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Piloter une ESN : Thibaud Viala, l’éloge de la modération

 

Pour sa chronique dédiée à la transformation des entreprises de services du numérique (ESN), Sylvain Fievet met en lumière un dirigeant qui allie constance stratégique, exigence technique et sens de l’humain. Cofondateur et Directeur Général de Klee Group depuis la fin des années 80, Thibaud Viala incarne un modèle rare dans l’écosystème français : une ETI indépendante qui conjugue services et édition logicielle, sans céder à la course effrénée à la taille critique. Dans un marché marqué par la pression des hyperscalers, l’accélération de l’IA et la montée des enjeux de souveraineté, il revendique un pilotage gradualiste, ancré dans l’excellence et la proximité client, qui a permis à Klee de bâtir une croissance régulière et durable.

 

J’ai rencontré Thibaud Viala avec la conviction qu’il représente une espèce rare dans notre écosystème : celle des fondateurs qui tiennent la barre depuis près de quarante ans, sans se laisser emporter par les modes managériales ou les promesses faciles de l’hypercroissance. Il se définit lui-même comme un “entrepreneur chevronné”, et je comprends vite que cette expression n’est pas une posture : elle résume une trajectoire où l’expérience a forgé une philosophie de modération assumée. “La croissance n’est pas une fin en soi, c’est un résultat”, m’explique-t-il. Dans un univers qui court après la taille critique, lui préfère parler de constance, de fidélité aux fondamentaux, d’équilibre .

 

Deux métiers, une même culture

 

Chez Klee, l’originalité est d’avoir toujours combiné deux métiers : l’édition logicielle et les services numériques. Deux univers que tout oppose en apparence, mais que Thibaud Viala a toujours voulu porter par une même culture : excellence technique, engagement client et confiance. Il me le rappelle sans détour : “Nous ne sommes pas des serviteurs qui exécutent, mais des partenaires qui s’engagent sur la qualité et la pertinence des solutions”. J’y vois une manière de résister à la banalisation du métier d’ESN : là où beaucoup deviennent de simples “usines à régie”, Klee continue à défendre la valeur de la proximité et de la co-construction.

 

La croissance harmonieuse

 

Je suis frappé par la sérénité avec laquelle Thibaud parle de croissance. Alors que la plupart des dirigeants que je rencontre affichent des plans chiffrés à trois ans, il insiste sur le fait que les résultats ne sont que la conséquence d’un modèle solide. “Nous faisons 13 à 16 % de croissance chaque année. C’est un rythme régulier, qui ne vient pas d’un objectif de volume mais de la confiance que nous inspirons”, souligne-t-il . Il se définit comme un “gradualiste”. Ce mot lui va bien : pas de promesses tapageuses, mais une trajectoire robuste, qui protège dans les moments difficiles et construit dans la durée.

 

Souveraineté : entre mémoire et actualité

 

Quand je l’interroge sur la souveraineté numérique, Thibaud ne tombe pas dans les slogans. Il a la mémoire longue : “J’ai connu Bull, les tentatives franco-françaises, les illusions perdues. Mais la prise de conscience actuelle est bienvenue.” Ce réalisme est précieux. Il ne nie pas les difficultés structurelles, mais il croit encore possible de bâtir des alternatives crédibles en Europe. Là où beaucoup d’ESN s’installent dans le confort du modèle Microsoft ou Salesforce, Klee assume une posture plus exigeante : comparer les solutions, rester du côté du client, refuser l’inféodation. C’est dans cette logique que Thibaud cite ses partenaires : Jalios, référence française du collaboratif ; Simplicite, qui développe des solutions agiles de no-code ; le spécialiste de l’analyse de données ChapsVision ou encore Ovomnia, issue d’un spin-off de Klee, qui capitalise sur des composants open source pour bâtir des plateformes rapides et sécurisées . Ces entreprises, de taille intermédiaire mais aux technologies solides, incarnent pour lui des alternatives crédibles, avec le potentiel de rivaliser avec les grandes plateformes dominantes.

 

L’IA et le no-code comme accélérateurs pragmatiques

 

Dans notre échange, je le sens animé par l’IA, non pas comme un gadget médiatique mais comme une capacité nouvelle à délivrer plus vite. Il me cite l’exemple d’un projet pour le ministère de l’Intérieur : en une semaine, ses équipes ont monté un prototype pour automatiser le traitement des mails des préfectures grâce à l’IA . Même pragmatisme lorsqu’il évoque le no-code et le low-code. Pour Thibaud, ce ne sont pas des menaces pour les ESN mais des accélérateurs utiles, à condition qu’ils soient intégrés dans une logique de résultat. “Nous ne cherchons pas à prolonger les projets indéfiniment. Ce qui nous intéresse, c’est de démontrer vite que ça marche, tout en garantissant au client la maîtrise de son patrimoine informatique” . Cette philosophie illustre bien le rôle que Klee entend jouer : aider ses clients à tirer parti des nouvelles briques technologiques, tout en gardant leur indépendance et leur souveraineté.

 

La transmission déjà engagée

 

Thibaud Viala a beau rester aux commandes, il parle avec fierté de la nouvelle génération qui prend le relais. Il cite notamment Laurent Barot, Directeur Général, preuve que la transmission s’organise sans heurt, et Stéphanie Pialat, Directrice Commerciale, qui montre qu’elle peut accueillir des personnalités nouvelles. “L’humain va rester, tout le reste évoluera”, insiste-t-il . J’y vois un autre signe de sa modération : ne pas chercher à s’accrocher, mais préparer, avec confiance, un passage de témoin. Peu d’ESN indépendantes françaises peuvent en dire autant.

 

Un appel à la vigilance

 

Je retiens enfin une phrase qui me paraît résumer son état d’esprit : “L’IT est un formidable outil pour contribuer à des causes de grande valeur. Mais sa puissance peut être dangereuse si l’on perd de vue les finalités qui nous animent.” C’est une leçon que je partage. Dans un monde d’accélérations technologiques et de dépendances accrues, la vigilance et la responsabilité doivent guider nos choix. Piloter une ESN en 2025, pour Thibaud Viala, c’est refuser l’hystérie de l’hypercroissance, défendre l’excellence technique, placer l’humain au centre et préserver l’indépendance stratégique. À l’heure où le marché se fragilise, son éloge de la modération résonne comme une conviction forte : c’est dans la durée que se construit la vraie valeur.

 

 

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