L’urgente réinvention des achats IT pour mieux faire face aux dépendances technologiques

 

Les États-Unis ont leur « Independence Day » le 4 juillet : il semblait logique d’y faire un clin d’œil en organisant notre propre Independence Tech Day deux jours plus tôt. Accueillis au sein de CDC Informatique, la filiale IT de la Caisse des Dépôts, 200 invités de l’écosystème du numérique français ont ainsi pu échanger sur les enjeux de dépendances technologiques et de souveraineté numérique durant cette dense matinée organisée par Alliancy. Clôturé par Clara Chappaz, ministre déléguée à l’IA et au numérique, et par le directeur général de la Caisse des Dépôts, Olivier Sichel, l’événement a été l’occasion de mettre en commun de nombreuses initiatives et de constater l’alignement des priorités d’action. Cela a été particulièrement visible au niveau des messages adressés par les intervenants sur la nécessaire réinvention des achats IT. La commande, qu’elle soit publique ou privée, et malgré des règles du jeu parfois contraignantes, commence une remise en question qui pourrait changer en profondeur le paysage technologique européen si la mue réussit.

 

Quelques pourcentages à réorienter

 

C’est d’autant plus nécessaire que, quand on parle de dépendances technologiques, quelques petits pourcentages peuvent faire de grandes différences. David Krieff, vice-président du Cigref, a ainsi rappelé le 2 juillet les estimations actuelles des achats passés auprès des leaders de la tech américaine. Malgré l’inexistence de statistiques fiables et des difficultés dues aux situations très particulières de la plaque tournante irlandaise au sein de l’Union européenne, les premiers calculs évaluent au minimum à 264 milliards d’euros annuels ces flux consacrés au numérique qui génèrent de la valeur outre-Atlantique. Partant de là, un simple delta de 5 %, fléché vers des solutions européennes, injecterait alors de nouveaux milliards dans l’économie continentale, avec tous les effets que l’on peut imaginer en termes d’emploi ou de retombées sur les systèmes sociaux.

 

De nouvelles cartographies de référence à rendre visibles

 

Pour aider à atteindre cet objectif, les pratiques d’achat doivent cependant elles aussi s’infléchir de quelques pourcentages. Dans la notation des réponses aux appels d’offres, des critères de responsabilité sociale des organisations sont aujourd’hui présents aux côtés des critères plus traditionnels, techniques et économiques. Suivant l’exemple de certaines organisations proactives, ils pourraient être rejoints par de nouveaux critères liés aux dépendances technologiques, à hauteur de 10 ou 15 % de la note globale par exemple. L’alliance entre des directeurs du numérique motivés et des responsables achats plus attentifs aux problématiques de dépendance est en effet précieuse pour ne pas limiter les stratégies de « procurement » à des considérations qui montrent aujourd’hui leurs limites. Mais les directions achats estiment être peu outillées, comme en a témoigné Ruth Faé, responsable achat de la foncière Icade, lors de la matinée de l’Independence Tech Day. Et les DSI eux-mêmes souhaitent aujourd’hui s’appuyer sur des référentiels, des cartographies et des évaluations différentes de celles des leaders mondiaux (et américains) comme Gartner. L’occasion d’amener d’autres critères afin de mieux détecter des alternatives aux plateformes dominantes.

 

Des acheteurs aux ESN, en passant par les comités exécutifs

 

Et la mue ne concerne pas seulement le privé : la commande publique elle-même peut faire la différence. Comme l’ont rappelé de nombreux éditeurs de solutions technologiques le 2 juillet, ils ne sont pas à la recherche de subventions, mais bien de clients et d’engagements commerciaux pour confirmer la pertinence de leurs approches et leur fournir de la visibilité sur l’avenir. La commande est donc le nerf de la guerre pour l’action publique également. D’autant plus quand on sait que les géants américains se sont construits eux-mêmes grâce à la prééminence de contrats passés par les administrations étasuniennes successives. Réputée bridée par le code des marchés publics, la commande publique dispose de marges de manœuvre réelles, rappelle d’ailleurs Jean-Baptiste Courouble, DSI de l’Urssaf Caisse Nationale et l’un des participants aux travaux du Do-Tank « Dépendances technologiques et liberté d’action » organisé par Alliancy. En la matière, le sujet dépasse le seul cadre de la souveraineté numérique. Il est certes important de donner leur chance aux alternatives européennes dans le cadre des appels d’offres. Mais l’évolution des pratiques d’achats doit aussi permettre de se prémunir contre des dépendances vis-à-vis de tout acteur technologique qui pourrait développer des comportements prédateurs, au-delà de toute notion de nationalité. Un sujet qui appelle les acteurs de l’écosystème à se mobiliser, au-delà des actions des DSI et des directions achats. Pour Jean-Baptiste Courouble, les directions métiers et les Comex doivent être plus que jamais sensibilisés à la problématique, et de nouvelles coopérations sont aussi à imaginer avec les entreprises de services numériques. La mue des achats IT n’est que l’un des rouages de la mécanique complexe de l’autonomie stratégique en matière de numérique à mettre en place par les organisations.