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Numérique responsable : la prise de conscience des autorités

L’Ademe et l’ARCEP alertent sur les impacts environnementaux du numérique. Leur méthodologie repose sur une approche d’analyse de cycle de vie (ACV).

Les deux organismes étatiques rappellent que le numérique est responsable de 3,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre[1] et que la forte augmentation des usages laisse présager un doublement de cette empreinte carbone d’ici 2025.

En France, l’empreinte carbone du secteur du numérique est estimée à 2,5 %, selon les données du Ministère de la transition écologique[2]. Mais selon le rapport de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat[3], l’empreinte carbone du secteur pourrait augmenter de manière significative si rien n’est fait pour la limiter, pour atteindre 6,7 % de l’empreinte carbone nationale d’ici 2040.

Les deux organismes pointent également du doigt le fait que la consommation électrique pour les services numériques en France est estimée à 48,7 TWh, un chiffre à comparer à la consommation totale de 475 TWh[4], signifiant que les services numériques sont responsables de 10 % de la consommation électrique nationale, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 8,2 millions de foyers.

Les terminaux utilisateurs en première position

Les premiers responsables des impacts du numérique sont les terminaux « utilisateur », c’est-à-dire les appareils électroniques (entre 64 et 92 % des impacts, en premier lieu les écrans de télévision), suivis par les centres de données (entre 4 et 22 % des impacts) et les réseaux (entre 2 et 14 %).

Les réseaux peuvent être divisés entre réseaux fixes (xDSL, FFTx), et réseaux mobiles (2G, 3G, 4G, 5G). Bien que la séparation entre les deux types de réseaux ne soit pas totale (certains équipements sont communs), il est possible de distinguer les impacts des deux types de réseau individuellement. À l’échelle de la France, les réseaux fixes génèrent plus d’impact que les réseaux mobiles (entre 75 et 90%, contre entre 10 et 25 %). En effet, les réseaux fixes consomment plus d’électricité en phase d’utilisation, et requièrent plus d’équipements, notamment du fait des box installées chez les utilisateurs.

Mais, rapporté à la quantité de Go consommée sur chaque réseau, l’impact environnemental des réseaux fixes devient inférieur à celui des réseaux mobiles. Par Go consommé, les réseaux mobiles ont près de trois fois plus d’impact que les réseaux fixes pour l’ensemble des indicateurs environnementaux étudiés. Néanmoins, il s’agit d’une allocation comptable de l’impact par Go à but illustratif qui ne vaut pas pour comparaison de l’efficacité des réseaux fixes et mobiles, précise l’étude.

Les centres de données sont quant à eux divisés en différents types : public local, public national, entreprises, colocation et HPC (High performance computing). Les types de centres de données ayant les impacts environnementaux les plus importants sont :

  • Les datas centers colocations (entre 35 et 50 % des impacts) ;
  • Les datas centers entreprises (entre 30 et 45 % des impacts) ;
  • Les datas centers publiques nationales et locales (entre 5 et 15 % des impacts) ;
  • Les datas centers HPC (entre 0,1 et 5% des impacts).

Les impacts environnementaux sont principalement dus au nombre de m2 de salle informatique, au nombre de serveurs, de stockage, ou encore à la consommation électrique. En analysant plus en détail les équipements constituant un centre de données, ce sont les serveurs en particulier et le stockage dans une moindre mesure qui génèrent le plus d’impacts.

La phase de fabrication : la plus impactante

L’analyse des impacts environnementaux du numérique démontre que c’est la phase de fabrication qui est la principale source d’impact (78 % de l’empreinte carbone), suivie de la phase d’utilisation (21 % de l’empreinte carbone), ce qui confirme l’importance des politiques visant à allonger la durée d’usage des équipements numériques à travers la durabilité des produits, le réemploi, le reconditionnement, l’économie de la fonctionnalité ou la réparation. Etude Ademe L’étude évalue également l’impact environnemental du numérique en France pour la première fois via 12 indicateurs environnementaux : épuisement des ressources abiotiques – (fossiles, minérales & métaux), acidification, écotoxicité, empreinte carbone, radiations ionisantes, émissions de particules fines, création d’ozone, matières premières, production de déchets, consommation d’énergie primaire, consommation d’énergie finale.

Ainsi l’étude, dans un premier temps, fournit des évaluations chiffrées de ces indicateurs de l’impact environnemental du numérique (exprimées à ce stade dans différentes unités selon l’indicateur évalué : kg CO2 eq. pour l’empreinte carbone, MJ (mégajoule) pour l’épuisement des ressources abiotiques fossiles, kg Sb eq. pour l’épuisement des ressources abiotiques naturelles, kBq U235 eq. pour les radiations ionisantes, etc.).

Pour être interprétés relativement aux autres et identifier les indicateurs environnementaux peu affectés par le numérique, les résultats chiffrés de cette évaluation sont normés par leur équivalent en habitant du monde puis pondérés. Cependant il convient de souligner qu’il n’existe pas de consensus scientifique pour comparer précisément ces indicateurs.

Ainsi, à côté des impacts environnementaux notamment liés à la consommation énergétique (incluant entre autres l’empreinte carbone, les radiations ionisantes et l’épuisement des ressources abiotiques fossiles qui décrivent environ 64 % de l’impact) qui sont des impacts communs à de nombreux secteurs, l’épuisement des ressources abiotiques naturelles (minéraux & métaux) ressort comme un critère pertinent pour décrire (de l’ordre de 27 %) l’impact environnemental du numérique.

Aujourd’hui, l’état de l’art des études dans le domaine du numérique présente des rapports aux méthodologies peu harmonisées, peu transparentes et n’abordant l’impact environnemental du numérique que partiellement, via la seule évaluation de son empreinte carbone. L’objet de l’étude menée par l’Ademe et l’Arcep est de répondre au besoin d’une évaluation plus complète.

Pour ce faire, l’étude retient une approche d’analyse de cycle de vie (ACV) qui se base sur des normes et référentiels publics spécifiques et les plus complets possible afin d’avoir :

– un périmètre plus englobant via une décomposition du numérique en trois briques matérielles que sont les terminaux, les réseaux et les centres de données (c’est l’aspect multi-composants de l’ACV),

– une évaluation de l’impact environnemental du numérique via 11 indicateurs environnementaux supplémentaires en plus de son empreinte carbone (c’est l’aspect multicritères de l’ACV),

– une analyse qui intègre les impacts générés lors de toutes les étapes du cycle de vie de chacune de ces trois briques à savoir les phases de fabrication, distribution, utilisation et fin de vie (c’est l’aspect multi-étapes de l’ACV).

 

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[1] Note d’analyse du Shift Project (Mars 2021) : Impact environnemental du numérique : tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/03/Note-danalyse_Numerique-et-5G_30-mars-2021.pdf

[2] Ministère de la transition écologique (2019) : https://bit.ly/33N6lJZ 

[3] Mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique (Sénat) :  http://www.senat.fr/commission/dvpt_durable/mission_dinformation_sur_lempreinte_environnementale_du_numerique.html

[4] Source IEA : https://www.iea.org/data-and-statistics/data-browser?country=FRANCE&fuel=Electricity%20and%20heat&indicator=TotElecCons