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Interview – Louis Gallois, Commissaire Général à l’Investissement : « Le numérique est un facteur considérable d’innovation »

Louis Gallois, Commissaire général à l’investissement

 

Interview de Louis Gallois,
Commissaire général à l’investissement
Propos recueillis par Catherine Moal

 

A 69 ans, Louis Gallois est, depuis un an, Commissaire général à l’investissement. Nommé par François Hollande, il est aussi l’auteur du rapport sur la compétitivité, remis en novembre 2012 au Premier ministre*. Par son action, en tant que pilote du Programme des investissements d’avenir (PIA), il souhaite redonner confiance aux Français en soutenant les initiatives des entrepreneurs, notamment dans le secteur du numérique. Dans le but de retrouver de la croissance.

 

Alliancy, le mag. Peut-on gagner en compétitivité sans le numérique ?
Louis Gallois. Plusieurs études convergentes estiment que dans une économie développée comme la France, la part du numérique dans la croissance est supérieure à 20 %. Elle dépasse les 30 % aux États-Unis. Mais l’impact du numérique sur l’économie va bien au-delà de ce seul secteur. Le numérique n’est d’ailleurs pas un secteur, mais bien une technologie diffusante et pervasive, pénétrante, dont l’impact irrigue toute l’économie.
Il y a les entreprises du numérique proprement dit. Ce sont les industriels des technologies de base comme les semi-conducteurs, les opérateurs de télécommunications, les éditeurs de logiciels, les sociétés de services informatiques ou les pure players de l’Internet. Mais des pans entiers de l’économie sont aussi profondément transformés par la numérisation rapide du cœur de leur activité. C’est le cas des industries de contenus culturels, de la banque, de l’assurance, de la publicité, des agences de voyages, etc.

 

Et pour les autres secteurs ?
Ceux pour qui cette transformation n’est pas aussi radicale, les technologies de l’information et de la communication sont un formidable vecteur de productivité, d’enrichissement de leur offre de service, d’amélioration de leur relation clients, et d’accès à un marché mondial de plusieurs milliards de consommateurs potentiels.

Selon plusieurs études également, la France est en retard dans ce domaine. Dans quels secteurs est-ce problématique ?
C’est une vision un peu pessimiste de la situation. Nous faisons jeu à peu près égal avec des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Nous avons des champions mondiaux dans le domaine des télécommunications, des semi-conducteurs, des fabricants d’équipements, de la conception assistée par ordinateur, de la sécurité et des moyens de paiement, des SSII. C’est vrai que l’économie mondiale du Net est dominée par les Américains et que peu d’entreprises françaises ont atteint une taille significative sur ce marché. Mais dans le numérique, les choses vont très vite, des ruptures radicales peuvent intervenir qui font qu’un leader d’aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Et sur ce plan, la France bouillonne de jeunes entreprises innovantes que nous avons précisément pour mission de faire grandir.

 

Justement, vous pilotez le Programme des investissements d’avenir (PIA). Quelle part concerne le numérique ?
Pour les raisons que j’ai évoquées en introduction, l’économie numérique est une composante essentielle du Programme d’investissements d’avenir. Après les redéploiements intervenus au début de l’année 2013, cette action est dotée de 3,2 milliards d’euros [4,5 milliards initialement, NDLR]. L’ensemble de ces moyens financiers est géré dans le cadre d’une gouvernance associant le Commissariat général à l’investissement, les ministères concernés et la Caisse des dépôts et consignations, à travers le Fonds pour la société numérique (FSN) inscrit dans ses comptes.

 

Quelles sont les cibles privilégiées ?
Ce Programme d’investissements d’avenir donne clairement la priorité aux projets collaboratifs entre entreprises innovantes, laboratoires publics et privés, et utilisateurs finaux. Il fait aussi une large place aux projets présentés par les PME, même si les grands groupes sont présents, bien entendu, s’agissant notamment des secteurs industriels fortement capitalistiques.

Le Fonds pour la société numérique (FSN) regroupe trois volets. Tout d’abord, le volet « infrastructures » d’un montant total de 1,7 milliard d’euros. Il contribue à financer le plan France très haut débit, dont l’objectif est de couvrir l’ensemble du territoire national d’un réseau THD à horizon 2022, principalement autour de la technologie de la fibre optique.

Le deuxième volet – « usages » – s’élève, lui, à un total de 950 millions d’euros. Il finance des projets de R&D très innovants, visant le numérique à la fois comme technologie générique et comme générateur de services nouveaux dans les domaines de la vie quotidienne : santé, éducation, contenus culturels, ville ou transports dits « intelligents ».

Enfin, le volet « investissements » concerne les entreprises du numérique, pour un total de 550 millions d’euros. Il permet au FSN de prendre des participations en fonds propres ou d’accorder des prêts à des entreprises du secteur du numérique. Soit directement via « FSN-Projets », soit à travers un fonds FCPR de capital investissement, le FSN PME [Fonds Ambition Numérique, NDLR], géré par les équipes de bpifrance et allant de 1 à 10 millions d’euros.

 

Concernant le volet « investissements », quel équilibre entre financements privés et publics ?
Il ne s’agit surtout pas de se substituer aux investisseurs privés. Au contraire. Nous souhaitons créer un effet de levier, en apportant le complément du financement qui permettra à un projet de se réaliser ou non.

 

Avec Fleur Pellerin, ministre déléguée en charge des PME, de l’innovation et de l’économie numérique, vous avez dévoilé récemment une politique de soutien ciblée sur quatre technologies, appelée « cœur de filière numérique ». Quelles sont-elles ?
Le numérique, diffus dans l’ensemble des secteurs de l’économie, est un facteur considérable d’innovation. Que ce soit au travers de produits plus intelligents ou de l’optimisation de tous les processus des entreprises. Au cœur de cette innovation, il y a quatre grands domaines technologiques, qui sont aujourd’hui en pleine évolution et dont l’impact économique peut être majeur. Nous allons y consacrer une enveloppe de 150 millions d’euros. Ce sont les équipements embarqués, le traitement des données ou big data, la simulation numérique, essentielle pour diminuer les coûts et accélérer le « time-to-market », et, enfin, la sécurité numérique ou cybersécurité, qui devient un véritable enjeu de souveraineté.

 

Quelles applications ce « cœur de filière numérique » doit-il faire émerger ?
Certaines de ces technologies sont déjà bien maîtrisées par nos grands acteurs industriels. Je pense, par exemple, aux acteurs de l’aéronautique et aux technologies du logiciel embarqué. Il est stratégique pour ces acteurs de renforcer et de pérenniser cette maîtrise technologique.

La voiture de demain reposera ainsi sur des systèmes numériques encore plus sophistiqués que ceux dont nous disposons aujourd’hui [lire notre dossier sur la voiture connectée]. Au-delà de ces domaines traditionnels, l’innovation numérique touche de nombreux nouveaux domaines. Il ouvre par exemple des applications nouvelles dans des secteurs comme la santé, avec des dispositifs médicaux plus performants et moins intrusifs, ou encore l’industrie.

 

Vous avez un exemple dans l’industrie ?
Je pense en particulier au dialogue entre machines, ce que l’on appelle le MtoM ou machine-to-machine. Cela peut vraiment révolutionner les processus industriels. Et ces innovations, souvent portées par des PME, connaissent un rythme extrêmement rapide.

 

Concernant les usages du numérique, deux actions « Territoires des soins numériques » et « e-Éducation » ont aussi été lancées. Vous pouvez nous en dire plus ?
L’usage du numérique progresse très rapidement dans l’éducation et la santé. Dans l’e-éducation par exemple, cet essor pousse à des réflexions sur la refonte des pédagogies éducatives. S’agissant de l’impact du secteur de la santé, le numérique est un vecteur important de gains en performance du système de soins. Que ce soit au travers de l’informatisation des processus, du parcours patient ou de la télémédecine.

 

D’où le lancement de nombreux appels à projets ?
Tout à fait. Nous avons lancé entre 2011 et 2013 trois appels à projets de R&D sur l’e-éducation pour une enveloppe cumulée d’aide d’environ 40 millions d’euros. De même, nous avons alloué une enveloppe de 80 millions d’euros pour financer des démonstrateurs innovants dans l’e-santé, dans le cadre de cette action « Territoire de soins numérique » en cours de préparation.

 

Justement, en matière de transition numérique, on parle de prêts bonifiés, dits numériques. De quoi s’agit-il ?
Le dispositif « Prêts numériques » a pour objectif de favoriser la transition numérique de nos entreprises, dans une perspective de compétitivité et de croissance. Il vise ainsi à financer des projets de PME et d’ETI [entreprises de taille intermédiaire, NDLR], qui veulent intégrer le numérique dans leur modèle. Il peut, par exemple, s’agir de concevoir un produit plus « intelligent » en intégrant de l’électronique, ou encore de mettre en place des outils numériques pour améliorer les processus de production. Une enveloppe de 300 millions d’euros de prêts bonifiés du PIA est prévue pour cela.

 

Pourquoi la France compte-t-elle encore si peu de champions nationaux du numérique, à l’instar de Dassault Systems, Neolane, Criteo ou encore Dailymotion ?
Vous citez les plus en vue. Il y en a d’autres, moins connues du grand public, mais qui ont le potentiel pour croître et atteindre une taille comparable. Notre défi est d’aider les nombreuses start-up qui se créent à grandir. Pour cela, nous pensons qu’il faut renforcer les financements accessibles lors des phases charnières du développement de ces entreprises. Nous avons ainsi mis en place plusieurs outils des « Investissements d’avenir » permettant de renforcer la taille des financements accessibles tout le long du cycle de croissance des entreprises du numérique.

 

Vous pouvez les rappeler ?
Il y a d’abord le Fonds national d’amorçage, doté de 600 millions d’euros. Puis le FSN PME [Fonds Ambition Numérique, NDLR], ce fonds direct qui concerne les entreprises au stade du capital-risque. Enfin, nous travaillons actuellement à la mise en place d’un fonds de fonds multithématique en capital développement. D’une taille de 600 millions d’euros, il viendra compléter le dispositif en servant de levier pour des fonds privés.

 

* Le rapport de Louis Gallois au Premier ministre, « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » (novembre 2012), est téléchargeable sur www.gouvernement.fr/premier-ministre/remise-du-rapport-sur-la-competitivite-de-l-industrie-francaise

 

Photo : ©Francois Lafite/Wostok Press

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