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Laurent Allard (OVH Group) : « Pourquoi pas devenir aussi grand qu’Amazon »

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Laurent Allard, directeur général OVH Group © OVH

OVH vient de tenir son troisième OVH Summit le 24 septembre. En février, Octave Klaba, le fondateur d’OVH Group, cédait à Laurent Allard, 53 ans la direction générale de son entreprise, avec pour mission de transformer l’ETI française en grand groupe international. OVH est le premier hébergeur Internet en Europe et le troisième dans le monde en nombre de serveurs. D’ici à 2020, il veut multiplier par quatre un chiffre d’affaires, qui atteignait 230 millions d’euros fin 2014. Un challenge comme aime les relever le nouveau CEO…

Alliancy, le mag. En début d’année, vous avez quitté le groupe canadien CGI, un des leaders mondiaux dans les services numériques. En tant que directeur général, vous y aviez la responsabilité des solutions technologiques et des infrastructures. CGI emploie 12 000 salariés, OVH « seulement » 1 000. Pourquoi avoir changé de monde ? 

Laurent Allard. J’ai toujours aimé les challenges qui s’inscrivent dans la durée. Dans le passé, j’ai mené à bien la refonte des systèmes d’information du Crédit du Nord, puis ceux d’Axa. J’ai été l’un des cofondateurs de l’entreprise Axa Tech qui a pris en charge les infrastructures informatiques de l’assureur. J’ai rationalisé ensuite l’informatique de Logica, avant que cette société ne soit rachetée par CGI.

La famille Klaba, le père Henryk,  les fils Octave et Miroslaw et la mère Halina ont réussi à faire de leur entreprise OVH un des leaders européens de l’hébergement et le deuxième  plus grand registraire de noms de domaine en Europe. Ils l’ont fait en gardant le mode de fonctionnement d’une start-up. Ils ont toujours travaillé avec des plans à cinq ans. Le dernier qui court jusqu’en 2020 a pour objectif de multiplier par quatre un chiffre d’affaires, qui atteignait 230 millions à la fin 2014. Quand ils l’ont décidé, ils savaient que leur entreprise n’était pas structurée pour l’atteindre.

C’est-à-dire ?

Leur mode de gouvernance avait atteint ses limites. Il fallait revoir leur organisation. D’où leur décision de faire appel à quelqu’un de l’extérieur pour mener à bien cette opération. Quand ils m’ont proposé d’être cette personne, j’ai demandé à Henryk Klaba comment il mesurait la réussite de son entreprise. « Par le fait que 75 % de mes salariés sont propriétaires de leur logement », m’a-t-il répondu. OVH place l’humain au centre de son projet d’entreprise. Ce n’est pas seulement un affichage comme souvent ailleurs. C’est une réalité  qui permet de mobiliser les énergies de tous. Travailler chez OVH, c’est  se retrouver sur une autre planète. Cela fait du bien. 

Connaissiez-vous l’entreprise avant que la famille Klaba vous propose d’en prendre la direction générale ?

Oui, depuis un an nous travaillions ensemble. Je suis roubaisien. J’ai toujours eu ma résidence principale dans cette ville. Mais je n’ai connu cette entreprise qu’en 2013, alors que je recherchais un prestataire pour héberger dans le cloud les données des clients de CGI afin de réduire le coût des prestations d’outsourcing. Son offre m’a tout de suite conquis, et j’ai décidé de migrer sur ses datacenters toutes les données gérées par CGI France. Nous avons ensuite collaboré pour construire une offre de services conjointe, avec des couches applicatives métiers développées par les équipes de CGI sur les infrastructures d’OVH. Ensemble, nous avons redéployé tout le CRM (Customer Relationship Management) du groupe Sanofi. Nous avons appris à nous apprécier.

Pourquoi avoir choisi OVH pour héberger les données gérées par CGI ?

D’abord, pour une question de prix de revient. Faire héberger nos données sur leurs serveurs en payant à l’usage revenait deux fois moins cher que de les garder en interne. Et quand avec d’autres hébergeurs il faut attendre souvent jusqu’à trois mois pour tout basculer, cela n’a pris que 120 secondes avec OVH. Enfin, sa technologie est disponible en marque blanche. Il suffit de quelques jours de développement pour personnaliser le portail d’interface utilisateur au mode de fonctionnement du client. Qu’OVH ne soit pas davantage connu avec une telle offre et une telle réactivité m’a étonné. J’ai compris quand j’ai appris qu’il n’y avait qu’un seul commercial dédié aux grands comptes. L’entreprise a grossi par la vente de services en ligne sans avoir besoin de l’appui d’une équipe commerciale. Mais ce modèle ne convient plus dès lors qu’il faut toucher et accompagner de gros clients en plus grand nombre. Et c’est ce que nous allons faire maintenant. 

Quels sont les atouts d’OVH pour réussir sa mutation ?

Ses fonctionnalités se déclinent à l’identique quel que soit le volume de données à traiter. Ses applicatifs comme Exchange, Skype, la voix sur IP ou le cloud restent les mêmes. Seul le mode d’hébergement change. Il est soit partagé, soit dédié ou soit dédié et isolé. Ce modèle a été mis au point à l’origine pour les besoins des TPE. Le faire évoluer n’a pas posé de problème. Mais il n’avait pas été exploité jusqu’au bout car s’adresser aux très grandes entreprises requiert des démarches commerciales et des équipes sur site pour accompagner le client. Cela demande une organisation qu’OVH n’avait pas et que nous construisons maintenant. L’entreprise dispose d’une situation financière saine. Les banques nous suivent. En novembre dernier, nous avons annoncé un plan d’investissement de 400 millions d’euros sur trois ans, qui correspond à une levée de dette de 267 millions, plus 140 millions de fonds propres. Mais nous ne tiendrons sans doute pas trois ans avec cette somme. Nous relancerons un autre plan d’investissement avant. 

Octave Klaba, le fondateur d’OVH Group (ici à gauche), a pris la présidence du conseil d’administration et porte la vision de l’entreprise. © OVH

Qu’avez-vous changé depuis votre arrivée ?

OVH n’avait pas d’organigramme structuré. Maintenant il en a un. Au sommet le conseil d’administration décide de la stratégie de l’entreprise. Y siègent les quatre membres de la famille Klaba. J’y participe également, mais sans avoir de droit de vote. Je préside le comité exécutif au sein duquel Henryk Klaba dirige l’activité hardware des datacenters et Octave Klaba celle de la technologie et de l’innovation. Il y a aussi des directeurs en charge des RH, de la finance, de la vente et d’autres fonctions support. Vient ensuite le management opérationnel, décliné dans les 16 pays où nous sommes implantés. Il existe maintenant un modèle de rémunération avec des grilles de classification. Une équipe commerciale a été constituée avec une dizaine de personnes en comptant les architectes avant-ventes. D’autres personnes vont arriver pour s’occuper du Canada et des Etats-Unis avec pour mission de pénétrer le marché américain. OVH compte encore peu de grandes entreprises dans son portefeuille client. Nous voulons que celles-ci représentent la moitié de notre chiffre d’affaires d’ici à 2020. 

OVH est une des rares sociétés françaises du numérique en passe d’atteindre la taille d’un groupe mondial. Vos offres sont en concurrence avec celles de Google, Amazon Web Services (AWS) ou Microsoft… Voulez-vous devenir aussi grands qu’eux ?

Pourquoi pas ! Mais, nous resterons sur notre cœur de métier, celui d’héberger des données et d’exécuter des applications. Google fait un tas d’autres choses. Son objectif est la transformation de l’humain. Nous ne sommes absolument pas dans cette optique. Par contre, nous comptons bien étendre nos prestations. Dans les cinq années à venir, nous allons passer de 3 à 30 milliards d’objets connectés. Les volumes de données à stocker, connecter et analyser suivent une courbe exponentielle. Quand j’étais ingénieur système débutant à La Redoute dans les années 1980, l’entreprise avait à peine un teraoctet de données à gérer, soit 1012 octets. Aujourd’hui, on en est au yota. C’est 1024 octets. Notre profession est en train d’inventer le vocabulaire pour pouvoir traiter de tels volumes. OVH est à la pointe dans ces travaux de recherche. Elle a également l’avantage de ne pas être une entreprise américaine. Nous garantissons à nos clients que personne ne peut avoir accès à leurs informations. A ceux qui confient leur stockage à Google, Amazon Web Services (AWS) ou Microsoft, je n’ai qu’un seul conseil à donner. Celui de ne pas s’embêter à faire des copies de leurs données.  Ces dernières existent déjà à la NSA.

Justement, OVH est intervenu auprès du gouvernement français pour modifier la loi sur le renseignement destinée à la lutte contre le terrorisme. Vous avez réussi à vous faire entendre. Et demain ? 

Nous avons découvert une semaine seulement avec le passage au Parlement qu’une loi allait être votée qui imposerait aux hébergeurs français d’accepter la mise en place de «  boîtes noires  » donnant aux services de renseignement une visibilité sur l’ensemble des données transitant sur les réseaux. Il n’y avait eu aucune concertation préalable. Comment expliquer à nos clients italiens, espagnols et allemands que le gouvernement français aurait accès à leurs données ? Ils seraient partis ailleurs. Et pour les garder comme clients nous aurions dû les suivre hors de France… Il nous fallait réagir et rapidement. En 24 heures, OVH a réussi à mobiliser cinq autres hébergeurs français. J’ai été reçu par Bernard Cazeneuve, Emmanuel Macron et Axelle Lemaire. De la boîte noire, nous sommes passés à un algorithme et à des phases d’analyse et de restitution de résultats sans copie de données. On répond ainsi au besoin de la lutte contre le terrorisme, tout en préservant la propriété intellectuelle de nos clients. Depuis, nous rencontrons régulièrement Axelle Lemaire. En outre, une personne d’OVH à pleintemps basé à Paris travaille en lien avec le gouvernement sur les aspects réglementaires et les initiatives de développement économique. 

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