L’argent est le nerf de la guerre pour assurer le futur technologique de l’Europe. En présentant le 15 septembre dernier sa nouvelle « stratégie pour renforcer les infrastructures de recherche et de technologie en Europe », la Commission européenne le reconnaît en filigrane. Ekaterina Zaharieva, la commissaire en charge des start-up, de la recherche et de l’innovation, met en avant que « si nous voulons rester un leader mondial dans le domaine de la science d’excellence et de l’innovation technologique, il est essentiel que nous disposions d’une approche européenne ambitieuse et coordonnée en matière d’infrastructures de recherche et de technologie ».
Retard à l’allumage
Sur une telle généralité, difficile de lui donner tort : donner accès à des installations de pointe et à des services permettant de mieux tester les produits et services numériques développés par nos innovateurs peut évidemment être un accélérateur. Cela va aussi dans le sens du plan « Choisir l’Europe » pour attirer les têtes bien faites. Mais les investissements nécessaires pour avoir un impact ne seront sans doute disponibles qu’après 2028 et le prochain budget pluriannuel de l’Union… Entretemps, les États membres doivent suppléer à l’effort d’eux-mêmes. Malheureusement, en la matière, la France est bien en mal de montrer l’exemple, du fait de ses errances budgétaires et des conflits qui opposent souvent artificiellement entrepreneurs et partisans de la justice fiscale autour de la « Taxe Zucman ».
Les besoins d’investissement tech massifs sur le devant de la scène
« Comment nous sommes-nous retrouvés là ? ». C’est ce qu’ont dû se demander les dirigeants de Mistral, quand ils ont remarqué que leur entreprise et sa récente levée de fonds était prise comme l’exemple type de la cristallisation des tensions entre partisans et opposants à l’idée d’une taxe de 2% sur les patrimoines dépassant 100 millions d’euros. Passons outre le fait que certains acteurs politiques de premier plan semblent s’accommoder de toutes sortes de confusions sur les différences entre une valorisation, un revenu, un patrimoine privé, un patrimoine professionnel… et que le seul sujet de la Taxe Zucman n’est absolument pas en mesure de résumer (ou de résoudre) le mal plus profond de la stagnation et des difficultés politiques françaises actuelles. À défaut de crédibiliser la scène politique française, la séquence aura permis de mettre une nouvelle fois en avant la réalité crue des gigantesques investissements que nécessite le développement de capacités numériques indépendantes de celles des champions américains. Du fait de l’absence d’un marché financier unique, les entreprises privées peinent à atteindre cette masse critique de financement. Le défi pour l’Union européenne est donc bien de créer ce « choc de financement » de nature à faire la différence. Or, la marche est haute.
Déséquilibre budgétaire
Rappelons en effet quelques grands ensembles budgétaires qui caractérisent l’Union européenne : le budget total de l’UE pour 2024 s’élève à presque 190 milliards d’euros, soit environ 1 % seulement du PIB européen. Le numérique et l’innovation technologique représentent 6,8 % de ce budget total, principalement autour des 12,9 milliards d’euros pour Horizon Europe et 7,5 milliards pour le programme Digital Europe. Un montant à comparer pour ordre de grandeur à celui de la seule Politique Agricole Commune (PAC) : 53,8 milliards d’euros, soit 28,4 % du budget total…Heureusement, la Commission semble avoir conscience du problème et pousse à de nouveaux ensembles d’actions. En particulier, le programme TechEU de la Banque européenne d’investissement (BEI) doit représenter 70 milliards d’euros entre 2025 et 2027 d’investissements nouveaux ciblant le calcul intensif, l’IA, les infrastructures data…
Le défi 2028-2034
Mais la véritable échéance clé va se jouer sur le budget 2028-2034 du bloc. Pour cette période, la Commission entend proposer une augmentation massive des moyens. Le nouveau programme-cadre Horizon Europe devrait alors voir son budget doublé en étant porté à 175 Md€, alors que le programme Digital/CEF serait de son côté remplacé par un nouveau fonds « digital leadership » à 54,8 Md€. Des montants qui s’additionneraient aux ressources “classiques” issues du Fonds de cohésion, des prêts Catalyst Europe ou du prolongement d’InvestEU. Avec l’objectif de bâtir ces fameuses infrastructures de recherche et numériques de nouvelle génération « différenciantes » pour l’innovation : cloud européen, 6G, supercalculateurs exascales, « AI factories »… Une bonne nouvelle sans doute. Mais là encore, il est utile de rappeler par exemple qu’Amazon, considérée comme la première entreprise mondiale en termes d’investissement de R&D, y a consacré environ 85 milliards de dollars sur la seule année 2024. De quoi encourager encore plus l’Europe à doper ses investissements. Et la France à trouver une voie de sortie urgente pour ses déboires budgétaires.
