Au sein de Crédit Mutuel Arkéa, Marc Chéreau est Directeur adjoint du pôle Technologies et services, Directeur d’Arkéa Solutions Informatiques et membre du Comité Exécutif, depuis le lancement du plan stratégique « Faire 2030 » fin janvier. Il livre ses préoccupations vis à vis du marché technologique actuel, et témoigne des transformations menées dans son organisation qui l’enthousiasment le plus.
Quels sont vos projets pour le développement de Crédit Mutuel Arkéa ?
Aujourd’hui, je dirige Arkéa Solutions Informatiques, qui regroupe 1200 collaborateurs. Je suis entré dans le groupe en 1989 et j’ai ainsi vécu 35 années de transformations informatiques. Je retiens surtout que nos métiers ont profondément évolué. Nous sommes entrés dans un nouveau cycle, porté par le cloud et l’intelligence artificielle. Beaucoup n’ont pas encore pleinement mesuré l’accélération majeure que nous vivons et l’ampleur des changements à venir. Je suis convaincu que les entreprises qui manqueront le virage du cloud et de l’IA auront du mal à survivre. Dans notre domaine, même si le secteur bancaire s’est déjà beaucoup transformé ces dernières décennies, nous savons que le processus est loin d’être achevé. Les réformes que nous conduisons au sein du groupe nous permettent de nous adapter à ce nouvel environnement.
Comment votre organisation a-t-elle évolué ?
Arkéa Solutions Informatiques réunit désormais la maîtrise d’ouvrage et la gestion des projets menés avec les métiers, alors que ces directions étaient longtemps séparées. Il y a cinq ans, nous fonctionnions en mode produit et agile ; nous avons ensuite rapproché la MOA et la MOE, afin que l’organisation hiérarchique reflète l’organisation opérationnelle. Il s’agit d’un modèle de “delivery” industriel, pleinement au service des métiers. L’informatique ne décide plus seule de ce qui est bon ou non ; de la même manière, nous sommes passés d’un pilotage par les coûts des projets à un pilotage par la valeur délivrée. L’enjeu n’est plus de compter les fonctionnalités apportées, mais d’adopter une démarche résolument orientée business. C’est ce qui permet d’aligner l’IT sur le plan stratégique « Faire 2030 » dévoilé en début d’année par Crédit Mutuel Arkéa. Ce plan implique de préparer les plateformes technologiques de demain et de faire comprendre à tous que cet investissement est à la fois ambitieux et essentiel.
Avez-vous dû revoir votre approche de l’innovation en parallèle ?
Nous avons mis en place une structure dédiée à l’architecture, au data office et à l’innovation. Elle agit comme un véritable “bureau d’études” surplombant nos unités de production, afin de faciliter le déploiement de l’innovation. Aujourd’hui, force est de constater que l’ensemble des banques demeure aux prises avec de nombreux « proof of concepts ». Nous souhaitons aller plus loin et plus vite. C’est pourquoi nous nous inspirons des méthodes industrielles pour accélérer notre rythme.
À quel point le comité exécutif de Crédit Mutuel Arkéa s’empare-t-il directement des sujets numériques aujourd’hui ?
Le plan stratégique identifie l’IT et l’intelligence artificielle comme deux accélérateurs clés, cette dernière bénéficiant d’une mise en avant particulière. Le COMEX est pleinement conscient de l’importance de conserver la maîtrise souveraine de l’évolution de nos technologies et des propositions de valeur qui y sont associées. Au sein de notre COMEX de huit membres, deux d’entre nous portent les enjeux technologiques ; cette proportion reflète l’ampleur des défis actuels. Au-delà du COMEX, un comité de direction générale est dédié à l’IT – intégrant également la gestion des risques – et un autre à la transformation digitale.
S’agissant de l’IA, l’ensemble des dirigeants ont identifié et consolidé les cas d’usage prioritaires attendus par les métiers : 400 cas d’usage à forte valeur ajoutée ont ainsi été recensés. À partir de cette base, nous avons défini neuf problématiques regroupées en trois axes : le client augmenté, le conseiller augmenté et la transformation des métiers bancaires, par exemple la lutte contre la fraude ou l’octroi de crédit. Pour chacun de ces axes, nous mobilisons toutes les capacités offertes par l’IA, qu’il s’agisse d’IA traditionnelle, générative ou agentique.
Quelles sont les évolutions du marché du numérique que vous surveillez le plus ?
Notre priorité est le cloud, véritable socle de notre stratégie. Aujourd’hui, nous déployons nos logiciels via des plateformes reposant sur Docker, OpenStack, Kubernetes… Nos clouds privés s’inspirent des technologies et processus du cloud public. Mais au-delà de ces évolutions, l’enjeu est de standardiser afin de pouvoir déployer, de manière hybride, les applications présentes et futures. L’éparpillement est un piège à éviter face à des fournisseurs de cloud qui diversifient leurs offres pour se démarquer.
Vous craignez des situations de vendor-lockin technologiques ?
Il faut savoir s’en prémunir, notamment au regard des enjeux de souveraineté, tant européens que français. Cette dépendance technologique ajoute une complexité supplémentaire : les banques françaises doivent arbitrer entre la quête de souveraineté et la volonté de tirer parti des cycles d’innovation proposés par le marché. Avec l’IA, cette complexité prend une dimension nouvelle, car l’intelligence artificielle constitue une bifurcation à tous les niveaux : capacités métiers accessibles, système d’information, pratiques informatiques, modèle opérationnel jusqu’à la manière d’apprendre et de développer des expertises.
De la banque conversationnelle à la banque agentique, c’est un horizon inédit de création de valeur qui s’ouvre. La relation entre les clients et la banque se transforme, de même que la manière d’exercer le métier de banquier dans un modèle relationnel renouvelé. Dans l’histoire du Groupe Crédit Mutuel Arkéa, nous avons l’expérience d’accompagner les impacts sociaux et RH de chaque cycle technologique, avec attention et au service de toutes et tous. Le conseiller demeure le pivot de la relation, pilotant progressivement un écosystème de services en constante évolution.
L’intégration de l’IA a tendance à déséquilibrer les systèmes existants ?
Sur la base de plateformes de données, un nouvel entrant apparaît dans notre système d’information : l’agentique IA. Ces agents logiciels, dotés d’un périmètre d’action, relativement autonomes et auto-apprenants, constituent les nouvelles briques de traitements d’automatisation intelligents, orientés événements et non déterministes. Ils ouvrent un horizon inédit de traitements informatiques au service de cas d’usage à forte valeur ajoutée, particulièrement pour les banques. Les fondations requises, je le mentionnais précédemment, ce sont les plateformes de données. Pendant des années, chacun a multiplié les micro-entrepôts spécialisés, et de nombreux éditeurs ont proposé des outils favorisant l’autonomie de l’utilisateur final. Mais à l’aune des transformations IA que l’on constate aujourd’hui, ce que l’on doit reconstruire, c’est au contraire une plateforme de donnée globale. Nous ne pouvons plus rester dans un monde où chacun travaille dans son coin avec ses propres algorithmes, ses propres données et sa propre interprétation. Nous avons aujourd’hui besoin de la transversalité que permettent des volumes importants de données. Nos équipes sont devenues très autonomes sur ces sujets ; elles ne souhaitent évidemment plus revenir à un modèle centralisé, comme du temps où les silos organisationnels prévalaient. Il nous faut donc préserver cette autonomie au sein de plateformes génériques. L’enjeu est de restructurer pour apporter une valeur d’entreprise globale : gouvernance, qualité et enrichissement des données. Au-delà des données bancaires elles-mêmes, cela passe par l’ouverture et l’intégration de nouveaux écosystèmes de données, y compris comportementales, ce que nous appelons la “vue 1080°”, ce qui correspond à trois fois 360°.
Les banques ont déjà été amenées à s’ouvrir, dans la continuité de DSP2* par exemple. Faut-il aller plus loin ?
Oui. L’ouverture vers l’extérieur n’en est qu’à ses débuts. Ce mouvement mobilise des enjeux complexes pour la banque, tels que l’anonymisation ou la pseudonymisation des données partagées, ainsi que la définition de produits de données et de leur valeur business. Nous disposons de nombreuses informations riches et originales sur la vie des territoires, les grandes masses de revenus, les comportements et les modèles économiques. Pour extraire toute la valeur de ces données dans de nouveaux écosystèmes d’échange, il est indispensable de démanteler les silos existants. Ce chemin trace les transformations de demain.
En réponse à vos préoccupations sur les dépendances technologiques, pensez-vous que l’Europe puisse encore rester maîtresse de son destin numérique ?
Je pense que nous nous dirigeons vers une consolidation des fournisseurs de technologies, un mouvement qui peut s’avérer périlleux en termes de dépendances et de souveraineté technologique. Sur l’IA et le cloud en particulier, l’enjeu de souveraineté, à l’échelle européenne comme française, devient non seulement prédominant, mais aussi urgent. Les réalités géopolitiques ont mis en lumière le caractère stratégique de nos capacités technologiques, ce qui exige des stratégies mûrement réfléchies. Dans ce contexte émergent des propositions de valeur, à la fois régionales et nationales, qu’il convient d’examiner, ainsi que des approches multi-fournisseurs et hybrides qui contribuent à préserver l’indépendance. En cette période d’accélération, nous accueillons ces innovations avec enthousiasme et pragmatisme, dans l’esprit du Groupe.
*La directive sur les services de paiement, dite DSP2, voté en 2015 par le Parlement Européen et entrée en vigueur en septembre 2019 vise à harmoniser la réglementation sur les paiements au sein de l’Union Européenne.
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