Investir dans la mobilité durable : un chantier stratégique qui résiste aux turbulences

 

Un panel d’acteurs publics et privés a analysé comment se structure aujourd’hui l’investissement dans la mobilité durable. Malgré un marché sous tension, l’écosystème français et européen avance, porté par des stratégies d’ancrage industriel, de souveraineté et d’innovation appliquée.

 

Derrière les discours anxieux, les chiffres racontent une histoire bien moins fragile. Car la dynamique d’investissement ne s’est pas effondrée, elle s’est recomposée. Cette recomposition s’observe d’abord dans le rôle accru des plateformes européennes. “Nous accélérons la transition en connectant villes, industriels et start-up autour d’un socle technologique européen”, a affirmé Raoul Van Lennep, conseiller innovation, EIT Urban Mobility. La contraction du marché agit comme un filtre, renforçant les projets capables d’atteindre l’industrialisation plutôt que la simple expérimentation. Bpifrance en tire la même lecture. « Nos financements ne sont qu’un moyen : ce qui compte, c’est de faire grandir l’écosystème”, a analysé Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation, Bpifrance. Près de 500 start-up actives dans la mobilité durable et une résilience supérieure à celle d’autres pays montrent que l’enjeu n’est plus la quantité de capital, mais son orientation. Entre électrification, gigafactories et infratech, le secteur entre dans une phase où l’intensité capitalistique impose une visibilité stratégique que seuls les acteurs les plus solides peuvent offrir. Le marché ne recule donc pas, il se resserre autour de modèles viables, mieux arrimés à l’économie réelle.

 

Le capital-risque face à la souveraineté et aux nouveaux usages

 

La contraction apparente du marché n’est qu’un symptôme : le véritable déplacement s’opère vers la souveraineté industrielle, devenue le prisme de lecture des investissements. “On ne peut plus parler de souveraineté européenne sans parler d’énergie et de climat”, a observé Amélie Arthus-Bertrand, investment director, Shift4Good. La mobilité décarbonée quitte la catégorie “transition” pour rejoindre celle des actifs stratégiques, au même titre que l’énergie ou les semi-conducteurs. Et la baisse du capital-risque ne traduit pas un affaissement. “La diminution des collectes reflète le marché, pas un affaiblissement des cleantech”, a poursuivi Arthus-Bertrand. Le capital-risque se professionnalise. Les dossiers gagnent en maturité, les fonds généralistes reviennent avec une compréhension technique plus fine et les innovations mêlent désormais numérique, industrie et usages. La mobilité devient un terrain d’arbitrage où efficacité opérationnelle et autonomie technologique se confondent.

 

L’accompagnement comme levier décisif de confiance

 

La technologie ne suffit plus, c’est la capacité à orchestrer les acteurs qui conditionne désormais l’accès aux financements. “Investir, ce n’est pas seulement financer, c’est créer des ponts”, a souligné Julie Sadaka-Entrigner, directrice du MooveLab (Mobilians). L’accélérateur structure un espace de confiance entre start-up, industriels, investisseurs et territoires, permettant aux innovations d’atteindre le marché. Les effets sont tangibles puisque 40 % des levées early stage de 2024 concernent des start-up accompagnées. Mais cette mécanique reste vulnérable à la volatilité politique. “Sans cadre lisible, aucune entreprise ne peut se projeter”, a alerté Sadaka-Entrigner. Les revirements réglementaires sur le vélo, le covoiturage ou les incitations fiscales ont montré l’impact immédiat des hésitations publiques. Pour stabiliser le terrain, le MooveLab élargit son rôle avec un outils pour les AOM, des passerelles opérationnelles et des investissements directs dans une start-up d’IA pour accélérer la transformation de ses 180 000 entreprises adhérentes. Le financement suit la confiance et pas l’inverse.

 

Une Europe déterminante, à condition de gagner en lisibilité

 

L’intégration européenne multiplie les opportunités, mais la fragmentation des guichets brise l’élan. “Abaisser la barrière d’entrée expérimentale est essentiel pour passer de l’idée au service”, a souligné Van Lennep, EIT Urban Mobility. Les expérimentations cofinancées démontrent que l’Europe peut accélérer la maturité des solutions. Mais l’accès reste labyrinthique. “Nous devons créer un continuum entre dispositifs nationaux et européens pour rendre les financements lisibles et cumulables”, a insisté Paul-François Fournier, Bpifrance. L’alerte est structurelle. Alors que France 2030 arrive au bout de son cycle, les projets doivent basculer vers Horizon Europe, Innovation Fund ou CEF Transport. Or ces guichets, dispersés, concurrents, peu lisibles, freinent les PME. Une incohérence risquée pour des pans industriels (batteries solides, hydrogène vert, propulsion vélique, efficacité aéronautique) où la compétition mondiale est immédiate. L’Europe a les moyens financiers, mais pas encore l’architecture institutionnelle qui permettrait d’en faire un avantage compétitif. Dans une période secouée, l’investissement ne faiblit pas il s’affûte. Et c’est cette précision, plus que les volumes, qui pourrait façonner l’avantage européen.