d’ambassadeurs dans l’enseignement scolaire ou dans le monde professionnel par exemple, en les rassemblant tous les six mois. Ils sont ainsi près de cinq millions à avoir utilisé la plateforme cette année avec une projection à sept millions d’ici la fin 2022. “Maintenant l’objectif est d’améliorer les services. Ce n’est pas tant d’être plus utilisé que d’être encore plus utile”, assure le directeur de la startup. 

Un financement publique majoritaire  

Pix est ainsi devenu la première startup d’Etat à avoir une personnalité morale, sous la forme d’un Groupement d’intérêt public. “On a élargi le cercle en tissant des liens encore plus larges dans la sphère de l’Etat”. Aujourd’hui se sont ajoutés notamment le ministère du Travail, l’Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information ou l’Agence nationale pour la cohésion des territoires. Toutes ces administrations subventionnent la startup pour que leurs publics-cibles puissent bénéficier de ses services.  

Pourtant, près d’un quart des revenus de Pix proviennent malgré tout de revenus propres. Notamment d’entreprises du privé souhaitant évaluer les compétences numériques de leurs employés pour leur proposer des formations adéquates. Les collectivités territoriales comme la métropole de Lille, la ville de Paris ou de la région Bretagne payent également pour s’offrir les services de la startup, tout comme des organismes de formation.  

En cours d’internationalisation  

Une autre part des revenus de la startup vient de l’étranger. “Nous avons la stratégie de mettre Pix en partage avec des services publics d’autres pays, explique Benjamin Marteau. On a signé avec la Fédération Wallonie-Bruxelles qui utilise Pix pour ses élèves, ses agents publics et ses citoyens comme en France. Cela contribue directement au développement informatique de l’outil”  

Cette stratégie s’inscrit dans une volonté d’atteindre une dimension plus importante de souveraineté numérique : “La France ne pourra, seule, retrouver une souveraineté numérique pleine et entière. La stratégie française, à laquelle Pix contribue dans son volet éducatif, est au contraire de parier sur la mise en place de communs numériques, avec des outils libres partagés à échelle européenne et internationale. C’est la clef si l’on veut retrouver un jour une autonomie face aux Gafam mais aussi limiter les tensions qui montent entre Etats sur des sujets liés au numérique”. 

“Le certificat numérique Pix peut être valable ailleurs qu’en France. L’inverse nous incapaciterait. Si on mélange du public et du commun à une échelle internationale, on peut arriver à proposer un autre modèle de développement d’outils numériques et de services publics numériques”, poursuit Benjamin Marteau. Avec également un partenariat avec l’Unesco, la startup Pix poursuit son internationalisation en étant désormais utilisée dans 17 pays différents. Des entames mais surtout des preuves de l’efficacité de la startup dans la création de services publics à grande échelle.