Quentin Laurens (Qarnot) : « Les entreprises sont à la recherche d’offres de cloud plus vertes »

La start-up Qarnot se recentre sur son activité historique, le calcul HPC, et crée une entité dédiée à la vente de chaleur renouvelable, Qalway. Entretien avec son directeur des relations extérieures et internationales.

Quentin Laurens (Qarnot)

Quentin Laurens Directeur des relations extérieures et internationales de Qarnot

Votre entreprise existe depuis 2010, comment se porte-t-elle aujourd’hui ?

Qarnot se porte bien. Nous comptons 70 collaborateurs, majoritairement des ingénieurs, nous sommes une entreprise de « tech » pure. Notre siège social est basé à Montrouge et nous avons une antenne à Nantes. Notre activité repose sur deux grands piliers.

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Le premier est la vente de calcul informatique haute performance (HPC), qui notre cœur de métier et notre ADN premier. Cela correspond à une activité de cloud provider HPC. Le deuxième pilier est la résultante du premier : la chaleur renouvelable, pour laquelle nous sommes parfois paradoxalement davantage identifiés par le marché. Mais notre métier initial, c’est la vente de calcul informatique.

Nous allons d’ailleurs créer une branche dédiée à la chaleur. Elle s’appellera Qalway et sera indépendante dans son développement commercial. Qarnot vendra donc désormais de la chaleur sous cette marque. Cela permettra à Qarnot de recentrer ses activités et de gagner en lisibilité. Cela nous permettra de mettre en avant le fait que Qarnot est une plateforme de calcul. Notre vraie force, c’est en effet de proposer un logiciel, QWare, qui est l’orchestrateur, le distributeur automatisé et sécurisé des calculs informatiques. Cela nous permet d’être très souples et d’envoyer du calcul quand le client a besoin de chaleur. Enfin, nous venons d’être certifiés ISO 27001 sur la partie sécurité et fiabilité de l’infrastructure et de la plateforme de calcul QWare. C’est un très bon signal pour nous.

Comment se répartissent les deux activités de Qarnot dans son chiffre d’affaires ?

En chiffre d’affaires pur, la vente de chaleur est plus conséquente que celle du calcul HPC car quand nous vendons de la chaleur renouvelable à un bailleur social, une collectivité ou une entreprise, nous lui vendons du matériel (radiateurs ordinateurs et chaudières numériques), ce qui correspond à des dépenses assez élevées. En revanche, quand nous vendons du calcul HPC, nous sommes dans la vente de service, avec des volumes financiers moins conséquents mais des marges plus importantes.

Vos clients sont donc des entreprises radicalement différentes. D’un côté, des sociétés ayant besoin d’une puissance de calcul. De l’autre, des entreprises qui souhaitent chauffer des bâtiments, des agences, des piscines…

Effectivement, nos clients sont bien distincts. Quand on travaille avec Qarnot, il n’est pas nécessaire d’avoir des besoins à la fois en calcul et en chaleur renouvelable. Les deux activités sont bien scindées car généralement, dans les grands groupes, les besoins IT et les besoins énergétiques ne sont pas gérés par les mêmes départements (la DSI et la direction de l’immobilier).

« Une fois le matériel acheté par le client, nous lui proposons de rembourser sa facture d’électricité et d’assurer la maintenance à nos frais, afin de proposer de la chaleur gratuite pendant la phase d’utilisation » Cliquez pour tweeter

Faites-vous en sorte d’implanter vos équipements au plus près des entreprises ayant besoin de puissance de calcul ?

Carnet-TransfoAppli-300 La question de la distance entre l’utilisateur final et notre infrastructure est moins sensible pour nous qui vendons du HPC que pour un fournisseur de cloud traditionnel qui proposerait du calcul en temps réel. Comme nous ne faisons pas de temps réel, nous n’avons pas d’enjeu de latence. Les calculs que nous réalisons sont de type « batch computing » : ils sont distribuables et les résultats peuvent arriver avec quelques minutes d’intervalle sans que cela pose problème.

Nous divisons les grosses tâches de calcul, nous les distribuons à travers notre infrastructure puis nous les agglomérons pour les livrer consolidées à nos clients. La distribution presque aléatoire du calcul n’est donc pas du tout problématique et les demandes de latence de nos clients ne sont pas incompatibles avec le calcul distribué.

Le cloud parvient à réaliser cette prouesse marketing consistant à « invisibiliser » un sujet qui est avant tout matériel. Puisque je n’ai plus l’infrastructure à côté de moi, j’efface le problème... Cliquez pour tweeter

Votre modèle économique consiste à installer des radiateurs et chaudières dont la chaleur sera par la suite gratuite et à vous rémunérer sur la puissance de calcul revendue à d’autres clients, c’est bien cela ?

Le modèle historique de Qarnot est en effet celui que vous décrivez. Une fois que le matériel est acheté par le client – il y a quand même le coût d’installation initial des équipements -, le modèle que nous proposons est de rembourser la facture d’électricité du client et d’assurer la maintenance à nos frais, afin de proposer de la chaleur gratuite pendant la phase d’utilisation. L’installation est donc payante mais une fois qu’elle a été réalisée, le client est tranquille pendant 15, 20, 25 voire 30 ans pour certains contrats.

Mais nous sommes en train de travailler à l’élaboration de nouveaux modèles économiques car, pour certains clients, réaliser une dépense d’investissement dans un système de chauffage écologique et ne plus avoir de coût de fonctionnement par la suite, ne convient pas forcément. Nous réfléchissons par exemple à la revente de chaleur au MWh. Cela nous permettra de toucher d’autres types de clients, comme les réseaux de chaleur qui sont parfois juste en demande d’un apport de chaleur complémentaire, notamment de la chaleur renouvelable.

Quelles sont les attentes des entreprises en termes de cloud écologique ?

Les entreprises sont à la recherche d’offres de cloud plus vertes. La sortie récente d’ouvrages tels que ceux de Vincent Courboulay et de Guillaume Pitron a contribué à la vulgarisation intelligente de ce qu’est le numérique responsable. Le cloud parvient en effet à réaliser cette prouesse marketing consistant à « invisibiliser » un sujet qui est avant tout matériel. Puisque je n’ai plus l’infrastructure à côté de moi, j’efface le problème… C’est en réalité le raisonnement inverse qu’il faut tenir : puisque je n’ai plus à côté de moi un disque dur ou un processeur, je dois me poser la question de savoir où ils se trouvent. La matérialité a juste été transposée.

Nous sommes donc très heureux que le sujet émerge et que les entreprises sachent qu’un cloud, c’est juste de l’informatique qui a été déplacée. Je peux vous dire qu’en 2010, quand nous nous sommes lancés, l’écologie consistait simplement à trier les déchets et éteindre les lumières. Aujourd’hui, nous sommes rentrés dans une écologie performative, suivie par des indicateurs, des résultats, des prouesses, des technologies…

Nous arrivons donc à un moment où nos technologies sont mures, dans un marché en demande de telles technologies. Nous sommes donc au bon endroit, au bon moment.

Quelles sont les motivations des entreprises pour un cloud plus vert ?

Les entreprises sont en demande de ces technologies pour plusieurs raisons. Certaines d’entre elles le font par conviction absolue : c’est un choix intelligent, pesé, visant à limiter leur empreinte carbone. Dans les grands groupes, c’est plutôt l’approche RSE qui prédomine, il faut afficher des performances de type empreinte carbone du groupe ou objectifs développement durable (ODD) de l’ONU… Dans ce cas, c’est bien d’avoir réfléchi, dans le domaine du cloud, à la réduction de son empreinte : cela passe par les imprimantes, le renouvellement des machines, le reconditionné et aussi par les fournisseurs de HPC, en particulier pour les grandes entreprises ayant des besoins colossaux en la matière.

Nous avons développé une méthodologie qui s’appelle Carbon Facts, à la manière des Nutrition Facts américains, et nous quantifions la tâche de calcul. Cliquez pour tweeter

Quels arguments développez-vous face aux géants du cloud ?

En face de nous, nous avons en effet comme concurrents des mastodontes américains qui, il faut le reconnaitre, ne sont pas en reste en termes de progrès, leurs datacenters étant de plus en plus performants. Mais ils ont aussi parfois une manière de « greenwasher » leurs offres qui est quand même éhontée. Quand Google annonce la neutralité carbone depuis 2007, on parle en réalité d’un sujet qui est mal maîtrisé, entre les émissions évitées, le carbone produit, la compensation… On se retrouve dans un vrai fourre-tout généralisé.

C’est la raison pour laquelle nous avons essayé d’objectiver nos performances car, pendant longtemps, nous nous sommes dit : « Nous chauffons avec la chaleur des serveurs, nous sommes donc 100 % green ». Cela ne suffit plus aujourd’hui, il faut mesurer. Nous avons développé une méthodologie qui s’appelle Carbon Facts, à la manière des Nutrition Facts américains, et nous quantifions la tâche de calcul.

Nous rentrons dans un degré de finesse très précis, et nous arrivons à dire quelle tâche de calcul a produit quelle quantité de carbone, en prenant en compte la nature du matériel utilisé, la source de l’énergie, la quantité de chaleur valorisée, le lieu de production, etc. C’est un devoir d’intégrité morale mais aussi un très bon argument marketing car il existe de très nombreuses entreprises qui n’attendent que cela, qu’on leur dise précisément combien elles rejettent (ou économisent) de carbone via leur activité de calcul HPC.

Le green IT est aujourd’hui plus en vogue que la souveraineté numérique mais si nous échangeons à nouveau dans deux ans, on parlera peut-être davantage de souveraineté. Cliquez pour tweeter

Vous mettez beaucoup l’accent sur l’aspect « souverain » de votre entreprise, pour quelle raison ?

Qarnot est une entreprise française, souveraine, indépendante tant sur la partie matérielle que logicielle. C’est quelque chose que nous revendiquons aujourd’hui et qui est attendu par nos clients. Le gros de la fabrication de nos matériels est réalisé en France, avec une petite part en Allemagne et en Slovaquie pour certaines parties de nos produits. Nos investisseurs et nos ingénieurs sont par ailleurs français. Cela nous permet d’être indépendants vis-à-vis des solutions américaines ou chinoises qui ont la mainmise sur les activités cloud.

Par ailleurs, nous entendons de plus en plus auprès de nos clients que certains fournisseurs pratiquent une certaine opacité sur le traitement de la donnée, qu’il y a une non-portabilité et une non-interopérabilité entre les fournisseurs de cloud. Nous nous positionnons comme un fournisseur de cloud français, très transparent sur notre fonctionnement, avec des logiciels que nous développons intégralement et de l’hébergement que nous réalisons nous-mêmes.

Le green IT est aujourd’hui plus en vogue que la souveraineté numérique mais si nous échangeons à nouveau dans deux ans, on parlera peut-être davantage de souveraineté.

Qarnot a réalisé deux levées de fonds de 2 et 2,5 millions d’euros en 2014 et 2016, puis une levée des fonds de 6 millions d’euros en mars 2020 ? Comment avez-vous utilisé ces fonds ?

Les années 2020 et 2021 ont été des années de restructuration, pendant lesquelles nous sommes passés de 30 à 70 personnes. Nous avons recruté des fonctions support essentielles à notre développement : un directeur des finances, un directeur juridique, une directrice marketing, une responsable de communication… Nous avons également renforcé le contrôle de gestion sur la vente de nos produits et solutions. Et nous avons recruté beaucoup d’ingénieurs car notre force, c’est la R&D, le fait de posséder une technologie singulière, en avance de phase par rapport à la concurrence.

La R&D se divise chez nous en deux parties : une R&D très technique (du développement informatique pur), et une R&D qui vise à accompagner la diversification de nos activités, afin de sortir de nos marchés historiques que sont la banque et la simulation 3D. Le calcul HPC que nous proposons peut en effet aussi intéresser la recherche médicale, l’aérodynamisme, l’activité des fluides, le machine learning, le Big Data…

Beaucoup de DSI se plaignent de l’absence de méthodologies ouvertes et simples à appliquer, pour mesurer leur empreinte carbone et les efforts entrepris pour la diminuer. Que leur répondez-vous ?

Je leur dirais que nous commençons à avoir de la matière, du fond et des chiffres. Des rapports tels que ceux du Shift Project ou de l’Ademe / Arcep y contribuent fortement. Sur les méthodologies, il y a un certain nombre d’associations comme l’INR qui sont vraiment proactives sur ce terrain. Les outils ne sont certes pas encore totalement peaufinés mais ils ont le mérite d’exister.

Avec le groupe Casino, vous avez créé en 2019 une co-entreprise – ScaleMax – afin d’implanter des datacenters au sein des entrepôts de Casino. Les sites ScaleMax sont approvisionnés en énergie verte par GreenYellow, filiale de Casino, et la chaleur qu’ils dégagent est réutilisée pour chauffer les bâtiments. Comment se porte cette activité ?

Cette co-entreprise est la preuve que nous pouvons implanter à peu près n’importe où du matériel informatique dont on peut valoriser la chaleur. ScaleMax a eu une très bonne accélération de son activité, notamment parce que c’était un projet de Casino de se concentrer sur l’IT et le cloud. Nous avons deux sites (en région parisienne et dans la Loire) qui sont fonctionnels et très bien exploités, c’est pour nous une belle grille de calcul supplémentaire.