Alliancy

“Legacy”, ce mot qu’on prononce comme Voldemort

 

[Billet d’humeur] Synonyme de retard pour les uns, de robustesse pour les autres, le “legacy” hante encore les systèmes d’information. Entre honte secrète et affection assumée, ces vieux logiciels que l’on rêverait de remplacer continuent de résister. Et si le problème… c’était aussi qu’on y tient un peu ? 

 

Il est des mots qu’on évite de dire trop fort dans les open spaces IT. “Faille de sécurité”, “audit surprise”, “budget gelé”… et puis il y a “legacy”. Prononcé à voix basse, le regard fuyant, comme s’il risquait de réveiller une entité obscure tapie dans les profondeurs du système d’information.

Car tout DSI porte sa croix. Ou plutôt son socle Oracle 9i, ses batchs COBOL, ses bases Access “temporaires” qui fêtent leurs 15 ans, et ce module SAP qu’on ne peut plus patcher parce que personne ne se souvient comment il fonctionne. Le legacy, c’est l’éléphant dans la salle serveur. Celui qu’on évite de regarder trop longtemps de peur qu’il plante tout.

Et pourtant… on l’aime un peu, ce legacy. Pas seulement parce qu’il fonctionne (miraculeusement). Pas seulement parce qu’il continue de faire tourner la boutique, la compta, la chaîne logistique. Non, on l’aime parce qu’il a résisté. Aux réorgs. Aux prestataires. Aux comités d’architecture. Aux promesses des clouds “as-a-service” qui devaient le remplacer en trois mois. Il est toujours là. Stoïque. Lent. Mais là.

Ce paradoxe, tout DSI le connaît : le legacy est à la fois l’ennemi du changement et le garant de la stabilité. Il est l’antithèse de l’innovation agile, mais aussi le socle de tout ce qu’on ose encore appeler “robuste”. Alors on le contourne, on le virtualise, on le “containerise” parfois, comme on repeint la façade d’une maison dont les fondations menacent de s’effondrer.

Et puis vient le jour où un jeune chef de projet plein d’enthousiasme demande : “Mais pourquoi on garde ce truc, en fait ?” Et là, dans un silence lourd, le DSI explique. Que migrer coûterait une fortune. Que les risques sont énormes. Que “ça marche”, et que c’est déjà beaucoup. Et tout le monde acquiesce. Respectueusement. Comme on parle d’un vieux général qu’on n’ose plus envoyer au front, mais qu’on garde à l’état-major par principe.

Le legacy n’est pas un bug de l’histoire informatique. C’est une part de notre mémoire technologique. Une dette, certes, mais aussi un legs. On rêve tous de s’en débarrasser. Mais pas tout de suite. Pas cette année. Peut-être au prochain budget.

 

 

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