Damien Cuny (Kompozite) : « Demain, il sera impossible de concevoir un bâtiment sans inclure son coût carbone »

Le 1er janvier 2022, la réglementation RT2012 sur la construction des bâtiments bas carbone est devenue la RE2020. Autrement dit Il n’est plus simplement question de performance thermique des bâtiments neufs mais bien de leur performance environnementale au sens large. Damien Cuny a créé en 2020 Kompozite, une plateforme en mode SaaS qui aide les architectes, constructeurs et tous les métiers de la maîtrise d’œuvre à mieux calculer leur empreinte environnementale. Entretien.

Damien Cuny, fondateur de Kompozite.

Damien Cuny, fondateur de Kompozite.

Alliancy. Comment est venue l’idée de créer Kompozite et pourquoi s’investir particulièrement dans le secteur du bâtiment ?

Damien Cuny : Je cumule plus de dix ans de carrière dans le secteur de la construction et, en 2020, j’ai voulu apporter du sens à mon travail en créant Kompozite. L’idée est d’aider les acteurs de la filière à se conformer à la réglementation environnementale RE 2020. C’est un nouveau cadre réglementaire qui vient élargir le scope de la RT2012, puisqu’il ne se limite plus aux consommations énergétiques calculées en kwh mais à l’impact carbone en général.

Dans le cadre d’une demande de permis de construire, nous devions traditionnellement calculer la consommation énergétique par mètre carré de plancher ; nous devons désormais inclure l’impact CO2 de cette énergie, mais aussi celui des matériaux. Cela revient par exemple à calculer les molécules émises lors de la fabrication d’une brique. Les seuils carbone sont une nouvelle exigence, et tous les concepteurs du bâtiment sont tenus d’inclure dans leur comptabilité toutes ces données carbone. 

Les outils de calcul de l’empreinte carbone existants sont-ils adaptés au secteur de la construction ?

Je ne le pense pas et c’est pour cela que j’ai créé Kompozite. La donnée carbone est disponible, par exemple sur la base Inies, qui est en consultation libre et qui fait référence. En revanche, cette donnée disponible n’est pas immédiatement exploitable en RE2020. Nous avons fait ce travail de traduction en incluant des facteurs propres aux enjeux du secteur comme la résistance au feu ou bien l’acoustique des matériaux. Nous souhaitons que nos utilisateurs calculent facilement leur poids carbone et au-delà.

En réalité, si nous ne voulons pas d’impact, il ne faut pas construire. Il faut d’abord se poser la question : est-ce que j’ai besoin de construire ? Si oui, doit-on privilégier du neuf ou bien la rénovation de bâtiments existants ? À ce moment, il est possible d’appliquer une stratégie concernant les matériaux à utiliser. Kompozite ne fera jamais le choix à la place de l’architecte ou du constructeur mais nous leur offrons un choix éclairé ; il ne sera pas possible de dire ensuite qu’un matériau a été utilisé sans savoir le coût carbone lié. 

Les données sont-elles assez précises aujourd’hui ?

Nous ne sommes pas créateurs de data mais bien exploitants. Il n’est pour autant pas possible de faire n’importe quoi : le calcul de la performance environnementale du bâtiment est normalisé dans le cadre de la RE2020 tout comme dans les données source comme les FDES. En résumé, les données sont bien là mais il y a un grand travail à faire sur l’agrémentation et la data visualisation. L’implication du secteur de la construction est assez récente et cela ne sera pas parfait dès le premier jour. Mais la dynamique va dans le bon sens.

Les acteurs traditionnels sont-ils impliqués ?

Ils sont généralement tous prêts à passer le pas mais les enjeux sont davantage techniques car cette transformation est parfois difficile à mettre en place dans leur quotidien. Notre accompagnement se veut technique mais accessible. Nous les aidons à monter en compétences car ce n’est pas un problème de volonté de leur part mais bien de complexité. 

Comment se passe concrètement le parcours d’un client qui veut utiliser Kompozite ?

Notre offre est proposée en freemium, c’est-à-dire que l’accès est gratuit mais certaines fonctionnalités peuvent être payantes. La première chose à faire est de se rendre sur notre site internet pour créer son compte et commencer à se familiariser avec la plateforme. Ensuite, vient une phase d’accompagnement par le biais de nos équipes qui répondent en direct via chat. Au lancement d’un projet de construction, il est possible de prendre rendez-vous directement avec moi pour aborder des questions plus techniques. Nous avons moins de 200 utilisateurs pour le moment donc je peux encore avoir le temps de m’en occuper. 

Mon objectif est que les acteurs de la construction puissent s’emparer pleinement de notre plateforme, de manière autonome. Cela vaut autant pour les architectes et les constructeurs que pour tous les métiers de la maîtrise d’œuvre ou encore les économistes et les bureaux d’étude environnementale. 

Avec la nouvelle réglementation, personne ne sait qui va calculer l’empreinte carbone. Mon pari reste que tous les acteurs puissent le faire car demain il sera impossible de concevoir un bâtiment sans inclure son coût carbone. De la même manière qu’un architecte ne peut concevoir son projet sans savoir son coût économique. Nous aurions pu réserver notre solution à de grands groupes dans le cadre de partenariats mais notre stratégie demeure celle de l’ouverture à tous.

Passer par la case normative est-il nécessaire ?

Jean-Marc Jancovici a tout récemment publié un post sur les réseaux sociaux concernant la RE2020 auquel je suis plutôt aligné. Pour lui, le gouvernement a deux choix : soit il passe la taxe carbone, soit par la norme. Et l’avantage des leviers normatifs c’est qu’ils sont prévisibles et incitent tous les acteurs à faire mieux face à l’urgence climatique. Une fois qu’ils auront appris à compter et à construire des bâtiments avec les matériaux les plus raisonnés possibles, nous aurons franchi une grande étape. Dans un premier temps, il n’y a pas besoin d’innovation de rupture car les matériaux bas carbone existent déjà sur le marché. En revanche, les seuils carbone annoncés pour 2028, et encore plus pour 2031, nécessiteront une innovation massive.

Construire en bas carbone n’est-il pas plus cher ?

Il est possible de faire des marges tout en construisant bas carbone. Le vrai sujet est plutôt d’arriver à embarquer les plus petites entreprises de construction pour qui le bas carbone n’est pas forcément la priorité. Les retards de chantier due à la pénurie de matériaux est par exemple le plus urgent en ce moment. 

C’est là que la norme est intéressante car ces mêmes artisans ou PME de la construction ne voient pas venir l’inclusion de budgets à carbone à respecter dans les appels d’offres à venir. Quand nous discutons avec eux, beaucoup ne se rendent pas compte des changements à venir. Mais bien heureusement, le gouvernement a prévu une progressivité des seuils dans le temps : le 1er seuil reste encore facile à atteindre, puis il deviendra de plus en plus strict au fil des années. Nous sommes donc dans une logique d’éducation sur ces enjeux durant les trois prochaines années.

De la même manière, les travaux de rénovation sont pour l’instant écartés de cette réglementation afin de ne pas freiner le rythme de la transformation énergétique des bâtiments. L’enjeu n’est ici pas de réduire l’impact carbone des matériaux puisqu’ils sont déjà présents dans l’immobilier existant. 

Vous venez de lever 1,4 million d’euros en ce début d’année… À quoi va servir ce financement ?

Cette levée de fonds va nous permettre de faire de 2022 l’année de diffusion et d’impact de notre solution SaaS. Tout l’enjeu est de mieux écouter le feedback de nos utilisateurs, si notre outil répond à leurs besoins, si la prise en main est facile et ce que nous pouvons leur apporter de plus. Une fois que le marché se sera emparé de notre plateforme, nous envisagerons un nouveau tour de table début 2023. 

Les fonds servent donc principalement au recrutement de profils métiers du bâtiment mais aussi des profils techniques pour la partie digitale. Au total, 80% de nos investissements seront alloués à l’emploi de nouveaux talents. Et le fait d’être une entreprise à impact joue à notre avantage : nous avons des personnes qui ont quitté de belles boîtes pour nous rejoindre. Cette recherche de sens dans le travail nous permet également de capter plus facilement les jeunes qui sortent de leurs écoles.

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