A la MAIF, la transformation IT pour rendre possible un plan stratégique tourné vers l’éthique

Nicolas Siegler, directeur général adjoint en charge des systèmes d’information de la MAIF détaille ses priorités pour les mois à venir. Il revient également sur la façon dont les engagements éthiques mis en avant par la société d’assurance mutuelle française influent sur ses partis pris IT.

Le plan stratégique « Régénération » 2023-2026 de la MAIF met assez peu l’accent sur votre transformation au niveau IT ? Qu’en est-il réellement ?

La question est intéressante parce que nous nous sommes beaucoup interrogés sur l’opportunité de mettre ce point en avant ou non. Au final, l’IT apparaît une fois dans le document quand il est question de performance opérationnelle. Mais il est évident que la transformation des systèmes d’information est un sous-jacent qui rend possible le plan stratégique. Notre choix a été de dire : n’a-t-on pas suffisamment de maturité maintenant, pour ne pas avoir à expliquer formellement cela ? Plutôt que de vouloir « prouver » que notre IT se transforme, il nous a paru plus intéressant d’insister sur les besoins métiers.

En la matière, l’accent est notamment mis sur les engagements éthiques de la MAIF. Quelles sont les contributions de l’IT sur ces axes ?

NicolasSiegler_copyright MelanieChaigneau_MAIFJe vois trois champs d’applications principaux. D’abord, dans la continuité de ce qui a été fait jusqu’à présent : renforcer le green IT. Nous devons améliorer tout ce qui rend notre IT moins génératrice de CO2 mais également d’autres ressources comme les métaux rares. Nous avons engagé cela depuis plusieurs années, mais nous continuons donc à réduire le nombre de matériel, les fréquences de renouvellement, et à augmenter au contraire la part de la seconde main lors des achats. La différence en 2024, c’est que nous mettons en place une mesure beaucoup plus fine des impacts et des gains. Nous voulons avoir des KPI clairs : ce n’est pas simple mais c’est par là que passeront les progrès supplémentaires à obtenir pour être responsables.

Photo : Nicolas Siegler, directeur général adjoint en charge des systèmes d’information de la MAIF. Copyright Melanie Chaigneau, MAIF

Ensuite, nous mettons à contribution le système d’information pour baisser l’empreinte carbone globale de l’entreprise. Il y a des sujets simples comme une meilleure organisation collaborative qui permet d’économiser sur les déplacements par exemple. Mais nous avons aussi la possibilité d’avoir des impacts à d’autres niveaux. Par exemple avec l’application « Aux Alentours par MAIF », que nous mettons à disposition pour informer et contribuer à l’évaluation des risques, notamment climatiques, par l’écosystème.

Quel est le troisième champ d’application ?

C’est le volet social. Nous avons une opportunité pour faire bouger les lignes. En effet, notre plan stratégique a pointé le fait que nous étions trop externalisés sur certains axes technologiques. Dans de nombreux cas, nous n’avions que 50% de ressources internes dans les projets. Demain, nous voulons remonter sur un ratio de 80%, voire parfois 100%. Concrètement, cela signifie que nous avons 400 personnes à recruter dans la filière IT sur les quatre prochaines années, en anticipant également les départs à la retraite. C’est l’occasion de mettre l’inclusion au cœur de la démarche.

Nous avons donc construit un programme avec [l’entreprise sociale et solidaire] Simplon, pour former des personnes issues de situations défavorisées. Nous avons bien conscience que nous devons allouer une partie de nos ressources pour permettre des reconversions. Nous avons lancé notre première promotion de douze développeurs, dont cinq femmes, en janvier dernier. Nous espérons bien ensuite garder ces nouveaux diplômés avec nous. Nous aimerions pouvoir mener 10% de nos recrutements de cette façon. Il s’agit d’une formation de vingt mois environ, dont les trois-quarts se font en alternance. Cet été, la première promotion aura donc basculé dans l’entreprise et nous pourrons faire un retour d’expérience pour voir comment renforcer l’initiative ou la compléter. Nous avons par exemple des demandes de collaborateurs internes qui voudraient eux-aussi bifurquer dans leur carrière pour aller vers l’IT. Il faut que nous puissions les aider, soit en les intégrant à une promotion existante, soit en en créant une dédiée.

Vous mentionnez la part des femmes dans la promotion Simplon. À quel point le sujet est-il clé pour vous ?

C’est l’un de nos sujets de fond, car on sait évidemment que les profils masculins se présentent beaucoup plus spontanément. Si nous ne faisons rien de particulier, le nombre de candidates n’augmentera pas de lui-même. Nous avons un peu moins de 30% de femmes dans nos équipes IT, alors qu’à l’échelle de la MAIF, nous sommes plutôt sur le ratio inverse. Pour attirer, nous voulons donc montrer les beaux succès que nous avons, mettre en avant des histoires, des parcours, qui puissent inspirer plus de femmes à nous rejoindre.

La MAIF s’est également fixée comme objectif de devenir « l’assureur préféré des trentenaires ». Quelles sont les implications à votre niveau ?

Notre question était la suivante : est-ce que ce que nous avons réalisé ces dernières années dans le digital est suffisant pour atteindre cet objectif du plan stratégique ? Les trentenaires sont pour beaucoup « mobile first » ou « mobile only ». Ils n’appellent pas, ne se déplacent pas en agence. Nous avions déjà pris en compte cette dimension par le passé, mais il nous faut maintenant aller au bout de l’ambition. En effet, nous avions encore des parcours qui n’étaient pas digitalisés, par exemple au niveau du « self care » pour les sinistres. Il nous fallait également aligner les espaces personnels sur ordinateur et sur mobile, pour avoir une « expérience multi-devices » cohérente. Cela nous a amenés à faire certains choix technologiques importants. Nous avons ainsi abandonné le développement natif sur iOS et Android, pour fédérer les deux avec Flutter. Cette harmonisation n’est pas anodine et va encore beaucoup nous occuper cette année !

Plus généralement, nous menons une réflexion sur l’omnicanalité. La MAIF était très axée sur le « nouveau parcours digital » en tant que tel, mais nous voulons désormais garantir la continuité entre les canaux : récupérer les données utiles et les renvoyer vers le nouveau canal de préférence, puis aller vers du self care online sur tous les services. Par le passé, sur certains sujets comme l’assurance vie, nous nous disions que ce n’était pas la peine ; cela a changé avec cette ambition de devenir l’assureur préféré des trentenaires.

Quels sont les sujets les plus structurants pour l’avenir du système d’information de la MAIF ?

Nous avons une centaine d’initiatives en cours. Parmi celles qui ont le plus d’impact, nous avons un large projet de modernisation de nos infrastructures. Les SI cœurs de métiers, dont certains ont plus de 35 ans, vont changer. En 2024, notre offre MRH (assurance multirisques habitation, NDLR) doit ainsi migrer vers un tout nouveau socle.

Par ailleurs, depuis le rachat en 2022 de SMACL Assurances (mutuelle historique des collectivités territoriales, NDLR), nous devons procéder à l’unification des systèmes d’information pour une vraie mise en harmonie pour les équipes. La première vraie brique commune arrive en 2024 et c’est une étape emblématique sur notre feuille de route.

Enfin, l’une de mes autres priorités, ce sont les travaux que l’on mène sur les défis climatiques : nous devons nous réinventer avec les métiers sur les enjeux de gestion de sinistre, de tarification, d’information… Cela a beaucoup de ramifications pour le système d’information.

Quelles sont les tendances sur le marché du numérique qui vous questionnent le plus ?

J’en vois plusieurs. La multiplication des SaaS, en premier lieu. Nous avons 200 applications SaaS recensées dans notre dictionnaire d’applications, mais ce nombre ne fait que croître. C’est à la fois un sujet économique et de maîtrise du système d’information, du fait des variations de prix et des mises à jour imposées. Mais c’est aussi un sujet de positionnement stratégique et d’engagement pour l’entreprise : nous avons une politique restrictive vis-à-vis des hébergeurs clouds. Or, aujourd’hui beaucoup d’éditeurs SaaS ne sont pas sur les alternatives qui ont nos préférences. Nous militons donc auprès d’eux, en coopération avec les métiers, pour qu’ils aillent dans le sens d’un hébergement européen. Et que parmi les choix européens, ils retiennent ceux qui sont le plus vertueux en termes de politiques sociales et environnementales. Cela s’inscrit plus globalement dans le sujet de la frugalité numérique : que sommes-nous prêts à payer au sens large, pour les gains que l’on veut obtenir ? Nous devons mettre en évidence, auprès des métiers notamment, les coûts et les limites que peuvent avoir certains modèles par rapport aux engagements globaux de l’entreprise.

La deuxième tendance qui me questionne beaucoup, c’est l’IA et en particulier sa version générative. Tout le monde est un peu au même niveau de découverte sur le sujet. On cherche à explorer la réalité de la promesse de la Gen AI, à travers l’expérimentation. De notre côté, nous avons mis en place une approche « analyse d’impact » pour identifier les zones chaudes et les zones froides sur le sujet dans nos activités. Mais dans le cadre de l’acculturation générale de l’entreprise, nous voulons également mettre en avant l’impact écologique et éthique de ces usages, pour éclairer nos choix futurs.

Enfin, j’ai un sujet de préoccupation qui est moins technologique, c’est la tendance du marché à aller vers toujours plus de freelancing. Cela est avantageux en termes de facilité d’accès à l’expertise, mais le risque est important de tomber de ce fait dans le délit de marchandage et de prêt de main-d’œuvre. Ces nouvelles habitudes professionnelles interrogent la durée et la forme des prestations. La relation avec nos fournisseurs sur ce sujet doit évoluer : il faut que l’on arrive à adapter avec eux les contrats et les forfaits pour que cela ne détériore pas nos nouvelles façons de travailler, au niveau d’un sprint ou d’une squad. Dans cette dynamique, depuis deux ans, nous avons fait évoluer une partie du modèle de prestation que notre direction juridique jugeait à risque, car nous nous reposions sur beaucoup de régie. Nous avons donc basculé 70% de nos prestations sur un mode plus sécurisé, qui évite le risque de requalification.

Dans la relation que les CIO entretiennent avec les comités exécutifs, qu’est-ce qui doit encore changer selon vous ?

Aujourd’hui, le plus complexe pour un CIO, est d’alerter les comités exécutifs sur les vagues de fond de transformation qui arrivent. Construire une proximité avec le comex est vraiment clé pour préparer l’avenir. Il y a besoin d’instaurer le bon niveau de dialogue pour être entendu. C’est à cette condition qu’il est envisageable de parler de risques et de ce qui est possible ou non pour le futur. Cela passe par une pratique importante de la transparence, pour bâtir de la confiance. Et cette posture de confiance ne peut pas être construite uniquement sur la partie technologique, elle implique de se positionner aussi sur les processus et les métiers.

Je suis très sensible au sujet de l’agilité pour cette raison. La valeur apportée par ces méthodes vient de la responsabilisation respective de l’IT et des métiers, en sortant du mode guichet. La difficulté arrive souvent quand il s’agit de prolonger cette culture agile à l’échelle de toute l’organisation. Notre expérience à la MAIF, c’est que le vocabulaire et les routines sont assez bien déployés, mais que nous avons un enjeu de gestion de la complexité quand il s’agit de synchroniser toutes les squads et les tribus. Pour franchir un cap, il est maintenant nécessaire que la transformation agile infuse mieux le management. En effet, la plus grande difficulté dans une organisation comme la nôtre est de bien prioriser. Quand le management garde de trop nombreux objectifs différents, cela n’aide pas à l’autonomie des équipes. Être capable de passer de dix priorités à trois du point de vue des managers, c’est un important changement culturel. Et c’est aussi vrai pour nous, au niveau du comité exécutif. Traduire cet effort au quotidien, c’est un pan important de l’agile à l’échelle. À partir de là, il est possible d’avancer mieux et plus vite, avec à la clé une plus grande satisfaction des collaborateurs et des sociétaires.