L’illusion de contrôle : les directeurs data doutent de leurs propres IA

 

Selon le rapport “Global AI Confessions” de Dataiku, 95 % des directeurs data admettent ne pas comprendre comment leurs IA prennent leurs décisions. Entre fascination technologique, pression managériale et déficit de transparence, la confiance dans l’intelligence artificielle vacille au cœur même des entreprises.

 

Ils sont censés être les gardiens du temple numérique, mais doutent des oracles qu’ils ont eux-mêmes bâtis. D’après l’étude mondiale menée par The Harris Poll pour Dataiku, 95 % des directeurs data affirment ne pas avoir une vision claire des mécanismes décisionnels de leurs systèmes d’IA. Et si 86 % d’entre eux déclarent que ces outils sont désormais intégrés dans leurs opérations, la confiance, elle, n’y est pas. Le paradoxe est saisissant : 69 % estiment que les recommandations de l’IA sont jugées plus crédibles que celles des humains… alors que 52 % ont déjà retardé ou bloqué un déploiement pour cause de manque d’explicabilité. « Les entreprises du monde entier misent sur une IA en laquelle elles n’ont pas totalement confiance », observe Florian Douetteau, cofondateur et CEO de Dataiku. « La plupart des échecs proviennent d’obstacles récurrents : manque de traçabilité, de gouvernance et de compréhension. »

 

Des décideurs sous tension

 

Sous la pression croissante de leur direction, les CIO et Chief Data Officers (CDO) marchent sur une ligne étroite. Près de 60 % d’entre eux craignent pour leur poste si l’IA n’apporte pas de résultats tangibles d’ici deux ans. Et si 46 % espèrent être crédités des gains générés, 56 % redoutent d’être désignés responsables en cas d’échec. Autrement dit, l’IA n’est plus seulement un enjeu technologique : c’est un risque de carrière. Surtout lorsque 59 % des sondés reconnaissent que des hallucinations de l’IA ont déjà provoqué des incidents dans leurs entreprises. Malgré ces défaillances, 82 % pensent que les modèles d’IA surpassent leurs dirigeants dans les analyses business. Une conviction fragile, puisque 74 % reviendraient à des processus humains si le taux d’erreur dépassait 6 %.

 

Un décalage entre la C-Suite et le terrain

 

Le fossé se creuse entre les dirigeants stratégiques et les experts opérationnels. Selon Dataiku, seuls 39 % des directeurs data jugent que la direction générale comprend réellement l’IA. 68 % estiment même que leurs dirigeants surestiment la précision des modèles, tandis que 73 % jugent qu’ils sous-estiment la difficulté de fiabiliser les systèmes avant leur mise en production. Ce désalignement inquiète : plus d’un directeur data sur deux s’attend à voir un CEO perdre son poste d’ici 2026 à cause d’une stratégie IA mal maîtrisée. Un signal fort, alors que nombre de projets restent bloqués au stade du Proof of Concept (POC), faute de gouvernance claire ou de cadre éthique solide.

 

Vers une IA plus transparente ?

 

Les data leaders réclament un retour à la rigueur scientifique : 80 % estiment qu’une décision « juste mais inexplicable » est plus risquée qu’une erreur compréhensible. Pourtant, à peine 19 % demandent à leurs systèmes de montrer leur travail avant validation. Cette tension entre vitesse d’adoption et exigence de contrôle illustre la maturité encore inégale des entreprises face à l’automatisation intelligente. « L’explicabilité est la clé du passage de la fascination à la maîtrise », souligne Florian Douetteau. « C’est le seul moyen de transformer une tendance en impact business réel. » L’IA a beau séduire les conseils d’administration, ceux qui la pilotent au quotidien peinent à la dompter. Entre hype, risques juridiques et déficit de transparence, l’intelligence artificielle devient autant un levier de performance qu’un test de responsabilité. Pour les directeurs data, l’enjeu n’est plus de croire en l’IA, mais de pouvoir lui demander des comptes.