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Innovation – Le collaboratif bouscule l’industrie

Le robot de désherbage des cultures maraîchères de Naïo Technologies

Du covoiturage à la location d’objets entre particuliers ou au financement participatif (crowdfunding), l’économie « collaborative », ou de « pair à pair » (PtoP), étend peu à peu son champ à la production, notamment à travers les Fab Labs.

En janvier 2011, la Wikispeed SGT01 avait fait sensation au Salon de l’automobile de Detroit, aux États-Unis. Et pas seulement à cause de son efficacité en termes de consommation – 2,35 litres pour 100 kilomètres –, de son prix modeste – 25 000 dollars (18 600 euros) – avec une vitesse de pointe de 240 km/heure. Mais parce que ce prototype avait été conçu en trois mois par la collaboration d’une communauté de bénévoles de plusieurs pays, échangeant en ligne compétences et plans en open source.

L’initiateur, un ingénieur en informatique de Seattle, Joe Justice, avait parlé de son projet sur son blog et une communauté d’experts ou de passionnés s’était formée autour de l’idée. Avec des méthodes « agiles », s’inspirant de celles utilisées pour le développement de logiciels, elle avait conçu ce véhicule, composé de modules échangeables (châssis, moteur, carrosserie…). Le tout à partir de composants comme le circuit imprimé Arduino (dont les plans sont publiés en licence libre) pour l’électronique, d’une machine bon marché à commande numérique pour découper les éléments. Aujourd’hui, Wikispeed compte près de 150 membres répartis dans dix-huit pays et développe d’autres véhicules, produits à travers un réseau mondial distribué de micro-ateliers. 

Des échanges « horizontaux »
L’enseigne de distribution Auchan vend, depuis fin 2012, des produits « inventés » par des internautes qui ont soumis leur idée aux 500 membres inscrits sur la plate-forme américaine de création collaborative Quirky. Depuis 2009, 379 produits y ont été développés, dont une multiprise électrique articulée vendue à plus de 600 000 exemplaires. Aux États-Unis, Quirky trouve une usine pour fabriquer ces objets, qui sont ensuite distribués chez Barnes & Noble, ToysR’Us… Quirky touche 90 % des recettes sur chaque produit vendu, les 10 % restants vont à la chaîne d’invention. Les premières idées issues d’internautes français seront en rayon dans les magasins Auchan début 2014.

La frontière producteur-consommateur serait-elle en train de s’effacer devant ces échanges horizontaux de « pair à pair » ? Tout un pan grand public de cette économie dite « du partage » ou « collaborative », ou encore « PtoP », fait l’objet d’une large couverture médiatique. Surtout, elle ne doit pas être confondue avec l’économie sociale et solidaire, même s’il existe des recoupements. Covoiturage, voiture, perceuse, lave-linge, logement, loués de particulier à particulier : on réinvente l’auto-stop, le prêt entre amis, et la location saisonnière, à grande échelle, grâce à Internet. Sans intermédiaires ou plutôt avec des intermédiaires d’un nouveau genre : les plates-formes en ligne qui assurent la mise en relation, la sécurisation des transactions sur lesquelles elles prélèvent une commission. Certaines se sont déployées à l’échelle mondiale ou européenne, comme l’américain Airbnb pour le partage d’hébergements, ou le français BlaBlaCar, leader européen du covoiturage.

Attirant des millions d’utilisateurs, ce phénomène ne laisse pas indifférents les acteurs de l’économie traditionnelle. Qu’ils tentent d’en combattre la concurrence en obtenant des réglementations contraignantes envers les nouveaux venus – comme les hôteliers new-yorkais face à Airbnb – ou de prendre la vague pour rattraper leurs clients. Ainsi, la SNCF vient de racheter le site de covoiturage 123envoiture.com. En 2012, Citroën avait conclu un partenariat avec OuiCar (ex-Zilok auto) pour inciter les acheteurs de sa C4 électrique à la louer à d’autres particuliers…

Pour Benjamin Tincq, cofondateur de OuiShare, think tank et collectif de l’économie collaborative, « la démocratisation des moyens de production numérique, comme les logiciels de création multimédia, les plates-formes de blogging, les médias sociaux… a permis l’émergence du “prosumer”, à la fois un producteur et consommateur de contenus. Quelque chose de similaire se produit dans la fabrication de produits physiques. Les outils de fabrication et de distribution se démocratisent avec les Fab Labs [Fabrication Laboratory], les makerspaces, les plates-formes de crowdfunding Les “makers” sont les nouveaux “prosumers” du monde physique et les barrières à l’entrée pour les “start-up du hardware”, commercialisant des produits physiques, n’ont jamais été aussi poreuses ».

L’appel à projets « Fab Labs 2013 »
En France, depuis la création du premier Fab Lab Artilect, à Toulouse en 2010, ces ateliers ouverts, dotés d’outils de production à commande numérique (imprimantes 3D, découpeuse laser…), se répandent. Ils s’inspirent d’un concept créé à la fin des années 1990 au sein du Massachusetts Institute of Technology(MIT) par Neil Gershenfeld. Le gouvernement français a lancé cet été l’appel à projets « Fab Labs 2013 », qui a reçu plus de 150 réponses, pour en ouvrir de nouveaux (les dossiers retenus se verront accorder des aides de 50 000 à 200 000 euros). Un Fab Lab * accueille des “bricoleurs” qui veulent produire un objet qu’ils ont conçu, refaire une pièce défectueuse d’un équipement électroménager ou des entrepreneurs qui veulent faire du prototypage rapide. Les grands groupes industriels, confrontés à la nécessité d’accélérer le rythme du changement, de s’adapter à des consommateurs et des collaborateurs qui veulent participer et « faire » (c’est le retour au Do it Yourself), cherchent à s’inspirer de ce mouvement.

Renault a ouvert, depuis un an, au Technocentre de Guyancourt, un « creative lab ». C’est une brique dans un dispositif d’innovation ouverte. A la base, une communauté sur l’intranet du groupe, lancée fin 2008 et appelée Renault Creative People, est régulièrement sollicitée pour des appels à idées. Lomig Unger, animateur de cette communauté, a ensuite créé des « incubateurs » en interne pour explorer les idées retenues et les concrétiser. C’est ainsi qu’est née l’application pour iPhone, « Ma vie en ZE » pour les propriétaires du véhicule électrique. Aujourd’hui, avec le Creative People Lab, « les gens, dont beaucoup ici savent utiliser des logiciels 3D, viennent tester des pièces, investissent le lieu pour des ateliers de créativité », témoigne Lomig Unger. Il admet que les contraintes de sécurité et de qualité auxquelles doit répondre un constructeur comme Renault, rendent la transposition de la méthode Wikispeed difficile au stade de la production. En revanche, au niveau de la conception, cela permet d’aller plus vite.

Séduire les nouvelles générations
À Toulouse, Airbus prépare l’ouverture d’un Fab Lab interne, le Protospace. Pour Alain Fontaine, en charge des technologies émergentes au sein de la R&D de l’avionneur, « l’objectif est de développer la démarche d’innovation à travers le prototypage rapide. C’est une tendance forte dans l’industrie : la conception par la réalisation. Les ingénieurs veulent pouvoir voir ce qu’ils imaginent ». L’autre enjeu, « c’est de proposer des méthodes de travail en phase avec les nouvelles générations ». Car le métier d’ingénieur, rivé à sa table à dessin pour faire des plans tout au long de sa carrière, tel qu’il était pratiqué chez Airbus dans les années 1970, ne séduit plus des générations habituées à des outils dynamiques, à poster avis et commentaires en ligne… L’autre tendance, c’est l’ouverture en participant au Fab Lab Artilect ou en collaborant avec les entreprises d’autres secteurs, « pour étudier si on peut utiliser des composants que l’on aurait auparavant développés nous-mêmes, par exemple les prochains microprocesseurs très puissants, ou pour échanger les meilleures pratiques, comme on le fait avec Renault. Le temps où l’on cachait sa copie est révolu », poursuit Alain Fontaine. Ainsi, au sein même des entreprises, et entre elles, l’échange PtoP commence à changer les modes de fonctionnement.

Est-ce l’annonce d’une révolution de l’ensemble des modèles de production et de distribution ? La Nouvelle Fabrique, un Fab Lab installé à Paris au sein du 104 (lieu de création artistique), créé par des designers, a ouvert début 2013. Il s’apprête à rejoindre la plate-forme Open Desk, sur laquelle des designers du monde entier mettent à disposition des plans 3D de mobilier. La fabrication de petites séries peut être lancée à travers un réseau de micro-usines locales équipées de machines à commande numérique, dès lors qu’un nombre suffisant de précommandes en ligne sera enregistré. Un groupe de cadres du Groupe Adeo, l’enseigne de bricolage (Weldom, Leroy Merlin, Bricoman…) est venu récemment à La Nouvelle Fabrique, en quête d’idées pour renouveler l’expérience de ses clients en magasins : par exemple, on pourrait concevoir son meuble sur un logiciel 3D, lancer la découpe du bois par commande numérique et récupérer ses planches prêtes à monter…

Au sein de la Fondation pour l’Internet nouvelle génération (Fing), think tank qui réfléchit aux impacts des technologies, Fabien Eychenne, pilote depuis plus d’un an le projet « Refaire » pour étudier ces « nouvelles pratiques et nouvelles fabriques ». Bien qu’auteur d’un livre titré : Fab Lab : l’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle, il estime que ces changements n’agissent qu’à la marge et ne croit pas que demain, tout le monde deviendra producteur. En revanche, ils ouvrent des pistes pour renouveler les modes d’innovation, de management et la relation avec leurs clients, chez les acteurs historiques.

 

Naïo, le robot né dans un Fab Lab…
En 2010, quatre ingénieurs de l’Institut méditerranéen d’étude et de recherche en informatique et robotique (Imerir), à Perpignan (Pyrénées-Orientales), se mettent en tête de développer un robot de désherbage mécanique des cultures maraîchères biologiques. Guider un robot, ils savent faire, mais ils manquent de compétences en mécanique et… d’argent. Sans expérience, sans client, sans produit à montrer, ils se font éconduire par les structures d’aide à l’innovation.

A l’inverse, au Fab Lab Artilect de Toulouse, qui les invite à présenter leur idée, l’accueil est enthousiaste. Ils y trouvent conseils, idées, matériels… en plus de pouvoir bricoler les premières ébauches : deux moteurs d’essuie-glace, un châssis de tondeuse coupé en deux, puis un quad électrique, un peu d’électronique pour le télécommander. Premiers tests dans les champs : ça marche ! Mais les portes de l’aide à l’innovation restent fermées : « Si ça marche, ce n’est plus de l’innovation. C’est de l’industrialisation, on ne peut financer », leur répond-on. Un fabricant de machines agricoles accepte de fabriquer le prototype avec des facilités de paiement. Ils lancent une campagne de financement participatif sur Ulule.

…et financé par la foule
Ils cherchent 5 000 euros, récoltent 9 000 euros de dons en trois mois et nouent sur la plate-forme des contacts avec des clients et distributeurs potentiels. Puis, une première levée de fonds dans leur entourage permet la production des cinq premiers robots de Naïo Technologies. Le premier, OZ, est livré au printemps 2013 chez un maraîcher rencontré au Fab Lab, qui suit le projet depuis 2010. Les quatre autres (à 24 000 euros pièce environ) sont commandés. Le désherbage d’un rang, qui prenait 12 à 15 heures à la main, se fait en 7 minutes ! Pour passer au stade de l’industrialisation et de la commercialisation, Naïo Technologies a lancé, mi-octobre, une seconde levée de fonds de 500 000 euros, en s’en remettant cette fois à une plate-forme de crowdfunding en capital pour PME de croissance, Smart Angels.fr.

 

* Pour aller plus loin : Fab Labs : Tour d’Horizon, de Fabien Eychenne (Fing), disponible sur : https://fing.org/?Tour-d-horizon-des-Fab-Labs

 

Lire aussi : Collaboratif – Trois questions à… Daniel Kaplan, Fing
                    France – Les grands domaines de l’économie collaborative
                    Le gouvernement sélectionne 14 projets de FabLab en régions

Cet article est extrait du n°6 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine

Photos : Naïo

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