Que représente la continuité digitale pour un industriel et comment l’atteindre ? Jean-Christophe Déjean, vice-president, digital engineering, PLM Processes & governance chez Schneider Electric détaille sa vision et ce qu’apporte une initiative comme « Digital thread » mise en oeuvre par la multinationale française.
Cet entretien est extrait de notre guide « Industriels : quelles recettes pour mettre la continuité digitale au service de l’efficience opérationnelle ? », qui donne des insights précieux pour transformer l’exploitation et la maintenance des usines et infrastructures complexes. > Téléchargez ce document ici.
Que représente la continuité digitale pour Schneider Electric ?
Quel socle technologique avez-vous choisi ?
Nous n’avons pas choisi une approche monolithique en misant tout sur une seule solution. Nous sommes partis sur une démarche best of breed en nous reposant sur les technologies des éditeurs Aras et PTC. Cela nous offre une liberté de mouvement, si nous voulons par exemple remplacer une brique. L’inconvénient, c’est que nous devons réaliser nous-mêmes l’intégration et l’interconnexion de ces solutions.
Comment se passe le déploiement de Digital thread ?
Nous nous sommes aperçus, au bout d’un an, que nous avions sous-estimé l’impact que notre initiative avait sur la façon de travailler des collaborateurs. Techniquement, le socle technologique fonctionne parfaitement, mais l’adhésion en matière de change est plus lente à se mettre en place. Les raisons sont multifactorielles. Nos équipes de développement de produits doivent en effet gérer le passage à l’agile que nous avons entrepris il y a trois ou quatre ans. Elles doivent par ailleurs de plus en plus raisonner « système » (mélange d’électromécanique, d’électronique et de logiciel). Or, sur la partie matérielle, l’agile est moins facile à appliquer que dans le développement logiciel pur.
Enfin, la valeur du Digital thread n’est pas immédiatement visible dans le développement des offres. Les plus grands bénéficiaires de cette valeur se trouvent en effet plutôt en aval du cycle de vie, lorsque le produit connaît des évolutions ou lorsque des changements de fournisseurs ou de lieux de production surviennent.
Quelles autres répercussions l’initiative a-t-elle sur vos processus ?
Sur le plan technique, au lieu de réfléchir à une activité, une plateforme ou une application donnée, l’initiative Digital thread nous pousse désormais à identifier des cas d’usage. Nous raisonnons dorénavant « intégration de use cases » plutôt que « intégration de technologies ou de plateformes ». Nous sommes en train de réaliser ce pivot afin de favoriser l’adoption de notre démarche dès le départ – et non plus par opportunité – par les collaborateurs business qui développent les offres. Notre approche est en quelque sorte une discipline nouvelle que nous introduisons dans le développement produit. Ce sont des transformations de fond qui sont nécessaires, mais qui ne se réalisent pas en un jour.
Quels autres paramètres prenez-vous en considération dans Digital thread ?
Comme je viens de le décrire, notre ambition est de couvrir l’ensemble du cycle de vie du produit, from cradle to grave (du berceau à la tombe). De nouveaux éléments viennent s’ajouter à cette démarche, notamment les enjeux de durabilité (émissions de CO2, recyclage, réemploi…). Ce sont des processus qui, pour le moment, sont parallèles à notre initiative, mais que nous souhaitons intégrer. Aujourd’hui, contrairement à ce qui se passait il y a dix ans, la fin de vie d’un produit est prévue dès sa conception. Nous tenons également compte de la résilience de nos systèmes en prenant en considération les aspects géopolitiques.
D’autres transformations doivent-elles être menées en parallèle ?
Nous sommes également en train de mener une transformation en profondeur de notre data management. Aujourd’hui, même si notre technologie d’ERP est la même dans tous les pays, nous avons autant d’ERP qu’il y a de pays, voire d’usines. Nous sommes en train de déployer un projet de convergence sur ce plan. Nous profitons de ce projet pour ramener les nomenclatures de fabrication dans notre PDM (product data management). L’objectif est de faire coïncider les nomenclatures de conception et de fabrication.
Quels seront, demain, les bénéfices de tous ces changements ?
Prenons un exemple concret. Si demain, dans une usine, le besoin se fait sentir de changer de fournisseur sur une pièce constituant un produit, l’analyse de l’impact de cette modification pourra être réalisée. Les équipes pourront alors remonter jusqu’aux caractéristiques définies lors de la phase requirement. Si elles s’aperçoivent que le nouveau fournisseur n’a pas la capacité de fabriquer la pièce selon les exigences requises, elles s’abstiendront de faire le changement. Dans le cas que je viens de décrire, vous constatez que le digital thread « product development » s’interconnecte avec le digital thread « manufacturing ».
Finalement, ce sont de multiples digital threads que vous êtes en train de créer ?
Effectivement, nous sommes en train de nous équiper d’un réseau de digital threads. Ces derniers seront orientés product development, manufacturing ou bien encore services, car quand il s’agit de maintenabilité des produits, les services ne sont jamais très loin. Progressivement, ce réseau nous permettra d’assurer la continuité numérique du processus « cycle de vie du produit », tout en intégrant les éléments qui y contribuent (durabilité, résilience…).
Ces digital threads rendent les jumeaux numériques accessibles. Leur valeur ultime tient en effet en la possibilité de créer de vrais digital twins plus facilement, alors que cela a longtemps été très complexe de le faire à l’échelle pour les entreprises. Or, pour un industriel, disposer de la forme entièrement digitale d’un produit, aussi bien pour sa phase de fabrication que pour ses aspects serviciels, constitue une forme de graal. Mais sans continuité numérique, rien n’est possible.
