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Holacratie : l’entreprise où le patron n’est pas le héros

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Depuis sa création en 2007, l’holacratie –technologie managériale– vise à réorganiser la gouvernance en entreprise. Un challenge qu’a décidé d’expérimenter l’énergéticien Engie.

Les entreprises qui veulent devenir «holocrates» font appel à des coachs et nomment des facilitateurs en interne pour former les collaborateurs. © Fotolia

Imaginez une entreprise sans patron où chaque salarié prend seul des décisions… Brian Robertson, 37 ans, y a pensé. Mais il l’a surtout mis en oeuvre. Cet entrepreneur américain a créé en 2007 l’holacracy (ou holacratie en français), qui propose une boîte à outils plus opérationnelle que la philosophie de « l’entreprise libérée » d’Isaac Getz, pour en finir avec les organisations hiérarchiques.

Cette méthode, accessible gratuitement sur Internet, contient une constitution de 30 pages. Dans la liste des définitions et règles à appliquer, on trouve par exemple le «rôle», une sorte de mission assignée à une personne. Chaque salarié peut cumuler plusieurs rôles très différents comme l’organisation des séminaires, la veille technologique, ou plus amusant, les animations pour Noël.

Une redistribution du pouvoir

«Quand vous avez un rôle dans la structure, vous avez l’autorité de faire une action ou de prendre une décision pour le servir à moins qu’il y ait une règle explicite contre», a expliqué Brian Robertson lors de son intervention au Numa en septembre dernier. Pour affecter les différents rôles, il faut désigner une personne qui sera un «premier lien», mais celui-ci n’a pas le droit de réorganiser le «cercle» — comprendre le département d’une entreprise — comme il l’entend.

Ce qui caractérise l’holacratie est son approche atypique de la gouvernance de l’entreprise. «C’est une véritable redistribution du pouvoir car on sépare les rôles des personnes. Les collaborateurs ne travaillent plus pour une personne, ils sont au service de leur rôle, leur cercle et in fine de l’organisation de l’entreprise. C’est une hiérarchie de sens», estime Isabelle coach en holacratie. Cette technologie «sans chef » n’est donc pas destinée à gouverner les personnes, mais plutôt l’organisation et les processus de l’entreprise. «C’est comme dans une famille, vous ne gouvernez pas vos enfants mais la maison. Notre rôle est de les élever, de les aider à trouver leur but dans la vie. Ce sont des humains, pas des propriétés», a insisté Brian Robertson, l’holacratie n’est pas la gouvernance des gens par les gens pour les gens. C’est la gouvernance de l’organisation à travers les gens pour un but.» Si un salarié a un problème avec un collègue ou si son rôle ne lui correspond pas,il suffit d’en parler lors d’une réunion de gouvernance où se règlent les « tensions ».

Brian Robertson est à l’origine du concept d’holacratie © D.R.

Ainsi, chacun peut s’exprimer librement, faire des propositions, pour prendre une décision rapidement. Pour faciliter l’adoption de l’holacratie, Bernard-Marie Chiquet, une vieille connaissance de Brian Robertson, a fondé en 2008 iGi Partners. Cet institut de recherche spécialisé dans les nouvelles façons d’organiser le travail est le seul fournisseur de l’holacratie en France. Depuis sa création, il a accompagné une cinquantaine d’entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, pendant en moyenne douze semaines. « Le seul endroit où nous n’avons pas encore mis les pieds est la banque parce que c’est un milieu plus lent et plus conservateur », précise Bernard-Marie Chiquet.

Plusieurs grandes entreprises françaises ont déjà sauté le pas à l’image de Danone, M. Bricolage, ou encore Décathlon Village, une filiale de l’enseigne de distribution d’articles sportifs. Comme il est impossible de faire adopter l’holacratie à une organisation de plus de 100 000 personnes en seulement quelques mois, iGi Partners conseille de s’attaquer à un département ou une division. C’est ce que fait Engie depuis début 2016. L’énergéticien français a lancé un pilote avec une poignée de salariés de la division Systèmes d’information, considérée comme l’une des plus agiles du groupe.

Derrière ce projet : Claude Philoche, qui a pour mission de trouver de nouvelles méthodes de travail
chez Engie. Cet holocrate convaincu a pour objectif de « transformer la culture et réinjecter l’esprit d’entrepreneuriat dans une hiérarchie pyramidale. » Renverser les codes du management chez un géant comme Engie n’est évidemment pas une min-ce affaire. « Le plus difficile était de trouver le plus de volontaires possible dès le début. J’ai observé un mélange de curiosité, d’envies, de réserves et beaucoup de réticences au changement.

C’est normal car on se détache d’une culture forte. On a peur de rater, de manquer à ses missions puisque notre rôle n’est plus le même. Il faut arrêter de croire que rien ne peut changer. Avoir envie de faire mieux est déjà un progrès important. Au final, le nombre de cercles, de réunions ne veut pas dire grand-chose », précise Claude Philoche en encourageant à développer des paramètres qualitatifs. Le pilote s’est agrandi et comprend désormais une centaine de personnes.

Être prêt à tout

Après quelques mois d’expérimentation, les ressources humaines d’Engie ont constaté des résultats positifs. « L’holacratie a redonné de l’énergie aux collaborateurs, et a augmenté leur engagement. La proximité avec nos clients a également été renforcée, et le support client va beaucoup plus vite qu’avant », se félicite-t-il. Cet élan est en grande partie dû à la volonté de Claude Philoche. « Pour faire adopter l’holacratie, il faut que le dirigeant soit prêt à tout car c’est difficile. Il doit être persuadé que c’est la bonne solution pour son organisation. Dans les grandes organisations, c’est le manager qui décide mais il doit forcément avoir le soutien de sa hiérarchie », explique Isabelle Rappart.

Pour maintenir la flamme de l’holacratie, 32 collaborateurs d’Engie ont suivi une formation de trois jours dispensée par Brian Robertson en personne en septembre dernier. Un cinquième du département Système d’information a assisté au coaching. « Après quelques mois, on se rend compte qu’on en est qu’au début. On va essayer de le faire en autonomie complète pour être sûr que ça fonctionne », assure Claude Philoche qui souhaite étendre la démarche aux 500 personnes de la division. Depuis, l’énergéticien Engie a nommé son premier coach en holacratie, Xavier Boemare. Un futur poste à part entière ? En France, l’idée pourrait faire son chemin car c’est le pays européen le plus adepte de la méthode, avec une centaine d’entreprises accompagnées à ce jour. L’explication est simple pour Bernard-Marie Chiquet : « La culture française est plus jacobine, élitiste et bureaucratique qu’ailleurs. On souffre plus vite, plus facilement, du coup cela crée une urgence de passer à autre chose. » 

Cinq règles incontournables

1. Votre dirigeant ne doit plus se voir en héros. Il doit renoncer à son rôle de donneur d’ordres, se rendre compte qu’il ne pourra plus tout maîtriser, mais que ce sera bénéfique pour ses collaborateurs et, donc, son entreprise. Si ce n’est pas le cas, inutile de se lancer.

2. Faîtes appel à un coach. Il ne suffit pas de lire la constitution de l’holacratie pour l’appliquer à son entreprise. Il faut organiser des conférences sur le sujet, faire appel à des coachs pour former tous les collaborateurs et des facilitateurs en interne.

3. Pratiquez, pratiquez, pratiquez. Il est primordial de rencontrer des dirigeants qui ont adopté l’holacratie et partager leurs expériences. L’adoption est une première étape mais il faut avoir une vision à long terme. Ce n’est pas une conduite du changement ponctuel, mais un voyage de plusieurs années. Sinon, les mauvaises habitudes peuvent vite reprendre le dessus.

4. Arrêtez de croire que rien ne peut changer. Les collaborateurs doivent retirer l’idée de leur tête qu’il est impossible de se remettre en question. Accepter le changement est la première étape pour faciliter et l’accepter complètement. Un salarié ne peut pas piocher quelques règles par-ci par-là. Il faut suivre la totalité de la constitution.

5. Ne cherchez pas à éviter la douleur. Les changements organisationnels et culturels en entreprise bouleversent le quotidien d’un salarié, cela fait partie du processus de l’holacratie. C’est très difficile pour le management intermédiaire qui se sent dévalorisé. Il faut leur prêter plus d’attention les premiers mois.

=> Cet article est extrait du magazine Alliancy n°16 à commander sur le site.

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