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Nouamane Cherkaoui (IT-CE) : « Des architectures de plus en plus ouvertes pour accompagner la transformation des métiers »

Pour Nouamane Cherkaoui, ex-DSI de Franfinance FAP (Filiale de la Société Générale) et désormais Directeur Solutions Métier du Marché des Particuliers au sein d’IT-CE (Groupe BPCE), la DSI est un centre de transformation et un artisan de la démarche d’ouverture sur l’écosystème de l’entreprise.

La crise de la Covid a-t-elle contribué à accélérer la transformation du secteur bancaire ?

Nouamane-Cherkaoui-(IT-CE)

Nouamane Cherkaoui , Directeur Solutions Métier du Marché des Particuliers au sein d’IT-CE (Groupe BPCE

Nouamane Cherkaoui. La crise sanitaire a entrainé une transformation rapide, instantanée et brutale des modes de consommation des clients et de leurs comportements d’achats. Et dans son sillage, elle a nécessairement entrainé une accélération de la transformation digitale des entreprises. A mon avis, cette transformation a trois facettes. 

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Tout d’abord, la manière dont on conçoit les produits et les services mis à disposition des clients a changé suite notamment à la sur-utilisation du digital et des réseaux sociaux. Le second volet est lié à la généralisation du télétravail avec l’explosion de l’utilisation des outils collaboratifs. Le troisième volet, qui continue d’ailleurs à évoluer, c’est la structure de l’organisation elle-même qui passe d’un mode de réponse à la crise à un mode plus durable.

Collectivement, nous avons gagné des mois, voire des années, dans des proportions inégales en fonction de la maturité des activités, mais aussi selon les projets engagés avant la crise. Dans les entreprises qui avaient déjà lancé le télétravail et la mobilité avant la crise, cette anticipation les avait beaucoup aidés à aller très vite.

Globalement, quel que soit le secteur, nous nous sommes tous adaptés pour répondre à la crise. A présent, nous sommes dans la phase de sortie de crise et la pérennisation de nouveaux modes managériaux et des gains d’efficacité constatés durant cette période.

Pour autant, la transformation des banques n’a pas attendu la crise pour s’engager ?

Nouamane Cherkaoui. Plusieurs banques ont effectivement engagé une transformation de leurs process, outils, voire de leur business model pour celles qui sont plus matures sur un marché de plus en plus ouvert. Depuis 4 à 5 ans déjà, les fintechs, assurtechs et même des BigTech ont fait leur entrée sur le marché bancaire pour disrupter les acteurs en place et proposer des produits concurrents ou de nouveaux services aux clients. Ce qui a changé aujourd’hui, c’est que beaucoup de ces nouveaux entrants ont commencé à se concentrer sur des niches. Cette stratégie de niche de marché se focalise un peu plus sur une stratégie d’offre plus technologique. L’écosystème des fintechs sur le marché bancaire se caractérise de plus en plus par une spécialisation de ces fintechs comme partenaires technologiques qui complètent l’offre de service des acteurs traditionnels.

Le deuxième grand levier de cette transformation est porté par le réglementaire. Ce sujet fait partie du paysage bancaire depuis quelques années déjà. Ce n’est pas une nouveauté. Je pense notamment à GDPR, DSP2 ou NIS. Le véritable enjeu, c’est comment apprivoiser le réglementaire pour en faire un facteur de transformation au service des clients en collaboration avec les différents acteurs de l’écosystème. Certes, l’évolution réglementaire, comme la Directive DSP2, était vue au début comme une contrainte, mais elle a ouvert la voie vers une partie de l’open banking en obligeant les banques à partager les données des comptes bancaires de leurs clients avec les tiers prestataires de services de paiement (PSP tiers), en leur donnant accès au service de consultation de compte et d’émission des virements. En échange, les banques ont également profité de l’expertise de ces fintechs et capitalisent sur les services mis à leur disposition dans le cadre de la spécialisation du secteur comme cela a été le cas pour les services d’agrégation des comptes.

Par ailleurs, la vision produit et service du consommateur évolue vers des références transfrontalières et proches de celles offertes par les GAFA. Le client est bien au courant de ce qui se développe comme offres, les parcours  qui évoluent et il s’attend à pouvoir bénéficier aussi des services équivalents. Le client aujourd’hui cherche de l’instantanéité, de la personnalisation, des prix bas, mais aussi de la qualité et une belle expérience utilisateur.

L’enjeu est donc de se positionner par rapport à ces attentes, de manière rapide et efficace, afin de capter le client et surtout de le fidéliser.

Comment les API contribuent-elles à la transformation de l’écosystème bancaire ?

Nouamane Cherkaoui. Les APIs existent depuis longtemps, mais leur large déploiement permet d’en faire un atout pour l’échange avec les systèmes des partenaires, les fintechs et autres acteurs de place. Au fil des années, nous avons assisté à une véritable APIsation des systèmes d’information des acteurs du secteur, banques traditionnelles et fintech. Grâce à ces API, ils ont pu mettre à disposition de tiers des données et des services à la demande, concevoir de nouvelles offres et les partager dans un écosystème plus standardisé et ouvert.

A titre d’exemple, le Groupe BPCE a ouvert mars 2019, un portail d’APIs bancaires (89C3 API) qui donne accès aux APIs réglementaires des Caisses d’Epargne, des Banques Populaires et de Natixis, ainsi qu’à d’autres API des marques du groupe (taux crédit immobilier, initiation de paiement …). La Société Générale à travers Franfinance (APIs Crédit), a développé des offres mises à disposition des tiers bancaires ou non bancaires en mode services ou API depuis plusieurs années. Aujourd’hui, une nouvelle néo-banque qui se lance sur le marché et qui dispose uniquement d’une licence bancaire, peut nouer un partenariat avec un acteur de place disposant d’une offre crédit ou d’assurance. Elle pourra compléter sa gamme grâce à l’intégration des APIs de ce dernier dans le cadre d’une offre de service packagée, standard et en marque blanche pour la proposer à ses propres clients. Ces derniers bénéficieront ainsi d’un point de contact unique pour une large gamme de produits et de services. C’est la base de l’Open Banking qui permet une accélération de la mise en marché de nouveaux services sans avoir à les développer en interne, tout en profitant de l’expertise et de la qualité de prestations tierces aux meilleurs standards. Cette stratégie permet de compléter les offres de service, tout en gardant la main sur le contact et la relation avec le client.

Cette politique est une norme dans le secteur désormais ?

Nouamane Cherkaoui. Cela fonctionne par opportunité mais surtout selon la stratégie de conquête de positionnement sur le marché. La tendance aujourd’hui est à l’ouverture vers l’écosystème dans une logique de plateforme agrégeant des services et proposant ses propres offres également dans une sorte de marketplace. A chacun de trouver sa place pour tirer profit des opportunités qui se présentent en consommant ou en offrant des services. Le marché s’ouvre de plus en plus, mais dépend, comme je l’ai précisé, de la stratégie d’entreprise, de sa vision, de sa maturité et de la place qu’elle projette dans cet écosystème naissant.

Comment concilier écosystème et concurrence sur le marché ?

Nouamane Cherkaoui. Les fintechs peuvent apporter des outils et des méthodes de travail différents.Il existe plusieurs façons de collaborer avec ces startups avec un principe de collaboration gagnant-gagnant. C’est une forme coopétition. L’écosystème est amené à être de plus en plus ouvert où chacun apportera une partie de la valeur. C’est donc important et structurant pour l’avenir de ne pas voir les fintechs que comme des concurrents uniquement.  Elles apportent une autre manière de répondre à l’évolution des usages et des modes de consommation grâce à leur agilité, leur capacité d’innovationet leur expertise d’une expérience client meilleure que celles des acteurs traditionnels du secteur.

Les fintechs risquent-elles de poser des problèmes aux géants du secteur ?

Nouamane Cherkaoui. Non, je ne le crois pas. Comme je l’ai précisé, il n’y a pas nécessairement de concurrence franche et directe, mais une tendance vers plus de collaboration et de création de synergies. Cette collaboration et ce rapprochement entre les grandes banques et ces jeunes pousses doivent leur permettre de garantir à ces dernières une stabilité financière et surtout de garder leur indépendance. Ce modèle est préférable selon moi à celui de l’internalisation ou l’acquisition de startups. Car ce dernier modèle tue une partie de leur ADN, de leur agilité et de leur innovation.

Quid de la place de la DSI dans cette démarche d’écosystème ?

Nouamane Cherkaoui. Les DSI imaginent des architectures de plus en plus ouvertes pour accompagner la transformation digitale des métiers. Cette orientation permet la collaboration, l’intégration et la connexion entre les systèmes. L’écosystème permettra à la DSI elle-même, sur des sujets nécessitant des investissements conséquents et de la prise de risque, d’accéder à des nouvelles technologies pour accélérer le time-to-market et de partager une expérience et une acculturation à des technos ou à des nouvelles méthodes de travail. La DSI est au cœur du réacteur des plateformes de demain en agrégeant et en assemblant des services complémentaires composés à la fois de ceux qu’elle sait produire par elle-même et de ceux qui sont proposés par des partenaires.

Dans ces logiques d’écosystème et ce mouvement de transformation, le rôle de la DSI a-t-il changé ? Sort-elle grandie de la période de crise ?

Nouamane Cherkaoui. La DSI est un centre de transformation et non plus un centre de coûts. Dans ce mouvement de transformation numérique, les DSI occupent un rôle en perpétuel évolution. La DSI des années 90 et 2000 n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. La DSI a d’ailleurs conduit sa propre transformation interne en intégrant des nouvelles capacités des technologies numériques, comme le cloud, le DevOps, l’in-Memory, l’IA ou l’IOT pour automatiser plus rapidement les chaînes de valeur et en adoptant l’agile dans le but de mieux servir les métiers et le client final.

La DSI n’est pas une entité dont la mission consisterait seulement à répondre à des besoins et à faire de l’accompagnement à la demande. C’est un partenaire business important qui n’impose pas des solutions, mais les co-construit avec ses partenaires. Oui, la DSI est au centre de la transformation digitale de l’entreprise et c’est un formidable levier d’excellence opérationnelle, à la fois pour ses collaborateurs, pour ses partenaires métiers et aussi au service de ses clients. Les DSI doivent être perçus comme des garants de la réussite d’une transition digitale.

Effectivement, les DSI ont globalement montré pendant la crise déclenchée par l’épidémie de Covid qu’elles étaient au centre du dispositif de la sauvegarde des entreprises. Dans la plupart des organisations, le télétravail a été déployé dans des délais record (en moins de deux semaines pour la plupart), et les directions générales ont été légitimement très satisfaites de cette réussite. Poste de travail digitalisé, mobilité, solutions de collaboration (Teams, Zoom, Klaxoon, …), déploiement de nouveaux parcours clients, selfcare, chatbot, agents virtuels…un examen de passage réussi qui devra lancer une relation de confiance et de collaboration solide et sur le long terme.

Sur les données justement, dans nombre d’entreprises, la DSI reste souvent peu impliquée. Est-ce en train de changer ?

Nouamane Cherkaoui. C’est une question de maturité des organisations. La Data et l’IA sont beaucoup portées par les projets liés au digital aujourd’hui, néanmoins ces projets ont besoin d’un certain nombre d’outils et d’infrastructures pour ne pas être construits hors-sol et sans aucun lien avec les systèmes opératoires de l’entreprise. Il est vrai que la DSI avait une vision plus technique et restrictive de la data et de son usage. Mais si la Data n’est pas connectée aux SI, aux parcours clients, au process de de production et de décision de l’entreprise avec une vision opérationnelle et liée aux usages, elle ne sert à rien.

Désormais, les différentes parties prenantes, la data, le digital, l’IT et les métiers réfléchissent ensemble à des solutions transverses et communes qui aideraient à désiloter l’organisation dans son ensemble. Oui, des progrès ont été obtenus hors des DSI au début, pour pouvoir tester, accélérer et avancer, mais une convergence s’opère dans les entreprises les plus avancées. Celles qui réussissent aujourd’hui sont celles qui ont réussi cette convergence. Les DSI de ces entreprises ont aujourd’hui totalement intégré la data comme élément central en amont des applications techniques liées aux systèmes décisionnels ou Big Data à l’I.A jusqu’au Machine Learning et les systèmes cognitifs.

Les data scientists, les marketeurs et les informaticiens travaillent ensemble dorénavant pour collecter les données, les stocker, les traiter, les croiser pour élaborer des modèles et les transformer en vecteur de création de valeur.

Et sur les KPI, des évolutions sont-elles aussi en cours pour accompagner la transformation ?

Nouamane Cherkaoui. Je vais mettre les pieds dans le plat. Il y a parfois un peu trop de KPI. Ceux qui m’importent, ce sont les KPI utiles au pilotage de l’entreprise, comme la mesure de la satisfaction client, la détection des points de douleur et leur résolution.

Nous ne manquons pas d’indicateurs, mais qualitativement, il faut faire le tri pour retenir ceux donnant une vraie visibilité sur le « delivery », la cohérence de la feuille de route IT avec la stratégie business, la qualité des services développés ou encore la performance de la relation avec les clients dans sa globalité.

Un choix entre tous ces indicateurs protéiformes est indispensable. En outre, il est impératif que les KPI soient utiles au pilotage, à la prise de décisions et donnent lieu à des actions concrètes.

Il en va de même pour la DSI elle-même ?

Nouamane Cherkaoui. La DSI doit piloter aussi ses propres KPI naturellement. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur les indicateurs portant sur la performance intrinsèque de la DSI dits indicateurs productivistes (disponibilité des services, taux d’automatisation, etc.…). Ces KPI sont certes très importants, mais il faut s’intéresser aussi à ceux de la cohérence avec la stratégie de l’entreprise, de l’innovation, de rétention des talents, de satisfaction des utilisateurs et des clients. Bref, ceux qui permettent notamment à la DSI de passer de la logique d’un centre de coûts à une approche centre de profits stratégique et de transformation.

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