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Face à la « guerre technologique », comment Docaposte entend mener les combats prioritaires de la souveraineté numérique

 

Olivier Vallet, PDG de Docaposte, la branche numérique du groupe La Poste, co-préside le groupe de travail « Données sensibles » au sein du Comité stratégique de filière « Numérique de confiance ». Il partage son analyse sur les mobilisations actuelles de l’État et de l’écosystème en matière de souveraineté technologique, en pointant les combats prioritaires.

 

Quel regard portez-vous sur la dynamique actuelle autour du concept de souveraineté numérique ?

 

Chez Docaposte, nous sommes pleinement engagés depuis 2017 sur le segment de la souveraineté numérique. À l’époque, cette position était compliquée à tenir, perçue par certains comme « ringard », par d’autres comme protectionniste, mais nous n’avons pas dévié. Je me félicite donc de ce qui se passe actuellement et de la prise de conscience à tous les niveaux de l’écosystème. J’attire l’attention sur un point de vigilance : cet élan ne doit pas devenir un jeu de communication pour les uns et les autres. Mais je suis confiant en pensant que c’est un véritable tournant stratégique auquel nous assistons et qu’il va s’inscrire dans la durée. Il faut parvenir à graver dans le marbre les actions à mener, car le numérique s’inscrit dans le temps long.

 

Les transformations géopolitiques impulsées par la politique américaine ne sont-elles pas de nature à réconcilier les deux ?

 

Oui, tout le monde parle de « wake-up call », d’électrochoc, dont l’Europe avait besoin. Cyniquement, on pourrait estimer que Donald Trump est actuellement le meilleur ambassadeur pour le numérique souverain. Mais force est de constater que l’alignement est loin d’être là en Europe, que ce soit au niveau des gouvernements, des citoyens ou des entreprises. Il y a beaucoup de confusion, de défaitisme, de désintérêt… Pourtant, l’indépendance technologique constitue bien le cœur du combat à mener. Clara Chappaz (la ministre déléguée à l’IA et au numérique, NDLR) l’a bien résumé : il ne s’agit pas de se replier sur soi-même ou faire du protectionnisme ; mais plutôt de proposer des solutions, des alternatives stratégiques, pour naviguer dans un numérique de confiance en conscience. Chaque entreprise doit faire un état des lieux de ses dépendances technologiques de façon stratégique. Toutes les dépendances ne sont pas graves et, dans un monde interconnecté, on ne peut jamais vraiment être complètement indépendant. On ne parle donc pas d’un « tout souverain » jusqu’au-boutiste, mais plutôt de liberté de choix et de capacité à protéger les données sensibles.

 

Par quoi passe cet état des lieux ?

 

La première étape est de réaliser une cartographie pour décider quels sont les sujets stratégiques sur lesquels il faut se donner les moyens d’arriver à l’autonomie. Il est important de faire un état des lieux exhaustif des solutions utilisées, la souveraineté ne doit pas être regardée uniquement à travers le spectre du cloud, mais bien sur toute la chaine de valeur de la donnée. Et en parallèle, il faut arrêter de véhiculer le message de la bataille perdue, en particulier auprès des dirigeants ! Cela ne veut pas dire qu’il faut fermer les yeux ou nier les retards que l’on peut avoir sur certains sujets clés … mais il est impératif d’agir car sans maitrise des données et des infrastructures nous ne gagnerons pas la bataille de « l’IA souveraine », par exemple. Il existe des solutions d’IA, de cloud, d’identité numérique, de signature, de cybersécurité souveraines, éthiques et responsables. Il faut les mettre en lumière et les soutenir. Le cas du Health Data Hub est un exemple saisissant dont il faut tirer les conséquences.

 

Docaposte entend montrer l’exemple ?

 

Docaposte met à la disposition de ses clients des IA souveraines, éthiques et responsable. C’est notamment le cas dans le secteur de la santé. De plus, avec le lancement de NumSpot, je pense que nous avons également montré qu’en se regroupant entre grands acteurs de l’écosystème, pour avoir une assise financière et technologique suffisante, il était effectivement possible de proposer une alternative souveraine et de confiance. L’idée n’est pas de concurrencer des géants sur tous les marchés à la fois, mais de proposer des solutions aux clients qui ont justement les besoins stratégiques auxquels je faisais référence et notamment dans les secteurs où les données sont sensibles. Cet exemple montre que les acteurs de l’offre numérique doivent se mobiliser de la sorte avec un jeu plus collectif.

Les solutions existent, maintenant la demande doit évoluer également : les comités exécutifs des entreprises ont la responsabilité de supporter leurs directions numériques quand elles se positionnent pour utiliser ces solutions alternatives. Et l’État lui-même doit montrer l’exemple en fléchant des dépenses, en privilégiant des acteurs souverains pour la commande publique, en limitant le recours aux acteurs non européens… On ne peut pas attendre des mois et des mois, passés à réfléchir sur comment faire intégrer dans les réglementations de l’UE le concept de préférence européenne. Arrêtons d’être naïf et de craindre les mots : nous vivons une forme de guerre technologique qui nécessite de réagir. Nous avons des moyens financiers, des compétences, des grandes entreprises capables d’investir et un marché européen large. Chaque maillon est important et tous les ingrédients sont là pour passer à l’action. Construisons une filière numérique puissante, en adéquation avec le système de valeurs de la société dans laquelle nous souhaitons évoluer.

 

Quels sont ces combats prioritaires auxquels vous faites référence ?

 

Nous avons la chance d’avoir des dispositifs en France, comme la qualification SecNumCloud sur lequel un travail formidable a été fait. L’Europe doit impérativement s’aligner pour garantir la protection des données sensibles avec le même référentiel d’exigence. La France ne doit pas lâcher le sujet vis-à-vis des partenaires européens. Au-delà du cloud, il y a des enjeux stratégiques sur d’autres technologies : l’IA sur les moteurs LLM et la formation des ingénieurs, bien sûr, mais également l’identité numérique, avec demain le sujet clé du « wallet européen », et les coffres-forts numériques.
Par ailleurs, il faut concentrer les efforts sur des secteurs stratégiques prioritaires. Je pense notamment à la santé et à l’éducation, mais aussi au domaine bancaire. Quand nous avons développé Dalvia Santé, une IA qui permet de réaliser la synthèse de dossiers médicaux sous supervision humaine, nous nous sommes appuyés sur Mistral et NumSpot. C’est bien la preuve que l’on est capable de proposer des solutions cohérentes, accessibles et souveraines de bout en bout. Dans le domaine de l’éducation, nous avons effectué des investissements conséquents pour proposer le niveau SecNumCloud sur toute la chaîne du logiciel Pronote. Un autre exemple, en matière de cybersécurité, où nous avons réuni les offres des entreprises françaises dans le Pack Cyber pour les PME et les collectivités. C’est ce qui nous permet d’offrir une solution globale et accessible, avec un support partagé et des logiciels interopérables.

 

Vous co-présidez le groupe de travail « Données sensibles » au sein du Comité stratégique de filière « Numérique de confiance ». Que peut-on en attendre ?

 

Nous voulons accompagner la filière avec des éléments pratiques, des livrables concrets et toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. Nous avons eu de nombreuses déclarations d’intérêt depuis quelques semaines. Ensuite, nous constituerons une « core team » qui délivrera des premiers livrables rapidement. Lors de la mission de préfiguration du CSF, nous avions déjà passé en revue de nombreux sujets. Ils vont être mis à jour afin de prendre en compte le contexte actuel. La « première des priorités » porte sur la définition de ce que sont réellement les données sensibles aujourd’hui. Ce point de départ facilitera un état des lieux pertinents des dépendances technologiques associées. Nous avons véritablement à cœur de clarifier cette notion et d’accompagner les organisations dans les prises de conscience de ce qu’est la donnée sensible et si elles en ont, et qu’elles devraient être leurs attentes vis-à-vis de leurs prestataires. Un focus sera également mis sur les possibilités de réversibilité qui limiteront les situations de dépendance. Nos travaux doivent permettre de réengager la discussion et d’accompagner les départements achats qui sont généralement enfermés dans certaines offres.

 

Les messages de l’État en la matière ont souvent été jugés très équivoques ces dernières années. Qu’est-ce qui pourrait vous donner confiance pour la suite ?

 

En France, on s’astreint souvent à une forme de neutralité, qui conduit à beaucoup de saupoudrage dans les initiatives, les investissements… Je pense qu’il est temps de concentrer les efforts de façon plus visible. Nous devons concentrer les investissements, renforcer la coopération public – privé et faire émerger de gros acteurs français et européens. Nous sommes capables de le faire, nous l’avons prouvé avec Mistral, continuons…
Je le répète, mais l’Etat doit montrer l’exemple et avoir recours aux solutions souveraines et de confiance qui existent, favoriser les entreprises françaises et européennes. C’est un enjeu économique, social et sociétal majeur, dont il faut prendre toute la mesure de manière urgente. Si je devais avoir un rêve, ce serait une feuille de route numérique de l’État apolitique, tracée pour les 3 à 5 ans à venir, au-delà de toute instabilité gouvernementale. Ce sujet pourrait être porté par la Dinum (Direction interministérielle du numérique), qui pourrait se positionner comme « référent » au même titre que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) a réussi à construire ces dernières années sur les enjeux de cybersécurité.
On perçoit que la Dinum est en train d’effectuer ce virage, mais c’est un défi énorme. Nous gagnerions beaucoup à ce qu’elle parvienne au plus vite à mieux animer cet écosystème du numérique au-delà de l’État, afin d’être aussi un architecte de la complémentarité entre public et privé.

 

Quel regard portez-vous sur l’initiative « Équipe de France du numérique » portée par Numeum ?

 

C’est appréciable de voir l’énergie de cet élan collectif. Par le passé, il y avait beaucoup plus de « chacun pour soi » sur le marché. Aujourd’hui, l’envie de réussir ensemble est de plus en plus marquée. Rappelons qu’une équipe de stars individuelles n’est pas toujours gagnante, bien au contraire : il faut donc jouer au maximum la carte de la complémentarité, de la transparence et du collectif. Le marché français est trop petit pour atteindre la masse critique et créer intrinsèquement des champions. En revanche, nous pouvons gagner des combats contre les plus grands en nous coordonnant.

 

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