Vincent Deleau, DG de la CANUT, détaille comment la Centrale d’Achat du Numérique et des Télécoms aide les établissements publics français à suivre le rythme rapide des innovations numériques. En mutualisant leurs besoins, elle sécurise les marchés, facilite l’accès aux technologies et accompagne la transition vers des solutions souveraines.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce qu’est la CANUT ?
La CANUT est une centrale d’achat dédiée au numérique et aux télécoms, créée à l’initiative de collectivités territoriales. L’objectif était simple : répondre à un besoin croissant de rapidité, de simplicité et de transparence dans les achats IT publics.Aujourd’hui, on retrouve à la CANUT presque 3000 établissements publics de toutes les tailles. Nous représentons l’intérêt collectif de nos membres et jouons un rôle d’intermédiaire : nous parlons d’une seule voix auprès des fournisseurs, ce qui permet même aux plus petites collectivités de bénéficier d’un cadre juridique sécurisé et de conditions tarifaires qu’elles n’auraient jamais pu obtenir seules.
Quels sont les avantages de la CANUT ?
Le numérique évolue extrêmement rapidement. Les DSI nous ont très vite fait remonter leur difficulté à déployer des solutions dans les délais imposés par leur organisation ou leurs élus, alors que les procédures d’achat public sont souvent longues et fastidieuses. Dans un contexte où les budgets sont contraints et priorisés sur des investissements visibles pour les citoyens, les projets IT passent parfois au second plan. Notre rôle est alors d’agréger les besoins au niveau national. Cette massification donne du poids dans la négociation : sur les tarifs, les services, les niveaux de support. Elle permet également aux établissements publics d’accéder très rapidement à des solutions déjà sourcées et sécurisées.
À quels besoins des établissements publics répond la CANUT ?
Parmi les tendances majeures, plusieurs domaines se distinguent. L’intelligence artificielle d’abord, vue comme un levier de performance, d’automatisation et de fiabilisation des process. Les objets connectés et capteurs, communément rassemblés sous le thème de l’IoT, sont également très demandés dans les projets de Smart City ou Smart Building, notamment pour optimiser les consommations énergétiques. Enfin, on retrouve aussi la sécurité, avec un intérêt croissant pour la vidéoprotection, le contrôle d’accès. La cybersécurité reste, elle aussi, une préoccupation permanente. Elle représente aujourd’hui 5 à 10% du budget des DSI. La situation a beaucoup évolué depuis 6-7 ans, à l’époque où l’on pensait encore qu’un pare-feu suffisait. Notre ambition est d’offrir, progressivement, une couverture complète des besoins d’une DSI publique.
Quel rôle se donne votre association par rapport au défi de la souveraineté ?
Nous avons clairement un rôle à jouer sur ce sujet. Grâce à notre positionnement, nous disposons d’une marge d’action plus large qu’un établissement seul. À ce titre, nous sommes quelque part le bras armé des établissements publics sur le sujet de la souveraineté. Celle-ci concerne à la fois la maîtrise des données — notamment celles des citoyens — et la dépendance technologique vis-à-vis d’acteurs soumis à des législations extraterritoriales. Les prises de conscience des élus se multiplient, notamment après plusieurs épisodes internationaux qui ont montré à quel point l’accès à des services essentiels pouvait être révoqué unilatéralement.
Quelles sont les contraintes auxquelles font face les établissements publics face au désir de souveraineté ?
Un établissement public ne peut pas exclure un fournisseur étranger sans justification juridique solide : cela pourrait mener à un contentieux. De notre côté, nous pouvons créer des accords-cadres favorisant des solutions souveraines, car les fournisseurs internationaux restent disponibles sur d’autres segments. Cette approche est conforme au droit, tout en soutenant la structuration d’un écosystème numérique européen. Il y a d’ailleurs actuellement une vraie évolution dans l’approche légale au niveau des institutions européennes sur cet enjeu. Un travail, qui devrait aboutir d’ici quelques années, a notamment été initié sur la possibilité de restreindre sur certains champs d’achat l’accès aux sociétés soumises à des règles extraterritoriales.
Sur qui repose l’enjeu de la souveraineté dans les collectivités et les établissements publics ?
La souveraineté est un enjeu collectif. Il ne repose pas seulement sur les DSI : il nécessite une impulsion politique. Sortir d’un écosystème technologique américain peut avoir un impact sur les usages, et parfois créer des frictions ou des points de blocage. Une fois les risques de dépendances répertoriés, il faut rechercher des solutions alternatives qui répondent au besoin informatique et qui fonctionnent avec le SI. Ce sourcing peut s’avérer fastidieux. Si certaines migrations peuvent être rapides — quelques mois par exemple pour changer une solution de visioconférence — d’autres, notamment celles liées aux applications métiers, peuvent demander plusieurs années et des investissements conséquents. Cela suppose de la vision, du courage politique et un dialogue fluide avec les équipes IT. Plus les élus associeront leurs DSI à la gouvernance, plus la transformation sera possible.
