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Le Design Thinking, méthode pour innover

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Séance de prototypage rapide et individuel lors d’un workshop à la Paris-Est d.school

L’innovation ne s’improvise pas. Une méthode née en Californie, le design thinking, se propose de formaliser le processus d’innovation. Des enseignements existent en France et les entreprises commencent à mettre en œuvre ces concepts.

Qui songerait à en douter ? L’innovation fait consensus. Elle est désormais considérée comme l’alpha et l’oméga de la compétitivité des entreprises occidentales. Une innovation que l’on veut permanente, systématique et sans limites. Bien. Mais derrière cette belle unanimité, une question lancinante se pose aux innovateurs novices : innover oui, mais comment ?

A ce propos, quelques vérités se sont fait jour. La première est que cette innovation permanente ne peut plus être laissée au seul hasard et à l’imagination c réatrice et à la volonté de quelques oiseaux rares. Corollaire : pour faire de l’innovation une pratique récurrente, il faut mettre en place des processus propres à la susciter. Ce n’est certes pas une condition suffisante, mais elle est nécessaire.

Enfin, il y a longtemps déjà qu’Armand Hatchuel et son équipe de Mines ParisTech ont constaté que la R&D traditionnelle n’est pas apte à faire jaillir l’innovation… La R&D est certes indispensable, en fournissant notamment des technologies nouvelles, mais ce n’est pas elle qui déclenche l’innovation. Ils proposent d’ailleurs leur propre méthodologie pour transformer la R&D en RID, avec un « I » pour… innovation, bien sûr.

Un premier cursus à Paris

Dans ce contexte, une autre méthodologie commence à faire florès en France, le design thinking (DT), généralement traduit par « esprit design ». « Ce n’est pas une méthode miracle, s’empresse de dire l’une de ses plus ferventes promotrices, Véronique Hillen (lire encadré), c’est avant tout une source d’inspiration, destinée à favoriser le processus d’innovation. » Le DT est, en tout cas, l’une des rares tentatives pour formaliser quelque peu le délicat processus d’innovation et, à ce titre, il mérite toute l’attention des entreprises. Le DT n’est pas vraiment une idée neuve. Cette méthode, qui consiste à s’inspirer du mode de pensée du designer pour innover, a été popularisée par David Kelley et Tim Brown, respectivement fondateur et patron de la fameuse entreprise de design américaine Ideo, dès le début des années 2000. Elle est ensuite devenue une discipline enseignée dans une structure ad hoc, appelée d.school, à l’université de Stanford, en 2005, aux Etats-Unis. Une école créée sous l’impulsion d’Hasso Plattner, l’un des fondateurs de SAP. Stanford est ainsi devenue la référence en la matière, donnant naissance à d’autres écoles du même type à Berlin (2007), en Finlande (2008) et à Tokyo (2009). La dernière en date, la Paris-Est d.School, a ouvert ses portes en septembre dernier.

L’esprit design c’est, en quelque sorte, l’inverse de la pensée habituelle qui part de la technologie pour créer des produits. Pour le DT, ce sont les besoins des utilisateurs qui constituent le point de départ de la réflexion. L’idée fondamentale est, selon Tim Brown, de « faire coïncider les besoins des utilisateurs avec ce qui est faisable technologiquement et viable d’un point de vue business ». Conséquence de cette définition, qui conduit à s’intéresser à la fois à ce qui est « désirable », ce qui est « viable » et ce qui est « faisable », le DT est par nature fortement p luridisciplinaire. Il s’efforce de faire travailler ensemble les ingénieurs, les marketeurs, les designers et les spécialistes des sciences humaines.

Adopter une approche ethnographique

Seconde caractéristique clé : la mise en œuvre très rapide de prototypes destinés à valider les idées et cela selon un processus cyclique et itératif : observation, inspiration, idéation, implémentation. « Il faut savoir arrêter le brainstorming et la recherche perpétuelle de nouvelles idées. Elles ne manquent pas… Ce qui est important est le passage rapide à l’acte et la validation des idées », résume Véronique Hillen. Autre point fondamental : l’observation, l’interprétation et la compréhension des utilisateurs, qui passe par une approche ethnographique afin de mettre à jour les motivations profondes qui sous-tendent leur discours. Le DT ne se limite pas à la création de produits. « Son champ d’action est beaucoup plus vaste et s’étend du produit au service, du marketing au modèle économique, de la stratégie à la création de marque, de la prospective futuriste à l’émergence de nouveaux usages pour aujourd’hui », souligne Emmanuelle Le Nagard, responsable pédagogique pour l’Essec du programme CPi (conception des produits innovants), pionnier de l’enseignement en France de la méthode.

Côté enseignement, le programme CPi, fondé en 2005 par l’Ecole centrale de Paris, l’Essec et le Strate College (design), forme chaque année quelque 120 étudiants provenant des trois écoles. Paris-Est d.school, qui reprend le flambeau de l’enseignement délivré depuis 2010 par l’Ecole des Ponts ParisTech, réunit l’Ecole des ponts, l’Ensavt (Ecole d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée), l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, l’Esiee Paris et l’Ecole des ingénieurs de la Ville de Paris. Elle offre des formations courtes et des formations à temps plein. L’EMLyon, également, associée à l’Ecole centrale de Lyon, propose un master (Idea, pour Innovation, Design, Entrepreneuriat et Art).

Côté entreprises, l’idée commence à faire son chemin. « Aujourd’hui, toutes les entreprises du CAC 40 ont au moins entendu parler de ce concept. Ce qui était loin d’être le cas il n’y a encore que quelques années », se réjouit Véronique Hillen. Plusieurs groupes, parmi lesquels Thales, Orange, Essilor, GDF Suez, Lapeyre… sont d’ailleurs sensibilisés au sujet par le seul fait qu’elles soutiennent les initiatives pédagogiques françaises et confient de nombreux projets aux étudiants. Mieux, des structures dédiées à l’innovation, telles que l’i-Lab d’Air liquide (lire l’entretien avec Olivier Delabroy, directeur R&D d’Air liquide et Grégory Olocco, directeur du i-Lab), qui mettent peu ou prou en œuvre les idées de bases du design thinking, commencent à voir le jour dans d ifférentes entreprises. De quoi, on l’espère, ac cueillir les étudiants – ingénieurs, designers ou commerciaux – qui auront acquis « l’esprit design » et faire de l’innovation une réalité.

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