Pour sa chronique dédiée à la transformation des entreprises de services du numérique (ESN), Sylvain Fievet met en lumière un dirigeant qui allie lucidité industrielle, ambition de croissance et attachement au collectif.
À la tête de SQLI depuis début 2025, Erwan Le Duff réveille le potentiel de cet acteur historique de 2 200 collaborateurs, traçant une voie singulière entre un modèle nearshore éprouvé, une hybridation des expertises et une intégration radicale de l’IA. Dans un contexte de marché atone, il fixe un cap ambitieux : doubler la taille du groupe sans jamais dévier de ses valeurs fondatrices.
Un dirigeant qui arrive au bon moment
En allant à la rencontre d’Erwan Le Duff, j’avais en tête cette image qui colle à la peau de SQLI : celle d’une « vieille dame du digital ». Une maison sérieuse, ancrée dans le paysage depuis 35 ans, mais dont la voix semblait s’être éteinte dans le brouhaha du marché. Le contraste avec la réalité que j’ai découverte n’en a été que plus saisissant.
Là où tant de dirigeants pilotent à vue dans la tempête, j’ai trouvé une entreprise solide qui avance avec une sérénité déconcertante. Pas de crise, mais un groupe de plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, affichant une profitabilité robuste de 14 % d’EBITDA. Erwan Le Duff ne s’est pas installé dans le fauteuil du sauveur, mais dans celui du révélateur. J’ai senti chez lui cette conviction tranquille : le moment n’est pas à la réparation, mais à l’alignement.
Une empreinte internationale méconnue
Ce qui m’a surpris, c’est l’ampleur du dispositif que ce dirigeant a désormais entre les mains. On oublie souvent que SQLI, c’est une organisation d’envergure de 2 200 collaborateurs, dont le terrain de jeu dépasse largement nos frontières. Erwan m’a rappelé que la moitié de l’activité se fait hors de France.
J’ai découvert un groupe qui maille l’Europe — de la Suisse à la Suède, en passant par l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Espagne — et qui pousse jusqu’au Moyen-Orient. Cette diversité géographique n’est pas un détail : elle offre une résilience et une profondeur de marché que beaucoup d’acteurs purement hexagonaux n’ont pas. C’est sur ce socle puissant qu’il compte bâtir son ambition de passer le cap des 500 millions d’euros.
La maîtrise du temps long
Ce qui donne du relief à son discours, c’est son rapport au temps. Il parle des cycles comme d’autres parlent des saisons : sans emphase, mais avec l’assurance de celui qui les a traversés. Ses années chez Capgemini ou sa transformation d’Odigo en éditeur lui ont appris la patience des constructions durables.
C’est ce lien au temps long qui rend sa lecture de SQLI si juste. Il ne cherche pas la rupture pour la rupture. Il cherche la cohérence. Son diagnostic est sans appel : l’entreprise possède tous les atouts, mais elle « gagne à être connue ». J’ai perçu dans ses propos une forme d’impatience positive : celle de diriger une pépite qui ne fait pas assez de bruit et qui doit désormais assumer sa place.
L’artisan, le stratège et l’ingénieur
Au fil de l’échange, j’ai vu se dessiner sous mes yeux une entreprise d’une rare complétude. Elle maîtrise le design comme un artisan, la data comme un stratège, et la technologie comme un ingénieur. Rien de clinquant. Rien de tape-à-l’œil. Juste une capacité à tenir la complexité de bout en bout.
Erwan défend une approche agnostique qui me paraît être la seule viable aujourd’hui pour garantir l’indépendance des DSI : savoir marier les grands standards comme Salesforce, SAP ou Adobe avec du « custom » et de l’Open Source. La fidélité de clients exigeants comme EDF, Airbus, Nestlé ou Richemont ne doit rien au hasard. Ce n’est pas une entreprise qui promet. C’est une entreprise qui tient. Et dans la période actuelle, c’est un avantage immense.
L’IA : le courage de la transformation
C’est sur le terrain de l’intelligence artificielle que j’ai senti le plus de détermination. Je n’oublierai pas la fermeté de ton qu’Erwan adopte sur ce sujet. Pour lui, l’IA n’est pas une option, c’est une bascule structurelle qui va redéfinir l’e-commerce et l’acquisition client.
Il m’a partagé une vision radicale de l’avenir de notre industrie : la fin de la vente au temps passé. Il m’a donné cet exemple frappant, presque prophétique : « Demain, je te vends un projet à 50 qui en coûtait 100 avant, mais dans ces 50, il y a 30 d’humain et 20 d’agents IA »14. L’ESN qui saura articuler ces deux mondes — humain et agentique — prendra la vague. Les autres la regarderont passer. SQLI s’y prépare déjà, non pas en subissant, mais en créant sa propre bibliothèque d’agents.
Le trésor caché de Casablanca, Rabat et Oujda
Je ne peux pas conclure ce portrait sans évoquer ce qui m’apparaît comme leur atout maître : le Maroc. J’ai trop souvent vu le nearshore traité comme une commodité budgétaire. Erwan m’a décrit tout l’inverse : un dispositif industriel vieux de 20 ans, totalement imbriqué, où plus de 30 % des effectifs délivrent des projets critiques, et une présence sur trois sites différents : Rabat, Casablanca et Oujda.
Il m’a rapporté les mots d’un client du retail, bluffé après une visite sur place : « « Vous gérez une complexité opérationnelle, métier et technique sur le digital et l’expérience client, que les autres acteurs ne gèrent pas. ». J’ai réalisé à cet instant que ce modèle est une véritable barrière à l’entrée. Dans un marché tendu sur les prix, c’est cet actif qui permet à SQLI de continuer à signer des grands programmes tout en restant agile.
La croissance externe comme accélérateur
Pour atteindre la barre des 500 millions d’euros, le moteur organique ne suffira pas. Erwan Le Duff ne s’en cache pas : la croissance externe est un levier qu’il active désormais sans complexe. Il m’a confirmé une acquisition en cours au Royaume-Uni pour renforcer l’expertise Data, et d’autres dossiers sont déjà à l’étude.
L’objectif n’est pas d’empiler des revenus pour faire du volume, mais d’aller chercher des briques de compétences spécifiques, comme cela a été fait précédemment sur l’écosystème Salesforce ou la data20. C’est le signe d’une entreprise qui a fini de digérer son passé et qui a retrouvé de l’appétit pour investir.
Le changement de dimension
Je ressors de cet échange avec une certitude : SQLI n’est plus en phase d’observation, mais de conquête. L’ambition est posée, la dynamique d’acquisition est enclenchée, et le collectif est en ordre de marche. Erwan Le Duff n’est pas venu gérer l’héritage d’une « vieille dame », il est venu la préparer pour un sprint.
Sa plus grande crainte, m’a-t-il confié, serait d’avoir tous les atouts en main et de rater la vague par manque d’audace. Mais à voir l’énergie qu’il déploie pour embarquer ses équipes, je suis prêt à parier que SQLI ne va pas seulement suivre le mouvement, mais contribuer à redéfinir les standards de l’ESN de demain.
