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Un an après, Mistral et les transformations suspendues du rapport Draghi

 

Qui se souvient des espoirs européens exprimés en septembre 2024 ? Avec 383 mesures recommandées, le rapport Draghi sur la reconquête de la compétitivité du Vieux Continent se voulait un électrochoc. En analysant en profondeur les racines du mal pour y apporter des réponses opérationnelles plutôt que des déclarations d’intention politiques, les près de 400 pages proposées par l’ancien chef du gouvernement italien et ex-président de la BCE avaient beaucoup fait réagir. L’impact sur l’écosystème numérique pouvait, en particulier, être décisif. Et depuis ? Rien. Ou si peu. Un an après ce « call to action » essentiel, l’Union européenne n’a mis en œuvre qu’à peine plus de 10 % des recommandations, selon un audit réalisé par le Conseil européen pour l’innovation politique. Surtout, elle s’est concentrée sur les thèmes les moins clivants et les moins transformateurs. Or, depuis un an, l’actualité n’attend pas, comme l’illustre très bien la course dans laquelle est engagé un champion européen comme Mistral AI.

 

Alliance rêvée entre ASML et Mistral

 

La pépite française a fait sensation en devenant la première « décacorne » hexagonale, c’est-à-dire en atteignant une valorisation supérieure à 10 milliards d’euros. Sa dernière levée de fonds a notamment fédéré un acteur technologique européen majeur, le spécialiste mondial des semi-conducteurs ASML, qui a mis sur la table pas moins d’1,3 milliard d’euros pour devenir le premier actionnaire de l’entreprise, avec 11% de participation. Un moyen de rassurer ceux qui voient planer sur le leader français de l’IA générative l’ombre d’une appropriation par de tout-puissants fonds américains. Les rares champions européens en construction font en effet des cibles parfaites pour les investissements transatlantiques, vu l’incapacité de l’Union européenne de se structurer autour d’un marché financier unique.

 

L’économie européenne à la peine

 

Le thème de la souveraineté a d’ailleurs tenu une place importante dans la communication qu’Arthur Mensch, le co-fondateur le plus médiatique de Mistral, a mené autour de la levée de fonds. En particulier lors du délicat exercice de vulgarisation mené en étant invité dans l’émission grand public « Quotidien » sur TF1/TMC, le 9 septembre. Il a notamment souligné le risque de voir la production de l’information devenir un monopole de fait des États-Unis par le biais de leur maîtrise de l’IA générative. Et OpenAI en est le meilleur exemple, alors que sa croissance est significative, que sa valorisation pourrait atteindre 500 milliards de dollars et qu’elle a dépensé pas moins de 8 milliards de dollars en 2025 pour rester le leader mondial. Plus que jamais, les héros de la tech américaine tirent l’économie de l’Oncle Sam et ses indices boursiers vers le haut, malgré les chocs commerciaux de Donald Trump. C’est toute l’économie européenne qui souffre de la comparaison : selon les données d’Eurostat, sa croissance a été de 8 fois plus lente lors du deuxième trimestre 2025.

 

Les 27 face à la nécessité du marché unique

 

Dans ce contexte, seules des réformes structurelles pour libérer la création de valeur, l’innovation et la généralisation des investissements, privés comme publics (notamment via le fléchage des commandes publiques), pourront faire bouger l’aiguille. Pour les économistes spécialisés dans le cas européen, il est clair que l’absence d’un marché unique des services freine très fortement l’adoption des technologies numériques et donc l’émergence de véritables champions. Les 27 États membres, même s’ils déclarent partager les objectifs d’amélioration de la compétitivité européenne, renâclent en réalité devant les décisions qui les amèneraient à modifier fortement leurs législations nationales. En attendant, ce sont donc non pas une, mais bien vingt-sept réglementations auxquelles les acteurs de la tech doivent se confronter pour espérer grandir en Europe.

 

Lointain horizon 2028

 

Cette complexité est souvent attribuée à la « bureaucratie de l’UE ». C’est pourquoi, parmi le dixième des propositions Draghi sur lesquelles l’Union a avancé, on dénombre avant tout celles qui concernent la déréglementation et la simplification administrative. Deux points sur lesquels il est facile de trouver des accords politiques, mais qui détournent l’attention des vrais sauts qualitatifs et des ruptures énoncés par l’ancien président de la Banque centrale européenne, afin de générer des investissements majeurs dans l’avenir du continent. Le 10 septembre, lors de son discours sur « l’état de l’Union », la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a malgré tout mis en avant les progrès réalisés, tout en annonçant une « feuille de route » pour présenter des échéances politiques claires afin d’achever le marché unique européen… à horizon 2028. Après avoir déjà perdu une année depuis le diagnostic du « Docteur Draghi », l’Europe endormie semble tout faire pour éviter d’avoir à s’administrer rapidement le remède prescrit. Si l’on veut que le pacte exemplaire entre ASML et Mistral soit dupliqué et devienne une habitude européenne, il va falloir se réveiller. Les acteurs privés ont prouvé qu’ils pouvaient s’entendre pour y arriver, le politique doit suivre. Arthur Mensch lui-même ne s’y est pas trompé en affirmant cette semaine au sujet de l’étape franchie par son entreprise : « Cette ambition ne comptera que si la Commission européenne et les gouvernements nationaux sont à la hauteur ».

 

 

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