Présent dans les allées de VivaTech la semaine passée, notre chroniqueur Stéphane Gervais nous livre son regard de spécialiste de l’innovation habitué aux évènements mondiaux consacrés au sujet. Il nous partage ce qui l’a le plus marqué sur le salon.
L’édition 2025 de VivaTech s’est imposée comme un moment charnière, à la croisée des ambitions technologiques, géopolitiques et économiques. Plus que jamais, l’intelligence artificielle s’y est affirmée non seulement comme booster de la transformation numérique mondiale, mais aussi comme un catalyseur de réinvention pour les entreprises, les institutions et les territoires. Un temps fort de cette édition qui illustre bien ? L’annonce conjointe de Jensen Huang (NVIDIA), Arthur Mensch (Mistral AI) et Emmanuel Macron : la création d’une infrastructure européenne souveraine d’IA, combinant la puissance de calcul de NVIDIA et les modèles d’IA de Mistral AI, hébergée en France. Emmanuel Macron a salué une « démonstration de souveraineté technologique et de coopération transatlantique réussie ».
Jensen Huang à Paris : la révolution industrielle selon NVIDIA
Lors de la keynote GTC Paris, Jensen Huang a présenté sa vision d’une nouvelle révolution industrielle propulsée par l’IA et les centres de calcul haute performance. De l’architecture Blackwell à la création du premier cloud industriel d’IA européen, NVIDIA a redéfini l’IA comme une infrastructure critique à l’échelle des États et des industries. « Nous construisons des usines à IA – ce sont les nouveaux centres de génération de revenus. » Le générateur de revenus rentables reste encore à démontrer mais c’est la promesse.
L’IA en action, partout et pour tous
VivaTech a confirmé l’irruption de l’IA dans tous les secteurs : santé (Bodyo, Reveal AI), sécurité (Filigran, Helsing), logistique (Prewave, Exotec), mobilité (Moduly, Volta Trucks), création numérique (Kittl, Kinetix). L’ère des usages est ouverte. Pays invité d’honneur, le Canada a brillé par sa capacité à conjuguer excellence scientifique et IA responsable. Plus de 150 entreprises étaient présentes, issues des écosystèmes de Montréal, Toronto et Vancouver, illustrant une IA ouverte, collaborative et éthique. Parmi les acteurs les plus remarqués : le Mila bien sûr (recherche en IA responsable), BrainBox AI (efficacité énergétique), Airudi (RH augmentées), Moduly (stockage d’énergie intelligent) et BlueDot (santé publique préventive), Videns et Ivado Labs (mise en œuvre de l’IA) Des collaborations concrètes ont été annoncées avec des institutions européennes comme le CEA, Gaia-X ou l’Inria, autour de la souveraineté des données, de la certification IA et de la coopération scientifique. Cette forte présence ouvre la voie à des partenariats stratégiques transatlantiques dans les domaines de la santé, cybersécurité, mobilité et IA embarquée.
L’Europe accélère son autonomie technologique
Le classement des Top 100 Rising European Startups a mis en évidence une génération AI-native européenne prête à rivaliser avec les géants mondiaux. Mistral, Synthesia, Aily Labs ou Smartness symbolisent une ambition continentale de reconquête technologique. Cette édition 2025 a aussi marqué un tournant par la forte présence d’enjeux géopolitiques dans les stratégies IA. La concentration des annonces sur le sol européen – qu’il s’agisse de capacités de calcul souveraines, de centres de données localisés, ou de modèles entraînés en Europe – montre une volonté claire de se prémunir contre les dépendances vis-à-vis des infrastructures américaines ou chinoises. La présence du président Macron et son discours sur une « souveraineté numérique stratégique », conjuguée aux choix de NVIDIA d’installer en Europe une partie de sa puissance de calcul industrielle, traduisent un début de rééquilibrage. L’IA n’est plus seulement une affaire de R&D ou de cloud : elle devient un levier d’influence, de stabilité et de résilience économique.
L’énergie : le carburant invisible de l’intelligence artificielle
Derrière chaque modèle d’IA, il y a des millions de calculs… et des mégawatts. À l’heure où l’IA devient l’infrastructure critique des économies numériques, la question énergétique s’impose comme un enjeu stratégique de premier plan. Former un modèle comme GPT, entraîner des jumeaux numériques ou faire tourner des IA génératives 24h/24 : ces opérations nécessitent des infrastructures énergivores. Par exemple, le GB200 de NVIDIA (avec 72 GPUS) consomme à lui seul 120 kW. D’ici 2030, les datacenters d’IA pourraient absorber plus de 10 % de la consommation électrique des pays industrialisés. Comment soutenir cette croissance sans épuiser nos ressources ? Si l’on évoque souvent l’optimisation logicielle, les architectures plus sobres ou les énergies renouvelables, cela ne suffira pas. Il faudra un saut technologique massif. C’est là qu’intervient un espoir : la fusion nucléaire. Le projet ITER, en construction à Cadarache et présenté à Vivatech, pourrait d’ici 2035 démontrer la faisabilité d’un nouveau modèle énergétique. Son objectif : atteindre un rendement de 1 à 10, c’est-à-dire produire 500MW d’énergie à partir de 50 MW injectés dans le plasma. Un rendement inégalé, qui ferait de la fusion la source idéale pour soutenir la prochaine révolution industrielle, numérique et climatique. Un horizon encore trop lointain (premiers essais en 2035), mais décisif. Car sans énergie abondante et propre, l’intelligence artificielle ne pourra ni tenir ses promesses, ni respecter ses limites.
L’heure des choix décisifs
VivaTech 2025 n’a pas seulement reflété une accélération technologique : il a acté un changement de paradigme. L’IA sort du laboratoire, s’installe dans les usages, et redessine les rapports de force économiques et géopolitiques. Les écosystèmes français, européens et canadiens ne se contentent plus de suivre — ils revendiquent leur place dans la construction de l’IA mondiale. Mais cette ambition impose des choix. Nous entrons dans une décennie où il faudra arbitrer entre performance et responsabilité, vitesse et souveraineté, automatisation et inclusion. Ce n’est plus une question de savoir si l’IA va transformer nos sociétés, mais de quelle IA nous voulons – et pour qui. Le défi n’est plus vraiment technique. Il est politique, stratégique, culturel. Et il ne fait que commencer.
