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[Tribune] Pour rivaliser avec les États-Unis, l’Europe doit se renouveler

La pandémie a conduit à une transformation numérique massive, la valeur des entreprises Tech américaines a dépassé celle de l’ensemble du marché boursier européen. Révélation frappante certes, mais pas surprenante. Mikko Hyppönen, Chief Research Officer chez F-Secure, relate de la nécessité pour l’Europe à récupérer sa souveraineté technologique face au marché américain.

Mikko Hyppönen, Chief Research Officer chez F-Secure

Mikko Hyppönen, Chief Research Officer chez F-Secure

Pendant plusieurs années, l’Europe a pris du retard sur la création de nouveaux services et les rares succès sont immédiatement vendus à la concurrence US ou asiatiques. Bien que le web ait été conçu en Europe, sa croissance a été alimentée par des innovations américaines et asiatiques.

Pourquoi ? plusieurs aspects sont en jeu, la fragmentation des marchés et la multiplicité des langues représentent un désavantage pour nous ! Deux avantages de poids côté américains : les grands investisseurs et l’absence de réglementation.

Le gouvernement américain, allié du secteur de la cybersécurité

Dans le secteur de la cybersécurité, les entreprises américaines ont l’avantage de pouvoir compter sur un premier client de taille, aux poches bien garnies et féru des technologies défensives de pointe : la branche défense du gouvernement fédéral. Cette dernière acquiert régulièrement de nouvelles innovations alors qu’elles ne sont encore que des idées sur PowerPoint. En s’appuyant sur ce client de la première heure, elles peuvent faire passer leurs idées de l’état de promesse à celui de produit réel. À l’inverse, les unités de défense et centres de cybersécurité européens sont de tailles plus réduites.  Plutôt que d’investir dans des idées, ces entités préfèrent payer pour des solutions testées et éprouvées.

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Il en va de même dans le secteur technologique au sens large. Les jeunes entreprises américaines ont accès à un secteur de capital-risque florissant, qui éclipse celui de l’Europe. Aux États-Unis, lorsque des fondateurs de start-ups cherchent des fonds, ils trouvent face à eux des investisseurs américains impatients de mettre la main sur la prochaine grande idée à soutenir.

En tant qu’Européens, nous avons quelque chose à apprendre de nos amis américains. Si nous voulons progresser dans le secteur des technologies, nous devons prendre conscience du fait que, pour innover, l’entrepreneur a besoin de se sentir en confiance lorsqu’il investit dans son idée de produit.

Le RGPD, inconciliable avec l’innovation ?

Sur le marché technologique, nos concurrents américains et asiatiques profitent aussi d’une législation plus souple en matière de protection de la vie privée. Imaginez que Facebook ou Alexa aient été lancés par une entreprise européenne : les régulateurs auraient probablement inspecté ces idées de fond en comble, jusqu’à les tuer dans l’œuf.

Le fait que ces entreprises technologiques soient moins respectueuses de la vie privée n’est pas en soit un point positif. Mais, en l’état actuel, la vie privée des Européens n’est pas nécessairement mieux protégée. En l’absence d’offres européennes et d’alternatives viables, les marchés européens ont été conquis par des entreprises asiatiques et américaines qui ne respectent pas nécessairement la législation européenne en matière de protection de la vie privée.

Le RGPD a constitué une avancée historique du point de vue de la protection de la vie privée. Ce règlement a servi d’exemple aux pays du monde entier. Nombre d’entre eux ont ainsi adopté des législations similaires. C’est un constat positif, qui a malheureusement certaines conséquences : pendant qu’aux États-Unis, les entreprises rencontrent peu ou pas de restrictions en matière de confidentialité des données utilisateurs, en Europe, elles sont incapables de proposer de nouveaux cas d’utilisation pour les données dont elles disposent. Aucun des deux extrêmes n’est souhaitable : il nous faut trouver un juste milieu.

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Nous pouvons espérer que l’Europe finira par convaincre le reste du monde de suivre ses idéaux en matière de protection de la vie privée. Mais en attendant, peut-être devrait-elle jeter un autre regard sur son approche. Peut-être devrions-nous nous demander s’il existe un moyen de continuer à respecter le droit à la vie privée, tout en favorisant la croissance et l’innovation. En tant qu’Européens, demandons-nous si, en réalité, nous ne payons pas la facture des innovations qui naissent hors de nos frontières.

La loi sur la protection de la vie privée entrée en vigueur en Californie l’année dernière avait vocation à surpasser le RGPD. On peut se demander si elle y est parvenue. Toutefois, il est encourageant de constater que les législateurs peuvent chercher à rivaliser, pour élaborer une meilleure législation sur la protection des données personnelles.

Peut-être l’Europe doit-elle commencer à travailler sur une version améliorée du RGPD en vigueur depuis plus de 3 ans, pour adopter une approche plus équilibrée entre innovation et protection de la vie privée.

Pour permettre l’innovation, l’Europe doit s’ouvrir à d’autres secteurs d’activités

Lorsqu’il s’agit d’exiger des conditions de concurrence équitables, l’Europe agit plus efficacement dans les secteurs traditionnels que dans le secteur technologique. Prenons l’exemple du différend juridique qui oppose Boeing et Airbus. Après 17 ans de poursuites judiciaires mutuelles, l’Organisation mondiale du commerce a tranché : Boeing aux États-Unis, tout comme Airbus en Europe, bénéficie de subventions gouvernementales, mais par des moyens différents. Ce litige est un exemple concret, illustrant une Europe active et prête à prendre position pour défendre son industrie et ses innovations. Rien de tout cela n’est visible dans le domaine des technologies.

Si l’Europe veut que les prochains Google ou AWS naissent sur son territoire, il lui faut miser sur l’innovation non-traditionnelle et sur la commercialisation de la R&D européenne. Pour ce faire, elle peut créer des marchés propices à la croissance des entreprises ou encore se doter d’une législation plus favorable, afin de ne pas ajouter d’obstacles supplémentaires comparés aux concurrents d’autres régions. En tout état de cause, elle doit agir plus rapidement. Si le processus décisionnel européen continue à s’étaler sur plusieurs années, nous serons écrasés par les États-Unis et l’Asie.

Nous avons cédé nos données à des entreprises américaines et asiatiques et avons par ce biais renoncé à notre vie privée. Nous devons élaborer une nouvelle réalité numérique européenne, capable de favoriser les idées et l’innovation, tout en préservant la sécurité de nos données et nos idéaux en matière de vie privée.

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