Vidéosurveillance augmentée : une vision sécuritaire dont le secteur pourrait pâtir 

[L’analyse] Dans le cadre des JO de Paris 2024, l’utilisation de la vidéosurveillance “augmentée” par l’intelligence artificielle est désormais autorisée pour huit cas d’usage précis, tous liés à la sécurité. Mais cette situation stigmatise aussi le secteur et freine le développement d’autres débouchés parfois stratégiques. 

Nous sommes en plein cœur de l’été, et les Jeux olympiques battent leur plein dans la Capitale. Les gradins grouillent de supporters venus du monde entier pour encourager leurs champions. Un objet est abandonné dans les gradins. Une bombe ? En tout cas, c’est un risque de sécurité. Grâce à la loi relative aux Jeux Olympiques, les caméras de surveillance renforcées d’intelligence artificielle peuvent dorénavant détecter cet objet, et permettre l’évacuation du site. Sept autres cas d’usage liés à la sécurité publique, comme la détection de départ de feu, la possession d’arme ou l’intrusion dans des zones interdites, font partie de cette grande expérimentation qui court jusqu’à mai 2025 sur l’utilisation de la vidéosurveillance algorithmique dans le pays. 

Prime à la sécurité 

« Malheureusement, cette technologie est appliquée uniquement dans le domaine de la sécurité publique, et je n’aime pas qu’elle soit mise dans cette case », regrette William Eldin, CEO de XXII, entreprise française spécialisée dans la conception de solutions d’analyse vidéo en intelligence artificielle. Or, tous les débouchés ne figurant pas dans la loi de mai 2023 sont interdits. « Nous avions déjà utilisés d’autres cas d’usage qui sont devenus illégaux depuis l’entrée en vigueur de cette loi », indique William Eldin. Ainsi, des applications telles que le pilotage de l’éclairage public grâce à la détection de personnes dans la rue, la gestion des feux tricolores pour fluidifier la circulation des véhicules d’intervention, ou la détection en temps réel de dépôts sauvages de déchets, deviennent illégales. 

« J’ai le sentiment que cette loi vise à assurer la sécurité des citoyens mais avec un objectif très marqué de lutte contre le terrorisme », observe Benjamin May, avocat et fondateur d’Aramis Law Firm. Les usages biométriques, qui cristallisent souvent les tensions, ne sont cependant pas inclus dans la loi. La reconnaissance faciale reste, à ce titre, interdite, bien que certaines associations dénoncent une dérive qui s’en rapproche. « Personne d’autre que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) n’est habilitée à donner des autorisations concernant la reconnaissance faciale. Celles-ci sont délivrées au compte-goutte. Si cela se produit, il est d’ailleurs peu probable que ce soit rendu public », estime l’avocat. Ce dernier doute ainsi de l’efficacité de cette expérimentation sur le plan sécuritaire sans la possibilité de recouper les photographies de personnes fichées pour les détecter dans la foule. 

“Un panier de crabe” 

Pour sa part, William Eldin est opposé à l’utilisation de la reconnaissance faciale. « Nous ne faisons pas de biométrie, ni en France ni ailleurs », assure le CEO de XXII, qui n’a pas répondu à l’appel d’offres en cours sur la période. « On ne le sent pas. C’est un panier de crabe », affirme-t-il alors que quatre entreprises tricolores se partagent déjà les marchés de vidéosurveillance algorithmique durant les JO de Paris 2024 : Wintics, Videtics, Orange Business et Chapsvision. Mais William Eldin considère que cette loi ne présente aucun intérêt stratégique et servira uniquement à alimenter les statistiques. « C’est de la manipulation politique », assure-t-il, voyant là un risque pour la France de se laisser dépasser dans les technologies de vision par ordinateur par des pays, notamment asiatiques. Au-delà de la reconnaissance faciale, la Chine ou la Thaïlande sont à la pointe de l’utilisation de ces outils dans de nombreux secteurs, tels que l’industrie.  

Selon le cabinet MarketsandMarkets, l’Hexagone ne pèse en effet que 50 millions d’euros sur un marché mondial de la vidéo surveillance algorithmique de 5,6 milliards d’euros. Celui-ci devrait tripler dans les quatre prochaines années. « Si nous vendons uniquement des solutions liées à la sécurité, les entreprises françaises vont être dépassées par d’autres pays », juge William Eldin. Pour éviter cette situation, il souhaite faire évoluer la loi. « Le secteur tente de faire changer cette législation. Pour cela, nous voulons sensibiliser à l’importance des autres cas d’usage car personne ne les connaît réellement », indique-t-il. « Les politiques sont des ignorants qui ont orienté cette loi pour leurs intérêts personnels », assène même William Eldin, alors que les premiers arrêtés préfectoraux ont été publiés le 17 avril. Depuis cette date, la RATP et la SNCF sont ainsi autorisées à utiliser la vidéosurveillance augmentée dans certaines gares lors de concerts ou de compétitions sportives ; des usages qui s’appuient sur les technologies de la start-up française Wintics, spécialisée dans la gestion de flux, la sécurité publique ou encore la propreté urbaine ou le pilotage d’opérations.