[Edito] Qui va éduquer les toutes jeunes IA ?

Amazon a mis en scène le 16 novembre l’anniversaire des cinq ans d’Alexa en France. Cette assistante virtuelle pilotée à la voix est emblématique de la place prise dans nos vies quotidiennes par l’intelligence artificielle. Selon l’entreprise, ce sont ainsi plus d’un milliard de produits, qui vont des terminaux proposés directement par Amazon jusqu’aux appareils électroménagers, qui sont connectés à Alexa. Que la fête d’anniversaire ait lieu la veille du Black Friday, événement commercial venu des États-Unis, ne surprendra pas. Qu’Amazon déclare que très prochainement, Alexa sera améliorée grâce aux avancées de l’intelligence artificielle générative non plus.

Les intelligences artificielles ne sont en effet qu’en phase de développement infantile. Il y a fort à parier que les usages que nous connaissons aujourd’hui (« Alexa, ouvre les volets de la maison ») nous paraissent incroyablement frustes dans seulement quelques années. Mais qui va donner les règles d’éducation de ces jeunes IA qui se développent de tous côtés ? Le débat télévisé récent entre le premier ministre britannique Rishi Sunak et l’entrepreneur-star Elon Musk ne manque pas à ce titre de faire réfléchir.

Ce dialogue de 30 minutes, mis en avant en grande pompe par l’homme politique et ses équipes de communication, est paradoxal. Il y est question de la façon dont l’IA peut amener un futur utopique d’abondance, de « revenu universel élevé », ou même d’amis artificiels pour les enfants qui peinent à s’en faire dans la cour de l’école… Le premier ministre est plutôt enthousiaste, mais Musk, le technophile, bien qu’il reconnaisse le potentiel positif, y tient aussi le rôle de Cassandre : « Faites attention à ce que vous souhaitez. Les histoires de génie qui exaucent tous les souhaits finissent rarement bien ».

L’échange a eu lieu dans le cadre plus large du « Sommet sur les risques de l’intelligence artificielle » organisé à Londres début novembre. Le thème de la rencontre pouvait laisser penser à un festival d’appels à ralentir le mouvement, sur le modèle du curieux moratoire sur l’intelligence artificielle demandant au printemps dernier d’arrêter la recherche en IA pendant six mois (et dont Elon Musk était signataire). Pourtant, les politiques y ont souvent joué le rôle des adeptes de l’innovation, à l’image du ministre de l’Économie français Bruno Le Maire : « Le message que je veux porter à Londres est le suivant : sur l’intelligence artificielle, l’Europe doit innover avant de réguler ».

Un simple dessin de presse vaut mieux qu’un long discours. Dans le magazine britannique The Economist, les grandes puissances sont représentées au sommet en train d’annoncer : « Nous déclarons que l’IA pose potentiellement un risque catastrophique pour l’humanité… », tout en pensant chacune tout bas « … et j’ai hâte de la développer en premier ».

Il est illusoire de penser que la course à l’IA va ralentir de quelque façon que ce soit et cela ne devrait d’ailleurs pas être le but de la réglementation. Mais entre le point A d’une Alexa fermant les volets et le point B d’intelligences artificielles ubiquitaires et omniprésentes qui font disparaître le travail soit pour condamner l’humanité, soit pour lui apporter l’abondance, la question est surtout, qui va tracer le chemin ? Le double message du personnel politique, à la fois catastrophiste et techno-solutionniste, est à ce titre inefficace. Il laisse penser que leurs efforts pour comprendre les enjeux globaux de l’IA se limitent à une question de compétitivité économique. Même un entrepreneur aussi clivant qu’Elon Musk nous rappelle pourtant le contraire.

Cet édito est issu de notre newsletter de la semaine du 13 au 17 novembre 2023, à découvrir dès maintenant : https://alliancy.fr/newsletter/17-11-23

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