Halvern B. Logan (HBL Search) : « Aux Etats-Unis, l’IA fera partie intégrante du processus d’embauche »

A l’heure où la guerre des talents fait rage, en France comme aux Etats-Unis (où le taux de chômage n’a jamais été aussi bas), Alliancy a interrogé le président du cabinet RH californien HBL Search sur la façon dont le recrutement est mené outre-Atlantique avec l’aide des outils numériques. Entretien avec Halvern B. Logan, spécialiste de la recherche de cadres de haut niveau pour de grands groupes internationaux*, rencontré à Paris en marge de Vivatech.

Halvern B. Logan, président de HBL Search

Halvern B. Logan, président de HBL Search

Alliancy. Quelles sont les outils numériques les plus utilisés pour trier/analyser les candidatures dans un grand groupe américain ? L’IA est-elle si répandue ?

Halvern B. Logan. La plupart des grandes entreprises utilisent des agrégateurs nationaux ou internationaux, des portails d’emploi (job portal), l’évaluation de la personnalité, l’IA et le machine learning pour gérer leur processus de recrutement. Ces entreprises peuvent attirer entre 40 et 50 % de leurs candidats par l’intermédiaire des agrégateurs de profils du type Indeed, LinkedIn Talent ou des sites d’emploi comme CareerBuilder, ZipRecruiter ou Dice pour des postes plus techniques…

Tous ces réseaux sont très importants, surtout au niveau local, ce peut être par Etat, par ville ou par niveau d’études, notamment si l’on recherche de hauts cadres. Mais ces outils ne sont qu’une partie d’un éventail plus complexe d’options technologiques dont disposent les agences de recrutement et les entreprises pour soutenir les efforts de recrutement et de fidélisation. Car, une fois que les entreprises auront engagé les candidats, elles devront déterminer s’ils correspondent au poste et à la culture de l’entreprise. L’une des principales tendances actuelles est aussi l’utilisation de l’IA dans les tests et évaluations.

L’IA deviendrait donc incontournable…

Halvern B. Logan. Les dirigeants sont de plus en plus convaincus que l’IA fera en effet partie intégrante du processus d’embauche. Car ces différentes sources, qui permettent d’accéder à des centaines de millions de profils actifs et passifs, possèdent également de puissants algorithmes pour trouver, qualifier, trier et contacter des candidats. Mais pour utiliser au mieux ces systèmes et du fait du machine learning, il faut être le plus précis possible dans les offres postées ; le plus fin possible dans la description des besoins et des attentes… Par exemple, les candidats ne l’imaginent pas, mais on ne tient pas compte de 25 à 30 % des profils du fait de ce que l’on trouve uniquement sur les réseaux sociaux, tel Facebook… Tout « screener » grâce à l’IA nous permet de faire ce premier tri.

Face à de tels outils, comment faites-vous pour intégrer les besoins de recruter en termes de diversité par exemple  ?

Halvern B. Logan. Déjà, chaque entreprise a sa propre culture à ce sujet, chaque Etat également ! La loi californienne par exemple interdit aux employeurs de rechercher des informations sur l’historique des salaires d’un candidat « personnellement ou par l’intermédiaire d’un agent ». Plusieurs autres Etats ont adopté des législations destinées à lutter contre la discrimination salariale pouvant toucher les femmes tout au long de leur carrière… C’est donc uniquement le candidat qui décide s’il l’indique ou pas… Plusieurs entreprises partenaires de HBL Search ont déjà demandé de manière proactive de ne pas inclure, ni demander d’historique de salaire des candidats… Elles ont également mis à jour leurs systèmes de suivi (Applicant Tracking Systems) avec lesquels nous établissons une interface pour intégrer le changement réglementaire. D’autres règles s’appliquent également : on n’utilise pas certains mots dans une description de poste… et l’IA peut encore aider dans la rédaction des offres.

N’est-ce pas contradictoire de recruter avec des « robots » à l’heure où l’on parle beaucoup de « soft skills » ? Comment naviguez-vous entre ces deux contraintes ?

Halvern B. Logan. C’est vrai que la plupart des entreprises soumettent leur candidat à une vérification approfondie de ses antécédents, qui commence par un questionnaire de candidature de 3-4 pages. Selon le poste, ce processus peut être très intrusif. La demande comprend souvent l’autorisation de vérifier l’éducation, les casiers judiciaires, la vérification des comptes et la solvabilité financière, le dépistage de la toxicomanie, ainsi que la demande jusqu’à une douzaine de références comprenant l’ancien directeur du candidat, ses pairs et ses subordonnés. La demande moyenne est d’environ quatre références. Le processus de vérification des antécédents peut durer entre une semaine et trois mois. Pour un emploi lié au gouvernement, il faut doubler le temps nécessaire pour être approuvé…

Mais, dans l’environnement actuel, HBL Search doit recruter à l’aide des dernières technologies, sinon nous manquerions les meilleurs candidats… Nous utilisons donc des outils intégrant de l’IA au tout début du processus de recrutement. Les entreprises ont recours à des agences spécialisées comme nous, pour approfondir leur processus. Nous passons parfois plusieurs heures avec des candidats à évaluer leur pertinence… Et, en parallèle, il existe de nouveaux modèles de recrutement entièrement axés sur les métriques, qui ne prennent que quelques minutes avec les candidats. C’est un modèle davantage axé sur le volume… En fait, l’IA est complémentaire, ce n’est pas contradictoire.

Comment fait une entreprise qui recherche des freelances ? Est-ce le même processus ?

Halvern B. Logan. Il existe des agences spécialisées dans le recrutement du personnel temporaire à tous les niveaux. Robert Half, Randstad, Adecco, Kelly Services et de grandes agences de la diversité telles que le groupe ACT-1 se font concurrence dans ce domaine. Ces agences maintiennent un pool de professionnels dans leurs bases de données déjà qualifiées. Elles présentent généralement un paquet de curriculum vitae avec plusieurs candidats temporaires que le responsable du recrutement, qui en fait la demande, pourra sélectionner. Elles facturent généralement leurs frais sur un taux horaire.

Quel est actuellement le délai moyen pour recruter un candidat aux Etats-Unis ?

Halvern B. Logan. Entre 4 semaines et deux mois maximum pour un cadre de bon niveau. Mais les meilleurs candidats restent sur le marché moins de 4 semaines… Nous devons donc accélérer nos processus de recrutement. Surtout, il y a de plus en plus de surenchère dans l’IT, sur les développeurs ou les data scientists notamment… Les entreprises jouent évidemment sur les salaires, mais elles offrent en plus des primes à l’embauche, appelées « Signing Bonus ». Dans ce domaine, les meilleurs candidats ont plusieurs propositions de « Signing Bonus », auxquelles il faut ajouter des actions… Là, on ne parle pas des postes de hauts cadres qui bénéficiaient déjà de cela, mais plutôt de postes très spécialisés ou techniques de bon niveau.

Quel pourcentage de candidats rencontrez-vous réellement ?

Halvern B. Logan. Avant, je rencontrais la plupart d’entre eux… Maintenant, tout se passe en ligne ou au téléphone. C’est la grande différence avec l’Europe ! Mes collègues ici en voient la majeure partie, y compris si la personne vit dans une autre ville. Me concernant, c’est environ un tiers des candidats, principalement pour des postes de haut niveau ; et je ne les rencontre que rarement s’ils vivent dans un autre Etat. Par contre, on peut faire ou demander des entretiens vidéo pour aller plus loin… 60 à 70 % de la communication est non verbale, ce qui est important pour la partie « soft skills » évidemment.

En ce sens, le CV vidéo se répand-il ou d’autres méthodes ?

Halvern B. Logan. Oui, à la demande des entreprises, mais aussi beaucoup à la demande des candidats. Aux Etats-Unis, il existe de plus en plus de prestataires pour les aider à faire leur « video CV ». Comme il existe de plus en plus d’« assessment centers » (ou centres d’évaluation), qui proposent toutes sortes de tests pour évaluer les compétences et réactions des candidats. On peut tout repérer grâce à l’IA… La facilité à travailler en mode collaboratif, le stress en cas de situation conflictuelle, l’esprit d’initiative, le leadership, le caractère introverti ou extraverti de la personne, son esprit créatif ou organisationnel… Myer-Briggs, The Predictive Index, Workable, Mettl sont les cabinets les plus connus et certaines des dernières évaluations basées sur l’IA incluent SquarePeg, Vervoe et Pymetrics. Ce sont des prestations externes auxquelles les cabinets de recrutement font de plus en plus appel…

Existe-t-il finalement un « CV idéal » pour candidater aux Etats-Unis ?

Halvern B. Logan. Je ne suis pas sûr qu’il existe un type de CV idéal. Certains de nos clients préfèrent des CV très détaillés, en particulier pour des postes techniques, quand d’autres préfèrent une seule page… Pour les candidats relativement juniors, je recommanderais un CV d’une ou deux page(s). Le plus important étant de veiller à ce que les mots-clés et les compétences pertinentes figurent dans le CV et la lettre de motivation autant que possible. Les algorithmes vont se focaliser sur ces mots. Par ailleurs, pour de nombreux postes techniques dans l’IT, les clients ne se préoccupent pas des diplômes, mais de leurs compétences en codage, qui peuvent être déterminées par des tests d’évaluation.

Diriez-vous qu’un candidat doit obligatoirement être présent sur tous les réseaux ?

Halvern B. Logan. Evidemment, il doit être présent sur tous les sites que j’ai cités, même s’il reste passif. En parallèle, s’il veut bouger, il doit appeler des agences comme la nôtre. Il doit également être actif dans tous les réseaux et associations professionnels, dont le rôle est bien plus important aux Etats-Unis qu’en Europe. Chaque fonction compte un ensemble de groupes professionnels et un onglet sur leur site est souvent dédié aux opportunités d’emploi dans leur secteur. Par exemple, on peut citer la Society of Women Engineers dédiée à l’accompagnement des femmes ingénieurs ou Financial Executives International pour les cadres de la finance, le National Black MBA Association pour la plupart des cadres de la diversité qui, pendant leur conférence annuelle, attire plus que 400 des plus grandes entreprises qui recherchent de tels candidats… Sur la côte Ouest, il y a également la French Tech Association Los Angeles… qui réunit des entrepreneurs, des hauts dirigeants, des investisseurs, des ingénieurs et des responsables publics franco-américains.

« Le plus important est de veiller à ce que les mots-clés et les compétences pertinentes figurent dans le CV et la lettre de motivation autant que possible. Les algorithmes vont se focaliser sur ces mots. »

Pour quels types de recrutement êtes-vous principalement sollicités par vos clients ?

Halvern B. Logan. HBL Search gère les recherches les plus difficiles parmi les cadres intermédiaires, cadres supérieurs et dirigeants, dans tous les secteurs d’activité et fonctions. Ce qui implique de recruter les personnes les plus compétentes, au plus haut niveau, au sein d’entreprises parfois concurrentes de nos clients. Mais il existe différentes raisons pour lesquelles nos recherches sont strictement confidentielles. Parfois, il s’agit de remplacer discrètement de hauts dirigeants dans l’entreprise ; d’autres fois cela se passe dans le cadre de fusions/acquisitions… Enfin, certaines entreprises ne disposent pas toujours d’un service RH très étoffé et, étant donné les besoins et la difficulté de recruter les meilleurs talents, elles préfèrent faire appel à nos équipes spécialisées qui se concentrent exclusivement sur la recherche. Enfin, elles peuvent aussi avoir un poste urgent et vital à pourvoir très rapidement…

Nous avons découverts récemment en France le terme « Ghosting »** [les candidats repérés, voire déjà embauchés, disparaissent subitement, cessant de répondre au téléphone ou aux mails]. Est-ce vraiment si courant ?

Halvern B. Logan. On le voit régulièrement. Cela se répand car tout est devenu transactionnel et l’on fait tout plus facilement ! D’un côté, les entreprises ne répondent pas aux candidatures, ne rencontrent jamais les candidats ou très peu… De l’autre, certains candidats disposent de plusieurs offres et ne veulent pas avoir à se justifier sur leur choix vis-à-vis des entreprises… Aussi, ils disparaissent. Aujourd’hui, le pouvoir s’est inversé, c’est le candidat qui dispose ! D’où l’importance des agences de recrutement pour juger de là où il en est dans sa recherche d’emploi, de ses envies, attentes et besoins. Aujourd’hui, un candidat, s’il a une offre en main, il dispose d’une semaine pour répondre… Trois semaines pour recruter, c’est devenu trop long. Surtout, beaucoup de sociétés font de la surenchère quand elles apprennent le départ d’un de leurs collaborateurs. Le candidat joue aussi là-dessus, comme il préfère parfois partir sans rien dire… Le « ghosting » est clairement une indication de l’évolution des relations entre employeurs et salariés.

D’après des documents obtenus par le média américain The Verge, Amazon utiliserait un dispositif automatique pour connaître le taux de productivité de ses employés, et licencier les moins performants. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

Halvern B. Logan. C’est le concept américain appelé « At-will employment » [l’emploi de gré-à-gré]… L’employeur ne peut pas faire de discrimination raciale ou autre, mais si le salarié n’est pas assez productif, il peut le licencier quand il veut. En fait, tout dépend de la culture de l’entreprise. Amazon est un groupe très innovant, une marque très forte, qui paie très bien ses collaborateurs… Tout devenant transactionnel, il ne faut pas être surpris. En réponse à cela, on doit négocier de plus en plus, lors de l’embauche, ses conditions de départ en cas d’échec… Comme c’est déjà le cas pour les hauts cadres. Mais ce n’est pas possible pour tout le monde.

* Parmi les références actuelles et passées de HBL Search : Moffitt & Nichol, Toyota Financial Services, WET Design, The Capital Group, Pacific Life Insurance, The Siegfried Group, uBeam, Kemper, Parker Hannifin, City of Carson, Ford-Mazda, Ecosense Lighting, Prime Healthcare, MSC Industrial Supply, Victoria’s Secret, Medtronics, PM Realty, UPS…

** Voir aussi l’enquête publiée dans le Washington Post.

Plus de 25 ans d’expérience dans de grands groupes internationaux

Halvern B. Logan, président de HBL Search, compte plus de 25 années d’expérience en finance et comptabilité d’entreprise, puis en recrutement dans de grands groupes du classement Fortune 100 (Merrill Lynch, Federal Express, Prudential, Disney, Ford-Mazda…). Il a ensuite créé sa société spécialisée dans le recrutement de cadres (intervenant aux Etats-Unis et en Europe), qui comprend HBL Executive Search & Consulting Services, dont l’expertise soutient notamment les initiatives autour de la diversité et du développement organisationnel des entreprises en mettant l’accent sur l’évaluation de la culture et des valeurs. Francophone, il est titulaire d’un MBA de la Pepperdine University (Malibu, CA) et d’une maîtrise en commerce international de l’Institut de Gestion sociale de Paris. Dans les conditions actuelles du marché, HBL Search, qui travaille avec une équipe de six recruteurs, est mandaté pour une centaine de recherches de profils par an.f

 

Selon une étude récente d’Indeed, le premier moteur de recherche d’emploi dans le monde, portant sur les Français et l’IA en matière de recrutement, 41 % des 2 000 personnes interrogées considèrent qu’une IA serait au moins aussi compétente qu’un humain – voire davantage – pour évaluer leur personnalité lors d’un entretien d’embauche, et 26 % qu’une IA comprendrait au moins aussi bien qu’un humain – voire davantage – leurs motivations lors d’un tel entretien. On est loin de la majorité, mais cela confirme déjà les failles (confiance, justice, équité…) que certains constatent dans les processus actuels de recrutement en France.