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XPN : quand la technologie promet de faire gagner un temps… qu’on n’a déjà plus

 

Dix ans de travaux, 257 millions d’euros et une armée de comités pour accoucher d’un logiciel qui peine à enregistrer un PDF : XPN réussit l’exploit de moderniser la police… dans l’art de perdre du temps.

 

Il fallait sans doute un symbole pour résumer notre étrange rapport national à la transformation numérique : voici XPN, le logiciel de rédaction des procès-verbaux de la police nationale. Dix ans de développement, une ribambelle de comités, une forêt de sigles, un budget que même les startups de la French Tech n’oseraient pas rêver (257,4 millions d’euros) et un résultat qui exige… 17 clics pour enregistrer un PDF ! L’innovation, mais à l’envers.

L’ordonnance de règlement de la Cour des comptes, véritable roman-feuilleton de plus de 500 pages, a la cruauté clinique des diagnostics tardifs : tout le monde savait, personne n’a décidé et l’outil, lui, ne fonctionne toujours pas. On s’enlise d’acronyme en acronyme : LRPPN, LRP/NG, NG-4, Scribe, XPN… Une litanie interminable évoquant plus le générique d’une saison de Game of Thrones qu’un projet numérique du ministère de l’Intérieur.

La généalogie du fiasco tient en quelques scènes que n’aurait pas reniées un scénariste de Baron noir. Ici, en 2014, un logiciel policier déclaré inadapté dès sa naissance. Là, en 2016, une cheffe de projet sans expérience SI, mais épaulée par Capgemini, avant que la gendarmerie, lasse de chicaneries « niveau cour d’école », claque la porte d’un projet censé être commun. Puis viennent les moratoires, les réformes de gouvernance numérique (et leurs contre-réformes), les comités qui « doivent se réunir chaque mois » et ne le feront que cinq fois avant de s’évaporer. Un millefeuille administratif qui donnerait le vertige à un architecte AWS.

Ce qui frappe, dans cette affaire, c’est moins la succession d’erreurs que la perte totale de vue des besoins utilisateurs. Pendant que les enquêteurs croulent sous les dossiers, que les procédures se formalisent, que les magistrats réclament des pièces exploitables, l’outil déployé par l’État n’accepte pas un PDF de plus de 5 Mo. Une simple photo prise avec un smartphone moderne ? Hors gabarit. Solution officielle ? Dégrader la qualité des images. Autrement dit, rendre les preuves… inutilisables. On ne parle plus ici d’UX foireuse, mais d’une faille béante dans l’efficacité de la chaîne pénale.

Il serait trop simple de réduire XPN à une caricature administrative. La réalité est plus inquiétante : nos projets technologiques publics échouent précisément là où ils devraient exceller. On parle d’un ministère central, doté d’une agence numérique dédiée, d’équipes expertes, d’audits, de marchés, de comités. Mais sans mandat clair, sans responsabilité nette, sans proximité réelle avec le terrain, tout se dilue. À l’arrivée, l’outil priorise la statistique, non l’enquêteur. Le tableau de bord avant le travail de fond. Les indicateurs avant la mission.

Et pendant ce temps, les délais s’étirent : pas de déploiement avant 2028, au mieux. Une visioplainte annoncée comme révolutionnaire pour 2025 ? Suspendue. Nous en sommes à espérer qu’un jour, un policier pourra joindre un PDF à un PV sans réécrire l’histoire du numérique français. En attendant, il reste un inventaire comptable à 257,4 millions d’euros… et une souris fatiguée d’avoir cliqué 17 fois pour un simple PDF.

 

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