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IA Act : une régulation de façade sur fond de dépendance américaine

Le texte pionnier adopté par le Parlement et les États membres prétend offrir un cadre juridique afin de réguler l’ascension de l’Intelligence artificielle. Le réveil risque pourtant d’être brutal.

« Deal ! ». C’est dans la langue de Shakespeare que le commissaire européen Thierry Breton s’est réjoui sur « X », le réseau social du milliardaire états-unien Elon Musk, de l’adoption de l’IA Act, le 8 décembre dernier. 

Graphique « humoristique » à la clé, l’ex-ministre français de l’Économie, aujourd’hui en charge du Marché intérieur au sein de l’UE, un texte pionnier dans la régulation du secteur de l’Intelligence artificielle et de ses potentielles dérives, alors qu’aucune autre nation n’a légiféré sur la question.

Dans l’ensemble, l’opération service après-vente s’est plutôt bien déroulée. Peu de journalistes ont épluché les quelques 129 pages du texte, et l’Agence France Presse a largement diffusé auprès des rédactions le satisfecit de Thierry Breton : C’est « historique », assure-t-il : « L’Union européenne est le premier continent à mettre en place des règles claires sur l’utilisation de l’IA. L’AI Act est plus qu’un ensemble de règles, c’est une rampe de lancement pour les startups européennes et les chercheurs dans la course mondiale sur l’intelligence artificielle ».

« Mesurettes »

Thierry Breton, commissaire européen

Quant au contenu même du texte, quelques « mesurettes » surnagent : le contrôle de la qualité des données utilisées pour mettre au point les algorithmes afin de protéger les droits d’auteur, l’affichage obligatoire de l’étiquette « intelligence artificielle » pour les contenus créés par cette dernière, ou encore l’identification formelle des logiciels fonctionnant avec l’IA dans les dialogues avec les êtres humains.

D’autre part, l’utilisation de l’IA « dans des domaines sensibles, comme les infrastructures critiques, l’éducation, les ressources humaines ou le maintien de l’ordre » sera soumise à des contraintes renforcées. Avec par exemple l’obligation « d’assurer un contrôle humain sur la machine, l’établissement d’une documentation technique ou encore la mise en place d’un système de gestion du risque ».

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Il s’agissait donc d’afficher des intentions rassurantes sur les problématiques du respect des droits de l’homme, de « l’inclusion » et du respect de la vie privée. À l’heure où la Chine, pays qui dispute aux États-Unis le leadership dans le domaine, parachève son modèle de « crédit social » déjà géré par l’Intelligence artificielle. La désormais « première puissance économique mondiale », qui forme depuis 2020 le plus grand nombre d’ingénieurs par habitant (devant la Russie et les États-Unis), a effectivement mis en place à partir de 2014 un strict contrôle de ses habitants, grâce à la collecte massive des données, la surveillance stricte des réseaux sociaux, ou la reconnaissance faciale opérée par les caméras de surveillance.

Failles béantes

Ces dernières, tente de nous rassurer « l’IA Act », ne pourront certes pas fonctionner au sein de l’Union européenne. Mais deux failles béantes subsistent : la possibilité pour les États membres de s’affranchir du texte dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme ». Et, plus significatif encore, l’exclusion de facto des applications de l’intelligence artificielle dans les armées et les programmes de Défense des États membres : « Les systèmes d’IA exclusivement développés ou utilisés à des fins militaires devraient être exclus du champ d’application du présent règlement lorsque cette utilisation relève de la compétence exclusive de la politique étrangère et de sécurité commune régie par le titre V du traité sur l’Union européenne (TUE) », est-il ainsi stipulé dès la page 25 du traité.

L’Intelligence artificielle se déploie pourtant déjà sur les champs de bataille des deux principaux conflits qui menacent de dégénérer en conflit mondialisé : en Ukraine, où la Russie expérimente ses nouvelles armes « intelligentes » aux portes de l’Otan, et à Gaza, où l’armée israélienne fait massivement appel à l’IA pour sélectionner les cibles à bombarder.

Destins américains

Un autre écueil, encore plus significatif celui-là, aurait dû largement tempérer l’enthousiasme de Thierry Breton. « Nous sommes en réalité dans une situation de dépendance totale par rapport aux États-Unis », souligne ainsi Stéphane Grumbach, directeur de recherche à l’Institut national en sciences et technologies du numérique (INRIA), et enseignant à SciencesPo Paris : « Nos ordinateurs et nos logiciels sont américains, la plupart de nos données, y compris celles de nos industries, sont hébergées aux États-Unis. Et même si nous disposons d’un excellent vivier d’ingénieurs et de spécialistes de l’IA, le destin de la plupart de nos startups est malheureusement d’être rachetées par les Américains ».

Lesquels bénéficient en plus d’un avantage décisif. Grâce à l’extraterritorialité du droit américain, la justice étatsunienne se permet déjà d’infliger aux entreprises européennes des amendes record (un exemple : 1,2 milliards d’euros à la Société Générale en 2018), pour avoir utilisé le dollar dans une transaction internationale « prohibée » par Washington, ou même d’avoir un simple composant « made in USA » dans un ordinateur ou un téléphone ayant servi à une transaction considérée outre-Atlantique comme illégale.

Les États-Unis seront donc parfaitement libres de s’affranchir de cet « IA Act ». Tandis que la Chine, toujours sous la pression du Département d’État, voit ses relations économiques avec le Vieux Continent de plus en plus entravées par les pressions et les menaces de sanctions. « Nous sommes exactement dans la même situation que les pays en voie de développement qui tentent de mettre en valeur leurs ressources, par exemple dans le secteur des hydrocarbures », ajoute Stéphane Grumbach. Ils ont des matières premières, mais ils ont besoin du savoir-faire occidental pour les exploiter. Pour l’Intelligence artificielle, l’Europe est dans le même rapport de domination et de dépendance par rapport aux États-Unis ».

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